Le réveil est presque douloureux, à cause de cette lumière orangée, agressive de brillance, qui se réverbère dans des dômes de verre sublimes et semble venir directement sur les rétines de Hyacinth dont le seul réflexe est de lever une main pour mieux déplisser les yeux. Les formes se découvrent tout juste, des traits filandreux d’ombres devenant buildings immenses, comme il n’en a jamais vu même dans la grandiloquence des années 30 terriennes. Il n’a aucune idée d’où il est, ne sent que sur lui le doux filet d’air aux odeurs épicées et douces à la fois qui caresse sa peau, puis sent la chaleur qu’il n’avait pas remarquée juste à ses côtés.

Les deux corps sont allongés dans un hamac, au sein d’une cour intérieure de ce qui semble être un mausolée ou un temple, aux murs gravés de quelques mots d’une langue qu’il a déjà vu mais ne sait lire. Des décorations d’art pendent au-dessus d’elleux, éclairées par des lumières fonctionnant à l'électricité comme il n’en a plus vu depuis longtemps ; le lieu ayant visiblement été revisité comme centre culturel, flanqué d’un ascenseur qui dénote dans son avancée technologique avec l’architecture. Quand enfin Hyacinth tourne la tête, c’est Nobu qui se trouve à ses côtés.

Iel hante chacun de ses rêves depuis des mois maintenant. Tantôt pour y retrouver la douceur de leurs errances, les pulsions charnelles de leurs émois, mais aussi et surtout les drames de leur séparation, encore brûlante dans le ventre du tisserand. Cette fois, le rêve à ce petit quelque chose de réel, comme s’il était vraiment là, dans ce monde inconnu qu’il devine petit à petit être Nimrod ; comme s’il avait été téléporté dans ces histoires que Nobu était venu·e lui donner dans ce carnet que Hyacinth a déchiré. Mais dans les quelques pages qu’il a gardé avec pudeur, il retrouve dans l’ambiance de cet écrin un peu des mots de lae dragonologue.

Se disant que tout est possible, que peut-être dans ce rêve iel se ne sont jamais quitté·e·s, toujours aimé·e·s en se l’avouant, il vient quérir la main de Nobu, l’embrasse tendrement, et lui murmure : « Finalement, je le découvre avec toi, ce monde. ». Mais quelque chose cloche. Une douleur dans la poitrine qui lui fait comprendre que ce rêve éveillé est trop beau, trop doux, que peut-être finalement la réalité est juste au pied de la porte. Dans un sursaut, il se relève dans le hamac qui tangue, sort une jambe pour contrôler au mieux les mouvements du tissu, et il se retourne avec un air inquiet. « Ici, on s’aime, pas vrai ? ». Ici on peut tout se dire. Ca n’aura aucune conséquence.

Tu es blotti·e contre lui. Le temps s’écoule différemment, dans cette langueur si caractéristique des histoires qui se finiront bien. Son odeur et sa chaleur te bercent, alors que les yeux fermés, tu écoutes autour de vous les bruits lointains de la ville, hors des murs du mausolée, réhaussés par le petit tintinnabulement des gri-gri qui pendant aux branches des arbres de la cour intérieure. Tu laisses filer des minutes au goût grisant d’éternité, sans te soucier de la course du soleil au-dessus de vos têtes. Vous n’avez aucune obligation que celle de vous bercer d’illusions. Lorsque Hyacinth remue, le hamac tremble, te tirant de ton demi-sommeil. Tu rouvres les yeux, immédiatement agressé·e par la luminosité ambiante, si vive dans cette ville du désert, avant que tes pupilles ne s’habituent et qu’elles ne se posent sur le tisserand. Celui-ci est venu chercher ta main pour l’embrasser, et tu souris comme un chat en continuant de chercher la chaleur de son corps, jusqu’à ce que le sorcier ne se relève dans un sursaut. Tu grognes de ne plus pouvoir te blottir contre lui, le hamac tangue, et tu finis par te redresser à ton tour.

