Cittàgazze

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Des rivages serpentins gagnant sur les masures aux hauteurs incertaines, la Ville Basse se décline, pleine d’étroitesses et de secrets. Mille langues se départagent ses marchés portuaires, mille vues, mille escaliers ne menant nulle part, ou là où les lumières ne donnent plus. Les bâtisses s’entassent, se resserrent, se nouent, balafrées de couleurs vives que l’iode pâlit. On y progresse à tâtons dans des ruelles condamnées, ou le nez vers le ciel sur des placettes où pendent des tentures. Le lierre s’y est depuis toujours mêlé aux racines d’olivier et à l’odeur rêche des posidonies séchées.

Les quais, grignotant sur la ville à mesure que les derniers escaliers se font submerger, regorgent de bicoques en taules et en bois flottant, de petits marchés à la sauvette et de péniches agencées de telle sorte à former des pontons. Le Porto Vecchio apparaît comme le cœur vivant de la Ville Basse, animé par les allers-retours des bateaux à moteurs rafistolés et des péniches le long du lagon. Son marché de poissons est réputé pour faire transiter un certain nombre de drogues de la cité des cimes – l’odeur âcre des anguilles jouant les contrepoints. À flanc de falaises, cette vie de fortune s’amenuise jusqu’à ne laisser place qu’à quelques rondes périlleuses le long des frontons de pierre.

En empruntant les escaliers tortueux de la Ville Basse, rien ne sert plus de chercher son chemin. Cul-de-sac, trompe-l’œil et paradoxes architecturaux cueillent quiconque n’en connait pas les moindres détours et les moindres caprices. Au fur et à mesure de l’ascension, les embruns iodés laissent place à d’étranges effluves botaniques, laurier et olivier, cardamome et sarment, pin et basilic, et les taches colorées de pétales lourdes et embaumeuses parachèvent ce cabinet de curiosités à ciel ouvert. Saxifrage, bougainvillier, vigne rupestre, glycine, la nature s’invite dans les rues dans une bataille silencieuse pour le moindre rayon de soleil.

La nuit, les façades étroites et penchées s’illuminent de néons aux allures tokyoïtes. Bars secrets, caves changées en librairies dissidentes et maisons de passe se côtoient dans les lumières froides des pancartes luminescentes, clignotant dans un morse indéchiffrable. Quelques places indistinctes prennent vie la nuit, entre des plats partagés et des contes sans âge, dont les origines semblent s’être perdues dans l’effondrement. Par bien des endroits, la Ville Basse n’est qu’une succession de bâtisses aux étages communicants, où chacun·e‧x vit dans ce rafistolage de familles recomposées. Les propriétés privées sont rares et mal perçues par les habitant·e‧xs.

Les tours jetées comme des flèches, la Ville Haute perce le ciel par ses prouesses architecturales et ses clochers dont on n’aperçoit pas les cimes. Les ruelles aériennes se parent de fleurs et de bas-reliefs, nuancées par les rayons du soleil qui réchauffent façades et pavés. Gigantisme et élégance se disputent les moindres mansardes, parées de balcons et de sculptures. Ici, les néons de la Ville Basse laissent place à des enseignes gravées aux ornements feuilletés d’or. À ciel ouvert, la Ville Haute ne se perd plus en dédales étroits mais en jardins suspendus et en parcs aériens, où les flaneur·euse‧xs déambulent au milieu des orangers, des citronniers et des magnolias. Les toits de l’archipel abritent l’Oliveraie, un jardin botanique où des plantes que l’on pensait perdues tutoient des herbes aromatiques entre des allées d’oliviers.

Les casettes, de petites maisons individuelles aux façades méditerranéennes et colorées, sont les principales témoins du faste de la Ville Haute, là où les habitant·e·xs du dessous partagent à plusieurs familles d’exigus locali. Perchées sur les hauteurs, ces petites demeures possèdent une vue imprenable sur le Lonely Ocean, si bien que par temps clair, il est possible d’apercevoir la barrière du récif. Soignées, claires et larges, les rues de la Ville Haute se déclinent en douces montées parsemées d’arcades et en placettes agréables, où fontaines et restaurants s’accommodent d’une lumière toujours chaleureuse. Les magasins, nombreux et fastueux, n’égalent toutefois en rien la Bibliothèque des Quatre Mondes, l'une des dernières collections de livres depuis l’effondrement, qui engage un grand nombre de copistes et d’imprimeur·euse·xs en son sein.

