Les semaines ont été longues, terribles, éprouvantes, faites de crises de larmes, crises de rire, de silence, de longues conversations. Mais surtout, Nell n’a presque pas pu mettre les pieds dehors plus de quelques minutes par jour en dehors de quelques déplacements nécessaires à sa santé ou à ses obligations. C’est Sacha qui a fait le double de travail durant son absence forcée, en plus de prendre soin d’elle au quotidien. Sans lui, Nell aurait vrillé folle, elle le sait.

Dans la petite mansarde sous les toits qu’elle partage avec Sacha, il fait déjà chaud. L’été est arrivé, avec lui le soleil et avec lui, la petite pièce se transforme rapidement en étuve. Elle a viré au bout du lit les draps dans lesquels ils dorment et a profité d’une brève douche fraiche salvatrice. Nue, elle a observé l’immense cicatrice qui court de part et d’autre de son épaule gauche : une fine ligne rouge encore boursouflée. On voit aussi les marques des premiers (mauvais) soins reçus, ceux intervenus ensuite. Elle en gardera une trace, elle le sait et est en paix avec cette idée. Doucement, elle fait jouer le muscle et entame les quelques exercices de rééducation et de musculation auxquels elle s’astreint depuis quelques temps.

« Sacha. J’ai faim, il fait chaud, et je n’ai pas du tout envie de rester enfermée aujourd’hui. C’est bon, je vais mieux. »

Elle rejoint le jeune homme encore au lit et s’allonge à ses côtés, attrape une main qu’elle serre fort, entremêlant leurs doigts dans un geste tendre et habituel entre eux. Elle n’ignore pas les inquiétudes qu’il a dû affronter alors qu’elle délirait à cause de la fièvre (et même avant quand il a fallu la tirer des mains zutiques). La finitude de sa propre vie est un sujet qui revient souvent entre lui et elle, et qui ne trouve jamais de conclusion ni plaisante ni apaisante. Elle partira avant lui, et iels ne peuvent rien y faire, sinon faire en sorte que chaque moment compte. Quand enfin, ils ont réussi à plaisanter au sujet de l’attaque la première fois, il lui a dit, à demi sérieux, que sa vie est suffisamment courte pour ne pas essayer de la raccourcir.

« Tu viens ? » elle lui dépose un baiser sur la joue, attrape quelques vêtements de Sacha qui lui vont (les sapes de Sacha lui vont toujours très bien.) et elle se tourne vers lui. « Je t’attends, monsieur. »

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'donjon ambrumes' :

Tu as l’occasion d’admirer le corps de Nell depuis des jours, des semaines, même si la cicatrice encore rouge marque par trop ce qui a failli être la finalité de celle qui compte pour toi presque autant que les tiens. S’il vous est déjà arrivé par le passé de craindre pour vos vies, de jouer avec la mort, la savoir réellement présente est une chose qui n’était qu’un « et si » et un « plus tard » et un « n’y pensons pas ». Ta mère n’a fait aucun commentaire lorsque tu es revenu, défait, pour la première fois – mais son regard, ainsi que son silence au final ont été plus durs à encaisser qu’un « tu vois… ». Tu l’observes un instant de plus, vos doigts se mêlant comme ils l’ont toujours fait, avec une certaine douceur et une évidence qui est la même que la première fois. « D’accord, d’accord. » Tu souris, la laissant t’échapper, croisant les mains derrière ta nuque pour admirer son habillement – presque aussi intéressant que l’effeuillage. Tout lui va, à Nell, et les couleurs compliment autant son teint que ses formes. « Et moi, je me languis déjà de toi. » D’un geste souple, tu te glisses sur le bord du lit et observe d’un œil avisé les quelques vêtements à ta portée. Nu, tu quittes le matelas pour aller fouiller dans plusieurs placards, familier de la place de chacun des tes oripeaux. Taram sautille de poutre en porte en meuble, suivant avec intérêt tes pérégrinations et revenant régulièrement auprès de Wul. « Comment tu me trouves ? » Tu demandes à Nell en revenant d’un pas conquérant, habillé (voire sur-habillé) de jolies couleurs chatoyantes, et tissus légèrement surannés. Tu ne la laisses pas répondre que tu te penches pour déposer sur ses lèvres un baiser, et chuchoter contre celles-ci : « Beau, évidemment. » Tu lui attrapes la main, la bonne, celle qui ne risque pas de lui tirer une grimace ou une remarque, et la fait tourbillonner avant d’entamer la marche vers les rues en contrebas. « Qu’est-ce qui vous siérait, ma mie ? Rien de trop lourd, bien sûr, pour votre estomac fragile, mais fêtons dignement la libération de votre prison. » Tu lui relâches la main, et tu l’attends sur le seuil de la porte qui vous sépare de la rue, et avec elle les odeurs et la poussière et la vétusté. « Il va pleuvoir, il va neiger, il va y avoir de l’orage, regarde. »