La question de Hyacinth te déstabilise. « Pourquoi tu me demandes ça ? » Tu hausses un sourcil, sans comprendre où il veut en venir, pourquoi cette appréhension le saisit soudain. Bien sûr que vous vous aimez. Depuis des années, vous n’avez pas cessé de vous aimer. Vous avez parcouru les mondes ensemble, vous avez découvert des vestiges et des grandeurs, vous avez partagé ce qu’il y a de plus tendre et de plus aventureux à la fois. Aujourd’hui, vous êtes à Nimrod. « Que ce soit ici ou ailleurs, on s’aime. » tu réponds avec un sourire doux, avant de venir l’embrasser. C’est à peine si tes lèvres effleurent les siennes, dans un baiser aérien qui dit toute la tendresse du monde. Comme si tu cherchais à imprimer sur sa bouche cette certitude si pure qui t’étreint le cœur : je t’aime. « À moins que tu aies quelque chose à m’annoncer ? » tu ajoutes avec un sourire espiègle et un éclat de rire. Votre amour ne craint rien, tu le sais. Tu l’as toujours su. L’effondrement lui-même n’a pas su vous séparer. Tu peux en rire, car tu n’as pas peur. Hyacinth est ton évidence, ta certitude. Il t’aime, tu n’en as jamais douté, comme tu n’as jamais douté de l’aimer en retour.

Tu te relèves finalement, étires ton corps dans le soleil de la cour, avant de te retourner vers Hyacinth et de saisir sa main. « Il y a tellement de choses que je veux te montrer. » Et tu l’entraînes à ta suite hors du mausolée, dans les rues de Scythopolis, que tu as tant parcourues lors de tes dix années à Nimrod. « J’ai été ici il y a des décennies, mais c’est comme si je me souvenais de tout. J’ai toujours voulu venir avec toi. Depuis qu’on s’est rencontré·es sur Terre pendant les Années folles, je rêve de tout découvrir avec toi. » tu lui avoues que tu l’aimes depuis que vous vous êtes vu·es pour la première fois. À l’instant même où tu as posé tes yeux sur lui. Car dans ce monde, il n’y a pas de Nomane et Lou, ils ne sont jamais morts. Il n’y a toujours eu que Hyacinth, et la découverte de votre amour. Dans la rue, près d’un bistrot, des ombres nimrodiennes jouent à se battre avec des petites cuillères, t’arrachant un éclat de rire. Tu te retournes finalement vers le tisserand, et alors que vous progressez dans les rues, tu lui demandes : « Tout à l’heure, tu m’as demandé si on s’aime. Comment puis-je te le prouver, pour que tu n’aies plus jamais à me poser cette question ? » Ta main serre doucement la sienne.

Ici ou ailleurs, on s’aime. Il y a un frisson qui s’éternise sur le flanc du tisserand, qui remonte dans son dos comme une caresse du bout des doigts faite avec nonchalance. Bien sûr qu’iels s’aiment partout, dans tous les mondes et contre toutes les destinées ; Hyacinth le sait, dans le fond, mais l’étincelle qui l’anime ici, dans ce rêve, lui semble bien éphémère. Dans quelques heures tout juste, il aura retrouvé le chemin de Cittàgazze, où l’affection de Nobu n’est plus qu’un chaos triste, brisé en mille morceaux. Et ce doux baiser, furtif car d’un naturel déconcertant, vagabonde encore quelques secondes sur ses lèvres avant de s’enfuir dans le souvenir de ceux que Hyacinth a désormais perdus. Ils lui manquent.

