Levi était un funambule qui glissait, dérapant sans audace entre l’apocalypse et l’instinct de survie qui l’empêchait de simplement se décrochait et d’abandonner. Malgré, tout, il s’accrochait au rebord de la falaise sans vouloir lâcher. Mais ce soir, il entendait Dragon qui lui parlait et il avait envie d’abandonner et d’annoncer son propre requiem. Non pas qu’il ne l’aime pas, mais son humeur est aussi changeante que la mer et les tourbillons imprévisibles des courants qui le dirigent et là son seul souhait est de nager jusqu’à ce que ses pensées se taisent enfin et que ses sens s’effondrent. Il écoute Dragon et l’impulsivité prend le dessus sur sa personne alors qu’il joue avec un objet qui contient un charme éveillé qu’il déclenche.

Ses paupières virevoltaient alors qu’il découvrait un monde enchanteur rempli de tours de verre entrelacés de plantes gargantuesques alors qu’au loin il apercevait le bout d’un désert battu par les vents.

« Dragon ». Sa voix s’arrête, suspendue au retour de son attention distraite par une pièce de théâtre qui se joue au milieu de la rue sans qu’il reconnaisse l’œuvre joué mais dont la poésie des vers rebondissants lui tire un reflux de sourire. Il perd surtout son regard sur un masque rouge porté par l’un des acteurs dont il remarque d’aussi loin la finesse des sculptures sur le bois. Il était absolument exquis. « Dragon, tu reconnais cette pièce ? ». Son attention papillonnante retombe enfin sur le décor incarné qui étincelle derrière la pièce de théâtre. « Oh et on est où ? ». Parce que quand même, il pouvait poser les vraies questions oubliant qu’il était à l’origine de cette situation.

Elle compte sur les doigts d'une main ses regrets - et ses ami‧es. Levi a le malheureux honneur de faire partie des deux catégories, teinté de l'effroi de ce qui était à l'époque l'une de ses premières missions. C'est après l'avoir sauvé qu'elle a quitté la voie de la médecine, convaincue pour de bon qu'elle n'en était pas capable, pour se voir des années plus tard confrontée à son absence de connaissances une fois de plus.

Elle l'a sauvé, mais souvent, elle se demande s'il le souhaitait ou s'il ferait le même choix de survie, au vu des années écoulées. Sauf que Dragon se fiche de l'avis de Levi sur la question et ne lui fait aucunement conscience pour avoir un avis éclairé sur le sujet : vivre il doit, et sans se plaindre. La milicienne a pris l'habitude d'aller lui secouer les puces de temps à autre et cette journée démarre de la même manière que les autres, en tornade dans son locali pour le sortir du lit et de la morosité.

La suite. La suite est différente.

Elle n'a aucun souvenir de comment iels arrivent dans cette ville qui n'est clairement pas Cittàgazze - aucune montagne visible, une architecture qu'elle n'a jamais vu auparavant - et Levi lui parle de théatre. "Yoon, qu'est ce que tu as foutu ENCORE ?" Quelques regards se tournent vers elleux et elle attrape le brun par le bras sans se soucier de lui faire mal pour le tirer dans une ruelle, le cerveau en feu et en furie. "On est - on est pas chez nous, qu'est ce que tu as fait - tu as ouvert une faille dans ton appart ?!" Elle ne remarque aucun daemon (jamais elle n'aurait pensé qu'ils lui manqueraient), mais plusieurs ombres, et en suivant la ruelle jusqu'à la rue suivante, découvre un bâtiment comme elle n'en avait jamais vu.

Mais elle n'a pas le temps pour l'architecture, et c'est en secouant donc un peu plus Levi qu'elle panique. "Fais-nous rentrer maintenant !"