C’est au sommet de Cittàgazze que s’élance la Torre degli Angeli, la tour des anges, un immense clocher aux façades lisses et immaculées, dominant la ville de sa flèche dorée prenant la forme du [Subtle Knife]. Pour les âmes ignorantes, il semble impossible de pénétrer en son sein, pourtant tous les soirs, des cloches au son clair accompagnent la tombée de la nuit. C’est quelques rues plus bas qu’un petit hospice abrite la porte du Consiglio degli Angeli, une vaste salle souterraine située en-dessous de la tour et accueillant le Conseil de la ville, composé des représentant·e‧xs de chaque faction, selon l’influence de chacune d’entre elles. Il s’agit aussi du seul accès à la Torre degli Angeli. En face de la tour, quelque peu en contrebas, la cathédrale Sant’Ambroggio tente de l’égaler de sa superbe.

troc Après l'effondrement, confronté‧e‧xs à l'absence d'une monnaie commune fiable et d'un système bancaire de confiance, les habitant‧e‧xs de Cittàgazze se sont tourné‧e‧xs vers le troc pour survivre. Bien que certain‧e‧xs aient depuis tenté de réintroduire le concept monétaire, le risque de contrefaçon – en grande partie dû à des alchimistes véreux‧se‧xs – suffit à enterrer les expérimentations.

Tout repose donc sur un système classique de troc : un échange de produits et/ou services entre deux personnes ou groupes. La rareté d'un produit ou d'un service le rendra plus désirable, et à l'inverse, une ressource commune ne fera pas l'objet d'un grand marchandage. Il est coutumier de discuter, et d'abaisser, le « prix » : seul‧e‧xs les imbéciles échangent leurs biens sans négociation.

Certaines ressources ou services sont néanmoins trop précieuses ou difficiles à échanger lors d'une seule transaction. Interviennent alors les faveurs : des ardoises à « rembourser » en multiples dons, qui sont elles-mêmes troquées entre les personnes qui en bénéficient, pour plus de souplesse. Il est très mal vu de venir demander paiement de la dette complète, surtout lorsqu'il y a eu échange de faveurs. Celleux qui tentent d'abuser du système sont rapidement mis‧e‧xs aux bans des trocs de tout type, voire retrouvé‧e‧xs échoué‧e‧xs à marée basse, mort‧e‧xs. Il est également mal vu, lorsqu'on est en capacité d'accepter un troc, de le refuser.

À titre d'exemple, il est commun de troquer un ou plusieurs repas contre son travail, manuel ou non. Des familles, quartiers ou factions entières peuvent mettre en commun leurs ressources en faveurs pour obtenir d'un‧e artisan·e‧x ou autre une prestation plus large. Tous·te‧xs aiment échanger des objets insignifiants ou sans utilité pratique, qui servent de centimes et de cadeaux, convoités pour leur simple beauté.


croyances L’effondrement a convoyé avec lui une pluralité de croyances dans la cité des cimes. La foi la plus répandue et unificatrice est celle dans le retour du/de la Porteur·euse‧x du poignard, l’être élu capable de brandir Æsahættr et de rouvrir les failles vers les autres mondes. Disparu‧e‧x depuis l'effondrement, l'élu·e‧x est devenu‧e‧x un mythe et le Poignard, brisé, un rêve que l'on voudrait raviver. Certains groupuscules secrets, que l’on soupçonne sous les ordres des solmènes, s'adonnent à d’infâmes mutilations pour tenter de découvrir qui sera lae futur·e‧x élu·e‧x : trancher les deux derniers doigts de la main droite à des innocent·e‧xs, afin de reproduire la plaie sacrificielle que les Porteur·euse‧xs du poignard possèdent tous·te‧xs. Malgré ces déviances, la croyance en le retour de l’élu·e‧x permet aux cittadini de partager dans leurs cœurs une profonde foi en l’avenir.

Après le culte du [Subtle Knife], la croyance dominante est celle véhiculée par les pandémoniques, héritier·ère‧xs du Magisterium et de sa lecture rigoriste de la Bible. Les pandémoniques et leurs fidèles croient en la théorie de la Création et en la puissance de l’Autorité (Dieu), à qui les humain·e‧xs doivent se soumettre. L’effondrement est selon elleux la conséquence d’un péché originel, incarné par les daemons, que l’humanité doit expier.

Le culte de l’Autorité récuse avec fermeté les croyances des communautés sorcières et des haruspices. Celles-ci ont en partage une foi profonde en la nature et les esprits qui accompagnent ses manifestations. Les éléments occupent une place centrale dans leur approche animiste des phénomènes, animés par des esprits que le commun des mortel·le‧xs ne peut percevoir. Seul·e‧xs les haruspices sont réputé·e‧xs pour parvenir à communiquer avec elleux, maniant ainsi certains éléments.