« Non, non, certainement pas ne t’en fais pas. ». Il rassure lae dragonologue en déposant une main autour de son front, glisse le long de sa nuque. Ses doigts jouent aux funambules sur sa peau de laquelle ils ne doivent pas chuter de peur de ne plus l’effleurer. « Surtout pas. », il ajoute dans un murmure alors que ses yeux ne quittent plus les lèvres de saon amant·e retrouvé·e. Le sorcier voudrait rester ainsi tout le long du rêve, comme s’il en était en parfait contrôle, mais pour cette fois il accepte de se laisser guider. Il regarde sa main se faire attraper en douceur, comme on capture une libellule pour mieux observer ses longues ailes encombrantes, et sourit en écoutant et suivant les pas de Nobu. Hyacinth devient une poupée de chiffon que cet amour peut bien traîner où iel le veut, sourire plaqué au visage, yeux brillants d’envie, de désirs et de la simplicité d’être à ses côtés. Il ne dit rien. Il observe en silence, écoute, savoure. La quintessence même de tout ce qu’il a toujours aspiré ; avec Dana, mais simplement pour lui, avec celleux qu’il aime.

« Moi aussi je crois que j’en rêve depuis toujours. Je me souviens de notre rencontre, je t’avais trouvé belle·eau à en crever… T’entendre parler, simplement faisait battre mon coeur, et juste être à côté de toi, sans même discuter ou te toucher… J’avais l’impression que j’étais protégé de tout. ». Les compliments et les mots doux viennent avec instinct, s'invitent dans la bouche de Hyacinth car le fondement de ses paroles est la pure réalité. Ses joues rougissent un peu alors que Nobu rigole des ombres qui se chamaillent, et pour le cacher, il enfouit l’une de ses mains dans la poche de son pantalon en quête d’une cigarette, vers laquelle il tourne la tête sans pourtant en avoir besoin. Il délivre Nobu de l’emprise de ses doigts juste quelques instants, pour allumer la clope, aspirer une grande bouffée dont il recrache la fumée qui forme des courbes et esperluettes interminables s’échouant hors de ses lèvres, venant se heurter sans mal contre les cheveux de lae Solmène. Alors qu’iel pose sa question pleine de tendresse, Hyacinth arrive à côté d’un arbre plus immense qu’il n’en a jamais vu, se retrouve attiré par le bois, l’écorce, les volutes creusées sur cette peau étrange. Dans les racines, des musaraignes et des mulots ont creusé leurs terriers ; on dirait ici le foyer de mille vies. En déposant ses doigts contre le bois, il répond enfin à Nobu, « Promets-moi que tu reviendras. Que où que tu sois, quoiqu’il nous arrive, aussi violentes que nos disputes puissent être… tu me reviendras. Puis il lae regarde, prend une lourde inspiration. Je suis désolé de tant te faire souffrir, parfois. Tu mérites mieux. ». Ici il sait pouvoir être vulnérable, puisqu'il sera le seul détenteur de ces souvenirs et pourra les nier encore et encore. Ses ongles griffent le tronc, sur lequel quelques gouttes d’une pluie imprévue viennent s’échouer. La magie de Hyacinth fait des siennes, mais c’est comme si c’était ce séquoia centenaire qui pleurait.

La déclaration de Hyacinth affole un peu les battements de ton cœur. Elle t’arrache un sourire véritablement heureux, comme on en éprouve peu dans une vie entière. Tu penches légèrement la tête sur le côté, les yeux rieurs, et tu résistes tant bien que mal à l’envie de revenir l’embrasser passionnément pour lui dire que, toi aussi, tu as été bouleversé par la beauté si singulière qui émane de lui, toi aussi, tu te sens protégé par sa simple présence. Que tu pourrais te damner pour passer le reste de l’éternité qui vous incombe à ses côtés. Tu passes tes bras autour de sa nuque comme pour te pendre à son cou. Mais le rêve semble un instant se défaire, comme si un bug s’était infiltré dans la matrice, et tes yeux se noient dans la tristesse, alors que l’image mémorielle de toi prononce ces mots d’une voix défaite : « Alors pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ? » Mais immédiatement après, le soleil se rallume dans tes yeux et tu reviens embrasser Hyacinth, sans même savoir que le rêve qu’il est en train de vivre s’effrite par endroits, et que tu n’es rien d’autre qu’une projection nimbée de regrets.

