Micah avait honte de l’avouer mais il avait longtemps esquivé les zones animées de la Ville Basse. Une peur de se perdre, de se faire détrousser peut-être aussi, vu tout ce qu’il entendait sur les noénautes, mais de voir ses proches faire fi de ce que pouvaient dire certains lui avaient donné le courage nécessaire pour descendre dans les dédales de la ville. Il regretterait peut-être d’y être allé seul, mais ce serait pour plus tard.

Il avait un projet en cours pour lequel il avait besoin d’un peu de références qui ne soit pas… pieuse et immobile. Il lui fallait du mouvement, de l’agitation, des cris, de la vie en somme. Et s’il en croyait ses oreilles trainantes, le Marché des Ambrumes serait l’endroit idéal.
Et, à première vue, ça l’était probablement, l’architecte n’avait pas trop de doutes là-dessus. C’était un bon premier stop, à mi-chemin entre chez lui et le Porto Vecchio, et peut-être trouverait-il plus que ce pour quoi il était venu : l’inspiration.

C’était étonnant qu’il y ait autant de monde dans un endroit aussi concentré. Un peu en hauteur sur quelques marches, pressé contre le mur, le châtain observait le haut des crânes déambuler, se faufiler, se percuter même parfois, le tout avec une aise qui ne venait qu’avec l’habitude.
Micah n’avait pas l’habitude. Serait-il comme ces gens qui écoutaient de la musique en faisant de grandes rondes et qui finissaient écrasés par les autres ? Il y avait de grandes chances.

L’architecte attendit encore quelques minutes avant d’oser lui-même descendre les dernières marches et se faufiler dans la foule.
Ce n’était décidément pas facile, fut sa première pensée, quand un coude vint rencontrer ses côtes presque trop fort, l’envoyant tituber un peu plus sur sa droite, dans une autre allée du marché. Il était presque trop petit pour voir les étalages. Peu importe où il essayait de se frayer, il se retrouvait renvoyé de l’autre côté comme un vulgaire ballotin.

Peut-être aurait-il dû rester sur ses marches.

Légèrement suant et passablement frustré, Micah réussit à se glisser entre deux passants, marquant la quinzième minute après son arrivée comme une réussite. Enfin un peu d’air frais ! Et une étale à portée de yeux ! Gloire à l’Autorité, il y était arrivé.
Petite danse de la victoire. Micah aimait bien décharger un peu de son énergie nerveuse dans un trépignement qu’il avait catégorisé avec les années de danse de la gloire. Ou victoire, peu importe. Il sautillait sur place avec des petits mouvements de bras et ça lui suffisait comme introduction dans le monde des arts du spectacle.

Mais peut-être que l’Autorité n’aimait pas cette démonstration de satisfaction. Car tout ce que Micah comprit avant que le drame n’arrive, c’était que son coude avait tapé dans une surface dure, lançant un éclair de douleur dans son épaule. Et ce fut la catastrophe.
Dans un fracas de bois et de métal, il entendit l’objet, ou le meuble à ce stade, tomber, le bois se rompre et les pièces de métal se répandre sur les pavés.

Il ferma les yeux avec une grimace. Il était vraiment le pire des imbéciles…

La grimace ancrée sur le visage, il se retourna, ses yeux s’écarquillant devant la catastrophe à ses pieds. Une horloge, qui était probablement plus grande que lui avant sa fin tragique, était étalée sur le sol, des fragments de plus petites horloges qu’elle avait entraîné dans son trépas pointant le bout de leur nez depuis les pavés.

Et si elle semblait… brisée, c’était le cas de la dire, la tête de sa propriétaire elle semblait prête à exploser, ses yeux sortant presque de ses orbites tant la colère s’y était infiltrée.

« Espèce de… ! Mais vous avez un problème dans la tête, ou quoi ?! » hurla la vendeuse en bondissant vers Micah, les narines frémissantes de rage. « Vous avez vu ce que vous avez fait ?! Regardez ! Une horloge du XVIIe siècle, des pièces uniques, irrécupérables ! Vous m'avez ruiné, abruti ! »

Micah recula d’un pas, bégayant une excuse qui n’avait pas grande cohérence, sentant le poids de tous ses petits vices passés retomber sur lui sous la forme du karma. Oh il était tellement dans la mouise…

« Vous croyez que c’est des babioles, hein ?! Vous vous croyez au-dessus de tout ça avec vos manières d’intellectuel de pacotille ! Mais je vais vous apprendre à respecter le travail des autres, moi ! »