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'donjon ambrumes' :

« Tu es toujours très beau. », elle répond quand même, avec sincérité. Elle se laisse entraîner dans la petite danse improvisée et rit de ce plaisir simple. Des jours et semaines durant, elle a eu l’impression d’être faite d’une matière si friable, si fragile qu’il a à peine osé la toucher de la sorte. Une part d’elle lui en veut, l’autre comprend. Maintenant qu’elle a elle-même acté qu’elle va mieux, Nell espère que les milles précautions à son égard vont peu à peu tomber dans l’oubli. Elle veut retrouver leur insouciance, leurs aventures. La mauvaise foi manifeste de Sacha lui tire un éclat de rire, tandis qu’il affirme que la neige arrive alors qu’un soleil de plomb chauffe les rues et que le ciel bleu est libre de tout nuage. «Un sixième ou septième sens dont je ne sais rien ? » elle demande finalement, rabattant sur ses yeux des lunettes de soleil provenant sûrement d’un autre monde. « Juste vivre, et profiter. On choisira sur le chemin ce qui nous fait envie sur le chemin ! » C’est une réponse floue, vague et approximative ; dans le même temps, tout ce dont elle a envie : errer dans la Basse Ville, s’immerger dans son ambiance, sentir les odeurs de bouffe, écouter les gens s’interpeler, dérober une tomate sur un étalage et la manger en croquant dedans et profiter du plaisir simple de sentir le jus lui couler dans le cou.

Comme lui, elle tend le nez vers le ciel, inspire profondément l’air et les odeurs du quartier. « Je veux un truc gras. » elle déclare finalement. « J’ai faim de tout, et je veux me remplir jusqu’à avoir l’impression de devoir rouler pour me déplacer. Alors on ira se poser sur un toit pour regarder la nuit s’installer. Puis on ira boire. Et danser. Et baiser. » Nell n’a pas uniquement faim de nourriture mais de toutes les choses qui lui ont manqué durant sa convalescence.

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'donjon ambrumes' :

Tu fais semblant de te rengorger – tu sais et tu sais qu’elle sait que tu le sais, tu passes suffisamment de temps à te mirer pour avoir une excellente idée de ton apparence (et c’est un défaut qu’on te reproche parfois chez les tiens ; de regarder dès qu’une surface réfléchissante est à ta portée, si tu es suffisamment apprêté pour être le centre de l’attention). « Ne vous moquez pas, haruspice, car les miens sont de fins météorologues. » Tu dis, pompeusement, prenant les devants dans la rue, te retournant vers elle finalement pour tendre la main – saisir la sienne, l’enrouler dans tes bras, nicher ton nez dans son cou, juste l’inviter à te suivre, à ce qu’elle fasse le saut qui te permettra de réellement croire qu’elle est guérie et non pas toujours convalescente malgré son impatience. Difficile cependant d’y croire lorsqu’elle fait un faux pas et que tu te retrouves, en concert avec Tarem, accroupi à côté d’elle pour la ramasser. « Nell, le ciel est de l’autre côté. » Tu attends de voir comment elle va, ne lui proposant ni main secourable, ni aide verbale, tu as un sourire en coin, mais une légère inquiétude dans le regard. Taram sautille sur quelques centimètres, piaillant plus qu’elle n’articule quoi que ce soit. « Allez, notre premier arrêt n’est pas si loin, il y a déjà l’odeur. » Tu lèves les yeux vers le ciel, le temps qu’elle se recompose, faisant mine d’humer l’air. Tu attrapes une de ses mains et dépose un baiser dessus. « Est-ce que le programme est fixé ou on peut interchanger ? »

« Petit con. » elle répond à Sacha qui, en plus de se moquer d’elle, ne l’aide absolument pas à se relever. Les pavés sont traîtres, et il faut croire qu’elle a perdu ses habitudes de louvoyer avec aisance dans les trous de la chaussée. Wul s’approche de Taram.