Tu l’emmènes avec toi dans les rues de Scythopolis, la main dans la sienne, pressant le pas par endroits pour pointer du doigt une merveille ou une curiosité dont tu te souviendrais. Vous parvenez finalement au pied d’un grand séquoia, qui fait se décrocher un peu ta mâchoire, saisi·e par sa magnificence. Tu demandes à Hyacinth comment lui prouver ton amour, et la réponse du tisserand te déconcerte. Il te semble étrange, aujourd’hui. Tu sens toute la mélancolie qui émane de lui, et elle te serre le cœur. Alors tu t’empresses de répondre : « Bien sûr que je reviendrais. Je reviendrais toujours. Mais il n’y a aucune raison que je m’en aille. » Un nouveau sourire qui se veut réconfortant, apaisant, mais tu t’aperçois que Hyacinth est perdu dans ses pensées, car de petites gouttes de pluie commencent à tomber sur les feuilles du séquoia. « Tu es sûr que ça va ? » tu demandes d’une voix désormais inquiète, en posant une main sur son épaule. Tu mérites mieux. Tu fronces les sourcils à sa déclaration. « Peut-être que je mérite mieux, mais moi, je ne veux que toi. » Tu essayes de tourner ça à la plaisanterie pour le faire sourire, tout en étant profondément sincère dans tes mots. Tu passes une main sur sa joue pour le forcer à te regarder. « Je suis prêt·e à tout endurer pour toi. Même si tu me faisais du mal, je reviendrais. »

La projection que tu es ne peut pas savoir l’abandon, le rejet, les coups. Elle n’a pas conscience que Hyacinth finira par te détruire. Elle n’est que ce que le tisserand a envie et besoin d’entendre. De la musique inconnue vous parvient, du violoncelle, et tu fermes les yeux pour la laisser remplir ton esprit, avant de les rouvrir et de croiser ceux de ton amant ; un nouveau sourire naît sur tes lèvres. « Cette ville est vraiment une œuvre d’art à part entière. » Tu viens saisir la main de Hyacinth pour y déposer un baiser, sans le quitter des yeux. Mais soudain, un nouveau bug dans la matrice, tu as un brusque mouvement de recul et les larmes dévalent tes joues comme si elles avaient toujours été là, d’un coup. Le geste est si soudain qu’il en est violent. Le rêve s’étiole, ton visage se décompose, une expression de sidération, voire d’effroi, s’imprime sur tes traits. « Hyacinth, pourquoi… pourquoi tu m’as abandonné·e… Tu m’as détruit·e, je n’ai plus rien… » tu balbuties. Tu lèves une main entre lui et toi comme pour te protéger, l’empêcher de t’approcher. « Tu es la pire chose qui me soit arrivée ! »

tw : pensées sombres

Les mains contre son cou sont froides mais douces, tendres mais fortes. Elles tirent exactement comme il faut, où il faut. Amenant le cou de Hyacinth un petit peu en avant, le forçant à contracter ses muscles pour qu’ils brillent un peu plus, juste pour ellui. Ses yeux se font tendre, remplis de promesses, puis il y a une anomalie. Légère mais suffisante pour que Hyacinth la voit arriver, perçoive dans le visage de Nobu le tremblement flou et pixelisé qui lae fait vaciller. Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit est une phrase qui a besoin de contexte, car il y en a tant des choses qu’il ne lui a jamais avoué. Ce coup de foudre, son amour, son envie qu’iel lui pardonne, qu’iel lui revienne. Le sentiment contradictoire et possessif qui brûle en lui quand iel se trouve entre ses mains et qu’il ne voudrait jamais lae laisser partir ; qu’iel lui appartienne, à lui seul. Mais Hyacinth reste de marbre, le bug va disparaître et il va retrouver son rêve. Cette fausse perfection idéalisée qui fuit les responsabilités et les regrets.