Ah, peut-être qu’il allait tout simplement décéder en fait. Les mains de la dame étaient probablement plus épaisses que les siennes…

Lui qui s'attendait à se faire dépecer vivant par cette drôle de femme, voilà que son avenir s'éclaire d'encore un peu de vie. Et d'un joli sourire. L'alchimiste s'est glissé entre eux comme s'il le faisait tous les jours, héro des petites gens et Micah assiste pour la première fois à une démonstration d'alchimie en chair et en os. Et pour dire qu'il est bouche-bée, ça il l'est. Le concept même d'une magie pareille dépasse ses connaissances et de loin, remplissant son esprit de mysticisme et de miracles.
Il ne comprend pas pourquoi sa faction est si opposée à cette prouesse si miraculeuse.

L'architecte laisse un instant ses prunelles divaguer avec les éclats mordorés que produit son sauveur inopiné, assistant en une seconde la réparation de ses catastrophes. L'horloge est intacte, comme si elle n'avait jamais croisé la route du maladroit qu'il fait. Tout bonnement extraordinaire.
Et peut-être est-ce lisible sur son visage, cette drôle de fascination qui s'est emparée de ses sens et a arrondi sa bouche. Ou alors est-ce un peu plus visible dans la manière dont ses yeux se sont agrandis presque comiquement.

La commotion qu'il a créé et la fièvre assoiffée de petits malheurs quotidien semble retomber presque instantanément alors que le noénaute, en tout cas Micah suppose qu'il en est un, se détourne de la marchande qui n'a désormais plus son mot à dire vers le nimrodien encore ébahi.

"Des vêtements sombres et ternes, un air inquiet des yeux qui implorent" Ses yeux étaient-ils si expressifs que ça ? Micah les fait papillonner, dans l'espoir d'effacer ses troubles de ses iris. "Tu es pandémonique, n'est-ce pas ? Est-ce que tu as besoin d'aide ? Peut-être que je pourrais t'indiquer un meilleur endroit pour danser ?"

Pour danser ? C'est l'incompréhension qui se saisit maintenant de ses traits alors qu'il essaye de retracer les évènements qui auraient pu mener à cette drôle de conclusion. Danser... Puis Micah enregistre le sourire malin qui étire les lèvres de son vis-à-vis. Il se moque de lui hein. Oui, ça fait plus de sens. Il se moque du manque d'adaptabilité du nimrodien dans la foule.

Bien trouvé.

Micah ne peut pas lui en vouloir, il se moquerait probablement de lui-même s'il pouvait se voir. Et ce noénaute est venu à son secours. Il se contente donc de rouler des yeux, laissant un sourire plus réservé se dessiner sur ses lèvres.

"Haha. Hilarant." rétorque-t-il sans une once de méchanceté dans la voix bien que le sarcasme y coule. "Merci de ton aide, je ne sais comment je serai sorti de là sinon. Et bien trouvé. Je suppose que l'habit ne laisse pas grand mystère."

Il passe une main sur sa nuque, l'embarras venant la chauffer désagréablement maintenant qu'une pensée s'impose à lui. Comment va-t-il pouvoir remercier l'alchimiste ? Il fouille dans la besace qu'il a prit avec lui, ne tombant que sur les pièces d'échecs qu'il était en train de tailler dans son temps libre.

"Je n'ai pas grand-chose pour te remercier, mais j'ai ça ?" esquisse-t-il en sortant la seule pièce en marbre qu'il a déjà terminée : le cavalier. "Ce n'est rien d'aussi extravagant que ce qui est visiblement trouvable ici mais... c'est tout ce que j'ai. Je peux te donner les autres pièces quand elles seront terminées ?"

Il lui faudra dégoter un autre morceau de marbre gris Saint Anne mais c'est la seule chose qu'il a sur lui qui vaudrait une aide aussi précieuse. Et c'est un alchimiste, un matériau pareil pourrait toujours lui être utile.

"Et... euh si ce n'est pas trop demander, est-ce qu'il y a un endroit où on pourrait avoir une vue du marché sans se taper avec sa population ?"

Micah n'était pas certain de ses chances de survie si on le frappait vraiment.

Micah ne sait pas quelle facette de l’Autorité l’a dirigé vers ce noénaute mais il ne va pas s’en plaindre, ça c’est certain. Sa présence a le même effet qu’un rayon de soleil hivernal. Agréable, plus que bienvenu. Il se surprend à sourire en l’écoutant simplement parler. Voilà une personnalité qui devait être agréable à cotôyer au quotidien.