Son attention vacille, les prunelles attachées à la pièce de théâtre qui se met en scène et les tympans chargés des vers harmonieux avant qur la voix de la milicienne couvre la beauté des rimes d’une voix qui grimpe en décibels à chaque mot et légèrement en octave. Le monde qui le regarde lui est indifférent avant que Dragon n’attrape son bras pour le tirer dans une ruelle entre des bâtiments élancés tout de verre vêtu qui reflète dans des camaïeux infinis de couleurs ondulatoires. Finalement, son attention se repose sur Dragon qui a les yeux enflammés, brillants de colère et de rage qui lui fait remercier son incapacité à le faire se dissoudre sur place. Parce qu’elle l’aurait f ait, pour le sauver encore probablement derrière mais quand même. Surtout qu’il n’a aucune réponse à lui apporter.

Il regarde enfin la blonde d’un air détaché, s’arrêtant et la forçant à s’arrêter après quelques secousses devant un monument intégralement en verre, lui aussi, avec une architecture exceptionnelle et très originale. Levi a un peu envie de rentrer et explorer le bâtiment aux portes grandes ouvertes sauf que le regard qu’il affronte le maintient en place. « Aucune idée de ce que j’ai fait, c’était un objet enchanté que j’ai récupéré et j’ai voulu voir ». Il lève les mains, en l’air pour montrer qu’il n’avait aucune capacité néfaste et aucune mauvaise intention tout en retenant un sourire en coin. « Je veux bien te ramener mais je n’ai aucune idée de comment faire ». Un sourire se glisse sur ses lèvres, provoquant : « On explore jusqu’à réussir à sortir ? Je pense que c’est temporaire ».

Sifflotant d’un air détendu, il échappe à la prise de Dragon pour reprendre son exploration en entrant dans ce qui ressemble à un quartier des artistes quand un bar le fait finalement s’arrêter. La devanture est dans un bois noir fin avec des veines de bois sombre et envoutante et des pierres de même rouge que le masque vu précédemment qui inscrit Le nul part ailleurs. D’un air inspiré, peut-être un peu en manque, Levi propose de rentrer prendre un verre.

La ville est si visiblement différente de Cittàgazze que Dragon éprouve une sensation de malaise, un étouffement, devant sa perte de repères. Elle ne s’était jamais rendue compte – évidemment, puisqu’elle n’avait jamais quitté sa ville natale – à quel point la cité des pies était gravée en elle, au point d’en connaître quasiment tous les recoins, et découvrir autre chose sans avoir pu s’y préparer la mettait dans un état fébrile. Levi, lui, gardait une nonchalance qui lui donnait très envie de lui tordre le cou – sauf qu’il était sans doute son seul moyen de rentrer.

« Un objet enchanté. » répète-t-elle après lui, la voix blanche de rage. Oh, qu’il garde donc son sourire charmant, il ne lui fait aucun effet aujourd’hui, pas alors qu’il avoue sans aucune forme de cérémonie ne pas savoir comment en supprimer les effets. « Tu as intérêt à ce que ce soit temporaire, Levi. Si dans six heures, on est toujours ici, ce que je te ferais n’aura rien de temporaire, c’est une promesse. » Elle n’était pas quelqu’un de violent (du point de vue milicien du terme) mais si elle se retrouvait coincée dans un autre monde pour le reste de ses jours, avec pour seule connaissance Levi, elle vrillerait. Sans hésitation.

Le suivant donc à contrecoeur après avoir passé ses mains sur son visage pour y camoufler un cri d’énervement, elle s’arrête devant la devanture du bar, le coeur soudainement vide. Après tout. Si elle doit être coincée avec lui le temps que l’artifice s’arrête, autant ne pas être sobre. Se glissant à la même table que lui, elle impose ses conditions. « C’est toi qui payes, ou qui fait la plonge si besoin. Et je veux visiter au moins trois magasins de fringues, donc prépare toi. » Iels étaient deux inconnus, deux étrangers ici, et s’il fallait faire du tourisme, Dragon allait être cette touriste. Yoon regretterait cette journée avant elle.