Et lae Nobu fantasmé·e revient de parmi les disparu·e·s, Hyacinth retrouve cette tendresse manquée et sa douceur si chère. Les mots qui s’éclipsent de sa bouche ont un goût de miel et de sucre, ils sont ceux que Hyacinth aimerait entendre, prononcés par cette exacte voix ; pourtant son sourire est nostalgique, dissipé dans ce bonheur qu’il sait faux bien que alléchant. « Oui, ça va ; tu es là, donc ça va. », puis ses mains viennent caresser simplement son épaule et son bras, en écoutant le reste de ses mots s’échouer entre elleux. Les doigts de Nobu qui fait lae boudeur·euse sont toujours aussi froids sur la joue de Hyacinth, qui tourne rapidement la tête tant qu’ils sont encore là pour venir les embrasser et il lae regarde, en posant son index contre sa bouche. « Et si je te tue ? Il marque une pause, les lèvres entrouvertes. Est-ce que tu resterais là à me hanter, si je te tue ? ». Puis il esquisse un sourire triste et mélancolique, car il connaît parfaitement la réponse. Bien sûr que oui. Tu me hantes chaque jour et te déploies tout entier dans mes pensées depuis que c’est notre amour que j’ai tué.

Pour oublier, bercé par la légèreté de la ville qui enivre quelque peu le tisserand, il perd son regard sur les joueur·euse·s de musique et sur des tulipes noires juste à côté d’elleux, mais quand il redonne son attention à saon dragonologue, Nobu est de nouveau devenu·e une sorte de panne du système onirique. Iel le repousse, pleure, et ses mots retrouvent le tranchant de la réalité. Hyacinth s’humecte les lèvres et ferme les paupières, les bras ballants : l’absence de la peau de Nobu contre lui est bien plus froide encore que ses doigts gelés. Lorsqu’il rouvre les yeux avec devant lui le désespoir, Hyacinth ne pleure pas ni ne se met en colère. Il sait la lutte vaine. Il sait exactement ce qu’il doit faire. Ce qu’il aurait dû faire : « Je sais que je le suis. S’avouer… Je suis désolé de t’avoir brisé·e, mon amour pour toi ne vit que dans ta douleur. Vaincu… Je suis trop détruit pour t’aimer comme il faut. Il n’y a pas de différence entre nous, finalement : je n’ai pas fait que briser ton cœur, j’ai brisé le mien également. ». Puis sa main se lève en miroir à celle devant-lui, là pour le repousser, il s’en approche, voudrait l’effleurer. Lae sentir encore une fois. « J’aimerai que tu m’aimes encore, dans tous les mondes, malgré ce que je te fais, et que je puisse te récupérer en te disant que moi aussi. »

Et si je te tue ? Tu as un imperceptible mouvement de recul. La bouche légèrement entrouverte dans une discrète stupeur, tu regardes Hyacinth sans comprendre. Celui-ci caresse ton bras, ton épaule, mais tu n’es doucement figé·e. Ses mots résonnent en toi dans le silence de tes doutes, comme si les prononcer étaient déjà, d’une certaine façon, les faire exister. Tu ne réponds rien, car il n’y a rien à répondre. Tu te contentes de baisser légèrement les yeux, fuyant ceux que le tisserand darde sur toi, comme si tu soupesais réellement la question, le pour et le contre, le tue-moi et le sauve-moi. La question de Hyacinth réveille l’anomalie dans la matrice, qui finit par s’emporter soudainement, d’une voix glaciale, sans toutefois hausser le ton – pire encore qu’un reproche : « Tu n’aurais jamais dû me sauver la vie si c’était pour me mettre à mort ensuite. » Les traces du Nobu heureux·se et doucereux·se s’estompent lentement, comme la mémoire d’une craie sur un tableau d’ardoise, pour ne laisser derrière elle qu’un esprit meurtri. Et en miroir de cette meurtrissure, souvenir de votre dernière nuit, où Hyacinth t’a donné un coup de pied en plein de la gueule, du sang commence à couler au coin de ta bouche. « Tu ne peux pas savoir combien de fois j’ai rêvé de disparaître depuis que tu n’es plus là. » Ta voix est si froide qu’elle ne te ressemble plus. On ne pourrait pas deviner qu’il s’agit de toi à l’entendre. Lae véritable Nobu n’a jamais été si amer·e, si rancunier·e ; cette émotion lui est pour beaucoup étrangère, ellui d’ordinaire si docile, si soumis·e.