« C’est plutôt marrant, tu avais déjà un chevalier servant dans tes affaires avant même d’en avoir besoin. »

Un signe de l’Autorité en plus aurait-il formulé s’il n’avait pas peur de froisser la personne en face de lui d’une remarque religieuse déplacée. Il ne sait pas comment les gens percoivent les croyances pandémoniques par ici et il n’est pas là pour prêcher. Alors ce commentaire disparait dans sa gorge en même temps que sa salive quand le drôle d’ingénieur s’approche de lui.

« Tu as de la chance, j’ai plusieurs casquettes. Je crois pouvoir affirmer que tu es tombé sur le meilleur guide de la Ville Basse. »

Le meilleur guide hein ? Est-il juste tombé sur la personne à connaître du coin, au détour de ses mésaventures ? Son cœur se fait bien plus léger. Avant de faire une drôle de valse quand il sent le bras du grand alchimiste passer autour de ses épaules.
Micah n’a pas vraiment l’habitude d’être approché comme ça. Normalement ses tenues dissuadent les gens de le toucher, peu voulant risquer un faux pas. Mais lui semble absolument hermétique à ces tendances et il sent sa grande main bien aggriper son épaule pour l’entraîner d’un pas assuré dans son mouvement.

Naïf, le pandémonique suit la marche. Pas un instant, le danger est envisagé. Lui qui ne connaît rien aux lieux, suis le premier inconnu qui croise sa route. Presque six ans de survie sur les routes de Nimrod jetées par la fenêtre, bravo Micah.
La seule question qui lui vient à l’esprit est rapidement jetée par la fenêtre quand le noénaute balaye son esprit et fait table rase par la force du souffle de son murmure. Micah sent ses propres yeux s’écarquiller, animé soudainement par la seule chaleur qui remonte en courant de sa poitrine à la pointe de ses oreilles, les colorant de rouge.

Il ne peut pas s’éloigner, ce serait malpoli, mais la situation lui donne une furieuse envie de trépigner, ce qui n’est pas faisaible coincé comme il est pas le bras plutôt taillé du noénaute. Micah doit évacuer cette énergie nerveuse, pour une fois plutôt positive d’une manière ou d’une autre…

En parlant donc.

« C’est ça ! » commence-t-il, sachant très bien que maintenant que la vanne est ouverte, l’autre va l’entendre jacasser pendant un temps infini. « Une vue des étalages serait plus intéressante mais si ce n’est que la foule ça me va aussi. Je veux travailler le mouvement mais la Ville Haute est trop calme et on m’a conseilé le marché mais franchement toutes ces rues sont tellement labyrinthiques qu’on fini par ne plus savoir si on monte ou on descend. J’ai failli me retrouver un port en tournant du mauvais côté ! Je ne sais pas comment vous avez fait pour vous habituer à cet endroit, je ne retrouverai jamais ma maison si j’habitais ici. Je passerai mon temps à atterrir chez les uns ou chez les autres. Ah je suppose que ce serait une bonne manière de rencontrer des gens mais tout de même ce n’est pas très poli de se pointer comme ça chez des inconnus. Imagine t’es là, en train de te déshabiller et t’as un gars comme moi qui se pointe en mode « je suis rentré ! » ce que je dirais bien entendu jamais vu que j’habite seul, mais tu vois un peu le tableau ? »

Qu’est-ce qu’il raconte ? Oh il a envie de s’enterrer sous les pavés du marché maintenant. Qui l’a amené dans ce monde et a décidé qu’il aurait des cordes vocales pour s’exprimer quand clairement ce n’était pas ce qu’il faisait de mieux ?

La remarque du noénaute aurait pu lui passer au-dessus de la tête. Si ladite tête n’était pas déjà bien enfoncée dans ses bêtises. Au lieu de gentiment sauter par-dessus son cerveau, elle s’y fiche et Micah se retrouve à fixer le noiraud d’un air hébété, qu’il est bien incapable de contrôler. Comment ça ?

« Mais je ne parlais pas… enfin. Je ne disais pas ‘toi’ en parlant vraiment de… euh. » sort de sa bouche. Pas très intelligent, pas forcément très éloquent non plus. Heureusement que son métier ne lui demande pas de devoir s’exprimer devant un public. Il serait cuit sinon. « Ce que je veux dire c’est que… oh et puis laisse tomber. » finit-il par abandonner avec un soupir frustré.