« Sacha n’attend que ça pour lui dire de rentrer et l’enfermer à nouveau, hein ? Je crois qu’il ne réalise pas vraiment qu’elle est à bout de ce qu’elle peut supporter. Elle a besoin de sentir la vie autour d’elle. »

Avec précaution, Nell se redresse, se palpe à la recherche d’une blessure. Mais rien. Alors elle se relève et évite Sacha avec une grimace vexée. Mais le baise-main la charme, aussi lui sourit-elle gracieusement. Sacha est bien le seul à posséder sur elle un empire aussi total, le seul à qui elle l’autorise aussi. La confiance aveugle qu’elle a pour le jeune sorcier vaut bien de subir ses drôles d’humeurs changeantes et un sens de l’humour pour le moins questionnable. « On peut changer l’ordre bien sûr. Du moment que le cahier des charges est respecté, peu importe avec qui on boit ou on baise. Mais ce serait dommage de louper le coucher du soleil, tu crois pas ? »

Nell les guide vers une petite échoppe de rues d’où échappent de délicieux fumés : poissons et poulpes grillés sur une plaque, avant d’être balancés dans un pain plat et assaisonnés de légumes, d’huile et de citron. Impossible à manger proprement et c’est bien là que réside le plaisir régressif du plat. « Bien. Tu veux aller où maintenant ? » elle demande en se léchant les doigts pleins de graisse.

« Tu sais comment vont les autres ? » Les Covenant, ses adelphes qu’elle s’applique à éviter depuis de trop nombreux mois. Iels se croisent aux réunions de factions mais ça s’arrête là : elle ne sait plus vraiment la place qu’elle a pour elleux après son coup d’éclats lors de l’anniversaire de Nico; le seul d’ailleurs de toute la famille qu’elle a vraiment approché sans toutefois rentrer dans le vif du sujet. Iels sont venus à son chevet , elle a de brumeux souvenirs d’Arthur lui soignant l’épaule, de Nico silencieux, Kassandra et Siren rongées par l’inquiétude, Isabella aussi, mais c’est encore plus confus et embrouillé. Une dispute peut-être ? Sûrement pour faire rentrer Nell sur la Houleuse. Brave Sacha s’est opposé ou peut-être Nell a fait entendre son avis sur la question entre deux sommeils fiévreux.

Taram se contente d’observer Wul, avant de piapiater et de retrouver son maître. Les mises en garde de l’autre oiseau ne semblent pas l’émouvoir, ni ne vouloir l’inciter à répondre à un daemon qui semble être le plus inquiet des 4. « Oh, parce que tu veux inviter quelqu’un d’autre ? » Tu demandes avec un sourire en coin et l’œil pétillant – l’idée ne te dérange pas particulièrement, même si tu émettrais tout de même des réserves sur l’endurance (et l’état physique) actuel de Nell. « On en verra d’autres, des couchers. » Tu réponds, sans réellement y penser – ton espérance de vie est si grande que tu ne t’arrêtes pas aux beautés quotidiennes (qui risqueraient de te faire de l’ombre, qui plus est), et tu ne penses qu’avec un temps à la mortalité de Nell, et qu’à tes yeux, chaque jour est un peu comme la dernière fois qu’on a la force pour faire une ballade avant d’être grabataire. « Mais on peut te garder éveillée jusqu’au lever. » Tu te rattrapes, avec un clin d’œil.

Les mains jointes derrière ton dos (l’attrait de ta compagne pour les tâches et les risques alimentaires te dépasse, surtout lorsque tu es sobre), tu la suis d’un pas élancé. « Quels autres ? » C’est une question si vaste, et même si tu en saisis le sens, tu préfères ses explications. « Probablement bien, je n’ai pas entendu d’autres drames, mais on ne sait jamais avec les tiens. » Si fragiles, si téméraires (stupides dirait ta mère), si inconséquents. Taram sur ton épaule lâche un trille – elle s’est entrainée des années à imiter les plus belles vocalises. « Mais tu sais ce que je sais. Oh… non, t’as perdu un… » Tu suis du coin de l’œil ce qui vient de s’échapper des dernières bouchées du plat, Taram se jetant dessus en espérant être la première à l’attraper. « Regarde ce que tu lui fais faire. »

« On pourrait ? » elle répond à l’idée d’inviter quelqu’un en plus pour s’adonner à quelques activités hédoniques avec eux. Elle le sonde, afin de savoir à quel point il est ou non sérieux, mais la suite éteint son sourire immédiatement. « Oui, sûrement qu’on en verra d’autres, mais c’est mon premier depuis des semaines et j’ai vraiment envie de profiter comme il se doit se cette soirée de liberté. », elle dit sans même masquer sa déception dans son ton, bien vite oubliée quand il se rattrape. Sacha a toujours cette délicatesse envers elle, s’il l’attriste ou la vexe, parfois malgré lui, il a toujours un geste ou un mot pour l’apaiser dans l’immédiat. Souvent, elle s’interroge sur l’empire qu’il a sur elle : de toutes les personnes qu’elle aime, il est bien le seul à avoir un tel pouvoir sur elle (et à ne jamais trop en abuser en plus de ça). Mais Nell, aussi revancharde, mauvaise perdante, teigneuse, franche qu’elle soit ne peut jamais lui en vouloir longtemps. Bien sûr, elle sait qu’il est inquiet pour elle : mais elle est guérie (presque), elle va mieux (beaucoup), et elle lui prouvera ce soir. Il élude le sujet de sa famille, et elle préfère ça : Nell n’a pas envie ni la force ni le courage de les affronter dans l’immédiat.