Tu n'entends plus la musique qui s’échappe d’une rue adjacente, tu ne vois pas les fleurs graciles qui poussent au pied des buildings, anomalies dans le décor comme tu l’es toi-même. Tu repousses brutalement Hyacinth, et les larmes éclatent de tes yeux. Tes mots sont durs, coupants, acerbes, ils sont ces météores de deuil qui heurtent sans douceur. Je sais que je le suis. La pire chose qui te soit arrivée. La façon dont le tisserand assume soudainement ses torts déconcerte un instant l’anomalie, comme si lae doux·ce Nobu pouvait encore resurgir, mais bien vite ses mots se changent en pierres. Le sorcier est bien trop tranquille dans la souffrance qu’il t’inflige, comme si ta peine ne l’atteignait qu’à demi. Il lève sa main face à la tienne, et lae Nobu plein·e d’amour et de tendresse fait un pas pour que vos doigts se mêlent une dernière fois. Les bras tendus devant vous, il n’y a que vos paumes qui s’épousent et vos regards qui se croisent, alors que Hyacinth dépose ce moi aussi qui fait changer du tout au tout le bug dans la matrice.

Tu t’avances, des larmes toujours plein les yeux, mais une expression bien plus désespérée sur les traits, comme si l’amertume s’était entièrement évanouie et qu’il ne restait plus qu’une inconsolable tristesse. La musique toujours vous parvient, le violoncelle donnant à cette scène quelque chose de cinématographique et de grotesque à la fois. Tes mains saisissent les siennes avec pudeur, avant que la supplique ne s’arrache à tes lèvres : « Garde-moi… Garde-moi avec toi… Ne m’abandonne pas… Accorde-moi une place dans ta vie, même minuscule, même insignifiante, mais ne me laisse pas… » Ta prise sur ses doigts se raffermit. Tes yeux ont accroché vivement les siens, alors que le sang toujours suinte de ta lèvre esquintée. « Je ferai tout pour toi, je te donnerai tout ce que j’ai… Ne me laisse pas… » tu supplies encore, dépossédé·e de tout, sans grâce et sans dignité, pris·e dans l’urgence terrible de survivre un jour de plus, alors même que tu n’es qu’une projection dans un rêve triste. « Je t’aimerai dans tous les mondes, dans la mort aussi, mais si tu ne veux plus de moi, alors je m’éteins… » Et brutalement, tu viens te jeter dans ses bras, pleurant sur son épaule comme tu n’as jamais pleuré, dans cette étreinte au goût de dernière fois. Et tu répètes ces mots que tu avais prononcé ce soir-là et qui n’ont rencontré que silence et froideur : « Je t’aime… je t’aime… »

La froideur de ce·tte Nobu-là est sale. Ses mots ne sont que douleur pour Hyacinth, parce que c’est la première fois qu’il les entend de vive voix, alors pourtant qu’il les connaît et se les répète, tout bas, depuis des jours voire des semaines. Mais les mots de Nobu sont mille fois plus forts, mille fois plus intenses, et tous les scénarios que Hyacinth avait imaginé ne deviennent que de simples ersatz de cette désormais réalité, bien que onirique. Iel le hait. Iel le hait tellement que ça déborde de ses yeux, se transforme en larmes. Et lae Nobu qu’il voulait voir ici, dans ce Nimrod qu’il avait tant envie de découvrir avec ellui, disparaît lentement derrière cette surface d’agressivité. Hyacinth ne réagit pas vraiment, il l’écoute, lae regarde, les sourcils baissés comme un chien, la queue entre les jambes. Il ne peut que hocher la tête, accepter ce sort et ce jugement. « J’aurais dû, moi, disparaître de toi plutôt que de te jeter ainsi, et que tu aies ces envies à présent. Je n’ai pas réussi. J’avais besoin - j’ai toujours besoin - que tu m’aimes. ».