Avec l’effondrement, une nouvelle croyance est née au sein des SOLMÈNES, inspirée des gravures des empires mexicas prédisant la fin des mondes : le culte du Serpent-Ailé. Selon elleux, l’effondrement serait la preuve que le règne de l’Autorité a pris fin et que celui de QUETZALCOATL est sur le point de voir le jour. Dans cette optique, la destruction du monde tel qu’il fut est considéré comme une nécessité. Le Serpent-Ailé se présente dès lors comme un symbole d’unicité morbide : la fin des mondes parallèles, la fin des daemons, la fin des autres cultes.

Les communautés de non sedentari habitant Cittàgazze, en particulier le Porto Vecchio et ses quais dans la Ville Basse, pratiquent un pluralisme religieux permettant à une multitude de croyances et de religions de cohabiter, loin de tout prosélytisme.

Enfin, chaque monde possède sa propre compréhension du phénomène des failles, des mondes parallèles et de l'existence des daemons. Là où les descendant·e‧xs du [Lyra’s world] parlent de Poussière et les Terrien·ne‧xs de matière noire, les habitant·e‧xs originel·le‧xs de Cittàgazze ont défini ces phénomènes par l’énigmatique appellation d’Être caché, déité invisible capable de modeler la fabrique même de la réalité. Des noms-énigmes traduisant le peu de connaissances fondées que les divers peuples ont des failles et de la Poussière.


non sedentari I non sedentari regroupent sous un même nom plusieurs peuples, groupes et communautés qui pratiquaient tous‧te·xs une forme de nomadisme dans leurs mondes d'origine [Lyra & Will's worlds], et qui se sont trouvé‧e·xs, lors de leur arrivée à Cittàgazze, des valeurs communes. Claniques, la famille est au centre de leur mode de vie : leurs enfants sont férocement protégé‧e‧xs et choyé‧e‧xs par l'ensemble des non sédentaires. Iels s'entraident et règlent à l'amiable, par le biais du Conseil des NOÉNAUTES, l'intégralité de leurs différends, ne reconnaissant aucune légitimité aux autres instances de ce type.

Iels résident majoritairement sur les péniches du Porto Vecchio, mais également dans les locali alentour, et vivent des trocs liés à la pêche ainsi qu'aux jardins botaniques, dont iels contrôlent, par les NOÉNAUTES, l'accès. Une partie d'entre elleux cachent leurs origines non-sédentaires pour mieux espionner les hautes sphères, mais iels ne trahissent jamais les leurs.

Iels pratiquent le pluralisme religieux, et offrent un espace, voire un refuge, à une diversité de croyances parfois contradictoires. À ce titre, iels ne s'opposent pas aux PANDÉMONIQUES, mais ont moins confiance dans ses institutions. En effet, même si leurs descendant‧e‧xs n'ont connu que Cittàgazze, une grande majorité des exilé‧e‧xs ont été victimes de persécutions de la part des pouvoirs politiques et religieux de leurs mondes d'origine.


trafics Grouillant dans les dédales de la Ville Basse, de nombreux trafics voient le jour et empoisonnent la cité des pies. Le marché des Ambrumes est devenu leur plaque tournante, lieu d’échanges crasses et de trocs crapuleux ; il ne vaut mieux pas tendre l’oreille aux rumeurs noires. Autre carrefour de la drogue à Cittàgazze : la mystérieuse et peu connue Nef des fous, un bar secret enfoncé dans les profondeurs de la Ville Basse, dont la réputation sulfureuse laisse entendre que des combats illégaux de daemons y auraient lieu.

Parmi les alcools notoires de Cittàgazze, le limoncello et la cédratine tiennent des rôles importants dans les banquets de convenances de la Ville Haute. D’innombrables liqueurs, telle que les liqueurs de myrte, d’arbouse ou de figue, côtoient des spiritueux plus sulfureux, souvent illégaux, telle que l’absinthe de posidonie, aussi appelée la [fée bleue], du fait du lagon turquoise dont elles sont extraites. Distillées au Porto Vecchio, les posidonies composent ainsi un alcool dangereux et grisant, provoquant de lourdes hallucinations et entraînant de nombreuses overdoses.

Au grand dam du Consiglio degli Angeli – en particulier des pandémoniques, la drogue la plus répandue et la plus dangereuse de la cité des cimes porte le doux nom d’ambrume, fausse délicatesse pour cette poudre dorée aux allures de feuilles d’or. Obtenue à partir de l’ambre des baleines réduite en poudre, l’ambrume est réputée pour permettre à ses consommateur·ice‧xs de passer du monde des vivant‧e‧xs à celui des mort‧e‧xs, et d’en revenir. En vérité, elle jette sur l’esprit un brouillard de poix où les souvenirs se déconstruisent, donnant l’impression de côtoyer des fantômes. Une consommation prolongée d’ambrume provoque d’irréparables amnésies.

Nel Vespero Migrar ©