Elle veut s’amuser. Profiter. Ne plus penser, ni réfléchir. Et elle sait exactement ce que sera leur prochain arrêt. Elle traine son ami de toujours à sa suite, main dans la main, jusqu’à une petite ruelle. Attends-moi là » elle dit, et après quelques instants, elle revient et dans ses mains, un petit pochon rempli d’herbes. Andreas lui a filé le contact de son fournisseur. Les voilà prêts pour la suite de la journée et de leurs aventures. « Ok ! », elle se tourne vers lui, déterminée. « C’est toi qui choisis la prochaine étape. Moi la suivante. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’on soit épuisé et qu’on doive se trainer chez toi, juste toi et moi, ou peut-être un invité s’il nous reste de la force et l’envie. » elle fait avec un sourire entendu. « J’ai pris de l’avance pour ce soir. » elle ajoute en agitant le petit sachet devant ses yeux avant de le glisser dans un revers de ses vêtements. Surprends-moi ! »

Surprendre Nell, entreprise ardue, elle te connait probablement mieux que toi-même et tu oscilles du chef, observant d’un air que tu veux inspiré le lointain (qui s’arrête à un mur sale quelques mètres plus loin). « Je vois… » Tu ne vois en réalité rien du tout et tu voudrais croiser les bras mais tu te prends à serrer plus fort la main de Nell. Taram est en train de picorer les restes du repas et t’es là, comme un con, à essayer de trouver un truc spontané mais pas trop violent et tu te dis que Nell n’en a jamais eu rien à foutre que tu sois trop maniéré avec elle. Nell brûle la vie par tous les bouts, d’autant plus qu’elle est mortelle. Tu te penches vers elle, comme si tu allais lui chuchoter ton idée à l’oreille, et tu en profites pour lui souffler sur la peau, lui mordiller l’oreille et prendre la tangente, tout en la tirant par la main.

C’est une librairie, un peu obscure, mais connue de vous, dans laquelle tu l’attires. Déjà, tu es de nouveau contre sa peau. « J’ai déjà un coup d’avance, Nell, j’ai déjà prévu pour mon prochain tour, mais j’ai besoin de toI. » Tu embrasses son cou et lui lâche la main. « Je veux que tu trouves le livre de poésie le plus incroyable, c’est important. » Tu lui mets une tape sur les fesses, l’abandonnant là pour aller toi-même fureter entre les livres, obscurs, vétustes ou probablement interdits quelque part.

Nell glousse d’autant de familiarité de sa part que de toutes les petites attentions dont il la gâte. Ce jeu de flirt est toujours plaisant avec Sacha, alors elle le laisse faire et prend ce qu’il lui offre aussi facilement. Dans la petite boutique, il règne une ambiance agréable de silence, une odeur familière (un mélange de poussière, de vieux livre, du thé que lae tenancier·ère boit perpétuellement tout au long de la journée, de l’encens qui brûle dans le fond de la boutique. D’ailleurs, iel leur jette un regard comme un peu courroucé qu’on vienne ainsi déranger sa quiétude – mais Sacha et Nell savent qu’iel semble toujours énervé d’un rien. Un rire étouffé échappe à la Noénaute tandis qu’elle se prend finalement très sérieusement au jeu et se rend devant le rayonnage de poésie. On y trouve un foutoir sans nom d’œuvre de Cittagazze, de l’Alterre et de la Terre, d’ailleurs encore, parfois dans des langues qui resteront probablement inconnus de toustes pour l’éternité. Elle reconnait avec un déplaisir qu’elle ne cache pas quelques noms qui font échos aux zutiques, et délaisse les ouvrages en question. Finalement, elle est attirée par un livre aux pages jaunies par le temps. Même le titre sur la couverture est difficilelement lisible. C’est quand elle ouvre la première page qu’il se découvre ainsi que le nom de l’auteur. Baudelaire. Elle en parcourt quelques pages, Wul posé sur son épaule. Il pépille. « Tu comprends quelque chose ? » « Absolument pas, c’est chiant. On va lui proposer quand même. » elle répond l’air d’une gamine qui prépare un mauvais coup.

« Lui. » elle lui tend un peu trop solennellement bouquin et lui file dans les mains. A lui de gérer le troc et la fin de la transaction.