Et Hyacinth sait pertinemment le rôle qu’il joue dans le malheur de saon amant·e. Il n’a pas été capable de lae protéger, de lui apporter que de la beauté, de la tendresse, il a fallu que tout ce qu’il a de plus dégueulasse s’étale sur Nobu en plus du reste. Qu’il laisse sa marque de cœur brisé. Alors Hyacinth se rattache comme il le peut aux phalanges qui sont encore glissées entre ses doigts. Il les accroche et murmure des Chhh pour offrir un peu de calme et de sérénité à l’anomalie matricielle qui lui vole son rêve éveillé et le transforme en cauchemar. Et alors que le même désespoir que le sien, offert en miroir, vient parer le visage de Nobu et ses mots, soudain Hyacinth s’en veut. Sa main se pose contre sa joue, caresse sa tempe, le tisserand commence à consoler lae dragonologue, lae rassurer, et continue de lui dire tout ce qu’il aurait dû exprimer plus tôt. « Nobu, Nobu… C’est justement car ta place en moi est si grande que je n’arrive pas à me défaire de toi. C’est à moi de te supplier de ne pas m’abandonner. De me reprendre. De me pardonner. ». Son visage s’approche du sien, ses lèvres effleurent le sang à la commissure des siennes. Hyacinth y dépose un baiser, efface les traces du passé et du présent, qui s’estompent sous sa langue. « Tu ne t'éteindras jamais. C'est la seule certitude que j'ai et qui m'apaise un peu. Je ne peux plus ne plus t'aimer, ce que je ressens est trop fort pour rester à l’intérieur… Mais je ne peux pas t'aimer comme tu le voudrais et le mériterais. ».

Une fois encore, il ment pour se protéger, lae protéger un peu également. S’il ne peut pas aimer c’est qu’il a peur que ce soit trop. Trop fort, trop intense, trop mauvais. Mais quand Nobu s’effondre dans ses bras comme jamais personne ne s’est effondré·e en lui, avec tant d’intensité et de dévotion, Hyacinth craque. Il enserre son corps et s’envole avec ellui. Iels retrouvent terre aux portes d’une bibliothèque étrange, un de ces endroits extraordinaires que seul Nimrod possède aujourd’hui. Et adossé contre le mur, Hyacinth vient saisir le visage de Nobu entre ses mains, réchauffer ses joues, embrasser ses lèvres, encore et encore. « Moi aussi… Moi aussi je t’aime. Je t’aime. Je t’aime… Mais toi, le vrai toi, cellui du monde réel… Tu me détestes tellement. Tu me détestes. Et je ne sais pas comment survivre à ça. Alors, je t’en prie, ici, pitié… Les larmes ont commencé à s’évader de ses yeux pour rouler sur ses joues, alors qu’il embrasse Nobu entre chaque parcelle de phrase comme si ses baisers étaient les derniers. Pardonne-moi. Pardonne-moi. Et montre-moi toutes les merveilles de ce monde. Faisons comme si de rien n’était, faisons comme si on s’aimait, tous les deux, si fort… Je t’aime tellement, Nobu. Tu m’as fait l’oublier. Tu me fais oublier mon amour pour Dana. N’en avoir plus que pour toi. Mais je ne suis pas capable de t’oublier, toi. De ne plus t’aimer. Pas encore, je ne veux pas. ». Il lui offre toute la sincérité qu’il a, la vulnérabilité la plus rayonnante qui soit dans ce sentiment d’urgence, car ce qui brille le plus fort souvent brûle le plus vite.