Les escrocs s’enfuient, et bientôt un silence étrange tombe entre Skye et toi. Tu ne la regardes pas, de peur de découvrir dans ses yeux la crainte que tu inspires toujours, même aux monstres ; celle de Maldoror qui pulse sous ta peau, le vrai chien des enfers, le varan noir aux dents empoisonnées. Mais ce sont d’autres mots qui supplantent les reproches que tu attendais ; Skye t’intime de lui faire confiance, et tes yeux timidement retrouvent le chemin des siens, hochant silencieusement la tête pour lui assurer que tu ne doutes pas d’elle – et que tu ne douteras plus jamais, tu t’en fais le serment. Tu regrettes, mais les excuses ne parviennent pas à franchir tes lèvres, alors tu reprends ton flegme, tentant de te reconcentrer sur votre mission. La confiance n’est pas le plus évident des aveux que tu donnes, ni que tu obtiens. La professeure n’en prend sans doute pas encore la mesure.

La question de Skye remue quelque chose en toi, un quelque chose inexplicable qui enflamme ton plexus. L’attention est comme un saut dans le vide, dans ton monde où tout n’est que coupures et douleurs. Tu ne comprends pas quel élan secret pousse la professeure à vouloir te sauver, et quoique tu saches l’entreprise perdue d’avance, ses mots égarent derrière eux des tendresses que tu ne pensais pas éprouver un jour. « Ne t’inquiète pas. » réponds-tu en esquissant un demi-sourire, à la fois touché et mélancolique. Les souvenirs de la forêt resurgissent en toi, pulsant dans tes entrailles, ces dix années vécues sous la forme de ton animal-mémoire, pour fuir le monde et trouver la mort, celle de l’homme, qui t’a pourtant été refusée. Dix années qui ont laissé leurs stigmates, plus brûlants que la mémoire, plus coupants aussi. Tu te demandes si un jour, tu pourras en faire le récit à quelqu’un·e – si tu pourras lui en faire le récit. « Ce n’est pas douloureux, mais elles… elles ne partent jamais vraiment. » te contentes-tu d’expliquer, de peur d’effrayer davantage celle que tu voudrais plus que tout protéger de toi, sans pouvoir te résoudre à abandonner ces sentiments que tu éprouves et qui te laminent le cœur.

« Je te suis. » Vous prenez le chemin indiqué par les escrocs pour rejoindre le mystérieux « bar à prédictions » indiqué tantôt. Tu n’es pas certain de la fiabilité de ces informations, ni même de l’existence de cet endroit pour le moins surprenant, mais comme tu te l’es juré, tu fais entièrement confiance à Skye et te laisse guider dans les rues sinueuses des escaliers aériens, à la recherche d’un lieu étrange. Un désir irrépressible te gagne, celui de tendre la main et d’effleurer celle de la professeure, mais ton poing se serre et demeure figé contre ton corps.

Il ne vous faut pas longtemps pour gagner l’endroit indiqué, et il semble que les escrocs ne vous aient, surprenamment, pas escroqué·es. Mais la route vous est bientôt refusée par un vigile indiquant que seules les personnes accompagnées d’un·e haruspice sont autorisées à entrer. Tu t’apprêtes à faire demi-tour, lorsque la voix de Cees t’arrête net. « Skye... » Tu ne sais pas si dévoiler ici son don serait prudent, mais ta phrase demeure en suspens ; fais-lui confiance. Tu regardes attentivement son don mis à l’épreuve, pris‧e par la surprise et la curiosité. Une fois le passage libéré, le bar s’offre enfin à vous, et en pénétrant dans l’antre mystérieuse, tu viens chercher la main de Skye.

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