Tu aurais pu te charger de n’importe quelle mission, pourvue qu’elle ne nécessite pas d’être un alchimiste et de tracer des cercles de transmutation. Seulement, c’est sur la piste des traitres que l’on t’envoie. Tu ne peux pas t’empêcher de trouver cela sardonique, comme si on avait voulu t’offenser, comme si cette décision avait été la conclusion d’un sophisme idiot. Pour t’accompagner, une personne aussi instable qu’un enfant, à la ferveur fébrile qu’un rien pourrait faire dégringoler, Levi Yoon. Ce nabot a tout de même réussi à entrer en contact avec une empoisonneuse prête à divulguer des informations concernant le groupuscule. Tu le suis jusqu’à la terrasse ombragée d’une casette, votre hôte vous y attend déjà, tes yeux glissent sur son faciès, trogne élégante et marquée par quelques ridules légères. Tu laisses d’abord l’alchimiste qui t’accompagne prendre la parole puisque c’est lui qui a fomenté cette rencontre. Tu en profites pour observer les lieux, le tapis persan qui recouvre le sol du patio, marqué par quelques giclées de produits caustiques, les bacs de plantes aromatiques, la table sur laquelle traine plusieurs cristaux célestes accompagnés d’une étiquette annotée “esprit de soufre”… en d’autres termes du vitriol. Un composé particulièrement corrosif, de quoi élaborer une substance douloureuse et meurtrière, si pénible que sa victime pousserait des cris tonitruants. Tes prunelles sombres retrouvent les contours de l’empoisonneuse, chimiste apparemment redoutable et tu l’observes avec méfiance. Ta défiance est partagée puisqu’elle refuse de vous révéler quoi que ce soit pour le moment, à moins que vous vous prêtiez à une espèce de présentation de talent stupide. Un rictus moqueur s’échappe de tes lèvres, un rire dédaigneux qui ne passe pas inaperçu, mais la corrompue n’abandonne pas son idée pour autant, idée qu’elle expose comme un espèce de rituel de passage obligatoire. Décidément, vous n’êtes pas d’équerre. Tu tournes la tête en direction de l’alchimiste médicale, et te penche prêt de son oreille pour lui murmurer quelques mots.
— Ne prend pas les cristaux sur la table. Tu risques de te brûler. Dis-tu, tout bas. Parmi les nombreux talents du Yoon, parce que oui, tu le sais en possession de plus de talents que toi, il y a son aisance à chaparder tout ce qui lui passe sous la main, une aptitude notablement utile. La plupart des objets qui décorent ton bureau, s’ils n’ont pas été directement crée par lui, viennent de son maraudage compulsif.