Il n’est pas certain qu’il l’ait écouté de toutes façons, encore heureux. C’est mieux comme ça. Et d’ailleurs pourquoi l’invitait-il à le voir se déshabiller au juste ? Qui disait ça aux gens dans la rue ? Certainement pas Micah.

« Eh..ça te dit de te pointer chez un.e inconnu.e ? »

Comment ça chez un.e inconnu.e ? Quoi ? Le pandémonique n’a pas le temps d’esquisser une réponse ou même simplement un questionnement quant à cette idée saugrenue que l’autre l’embarque déjà, quasiment à l’opposé de leur direction première, esquivant passants et achalandages pour rejoindre des rues adjacentes. Ils ne vont tout de même pas entrer par effraction chez quelqu’un si ?

« Attends attends ! On va où là ? » ahane le châtain derrière lui, le suivant malgré tout. Les mauvaises idées, Micah ne sait pas les esquiver. Sinon il ne se retrouverait pas dans toutes ces galères au quotidien. « Tu ne peux pas dire des choses pareilles et ne pas développer ta pensée ! »

« Est-ce que tu as besoin que je développe encore plus ma pensée ou…peut-être que tu as très envie de me faire confiance ? »

Micah ne sait que répondre à cette phrase parce que l’intonation lui crée une drôle de chaleur dans les joues et sa poitrine lui semble légèrement plus étroite mais… ce n’est pas désagréable. Heureusement que le noénaute ne reste pas tourné vers lui une seconde de plus parce que l’architecte ne sait pas quoi faire de ses pommettes chaudes. Dépourvu de mots il se contente de suivre l’autre, parce qu’au fond oui. Oui il a très envie de lui faire confiance. Son assurance n’est pas anodine. Elle vient forcément d’une connaissance de quelque chose, suffisante pour ne même pas formuler une pensée de doute.

Micah l’envie un peu.
Même dans son domaine de prédilection tout n’est que doute. Et pourtant il le pratique depuis près de huit ans déjà. Et la peinture on en parle pas… toute sa vie pour douter à chaque coup de pinceau posé. Ridicule.

L’attention attirée de nouveau par ce que fixe l’autre, Micah comprend qu’il est concentré sur une porte de service. De quel établissement, ça il n’en sait rien, mais les personnes qui y travaillent sont visiblement d’une beauté peu banale. La jeune femme est belle, Micah doit bien l’admettre. Elle sait se mettre en valeur par des couleurs qui lui ravissent le teint et s’accordent avec ses cheveux. Elle doit le faire souvent. Comme l’alchimiste semble souvent se retrouver dans ces situations.

« Céleste, c’est son prénom. Vrai ou faux, j’en sais rien. En tout cas je préfère te prévenir, elle est vachement moins délicate qu’elle en a l’air, mais t’as de la chance, elle m’aime bien et en plus, elle est un tantinet superficiel. »

De quoi est-ce qu’il lui parle ? Cette jeune femme s’appelle Céleste ? Si c’est son vrai prénom il est beau. Et poétique. Micah aime bien. Mais il est un peu plus attiré par le mouvement du noénaute qui se munit d’une potion qu’il applique un peu à la barbare sur son visage.

« Comment tu me trouves ? »

Micah reste interdit un instant, pas certain que ses yeux ne lui jouent pas des tours. Prend-il le temps pour la première fois de vraiment observer le visage de l’autre ? Peut-être. Mais l’alchimiste en face de lui est vraiment… surréel dans sa beauté.
Déjà que Yiwài était beau à se damner mais là… Micah en est à court de mot. Peut-être sont-ce ses yeux qui le fascinent. Ou la manière dont ils s’harmonisent avec la forme de son nez et ces lèvres qui ne semblent jamais vouloir cesser d’arborer un sourire.
Le cœur de l’architecte renvoie un peu trop de sang vers ses joues, il le sent.

Micah se permet, en tout cas il espère que ce ne sera pas mal placé, d’essuyer un peu de potion qui entache un peu sa pommette et de l’essuyer sur son pantalon.

« Hm… » beau. Il a envie de répondre beau. Mais est-ce que c’est ce genre de réponse qu’attend l’alchimiste ? Veut-il savoir si ce visage magnifique va charmer Céleste ? Ah. Peut-être qu’il l’aime bien. Ses paroles lui reviennent brusquement en tête et ses yeux s’agrandissent légèrement de réalisation, et il se fend d’un sourire amusé. « A tomber. Je suis certain qu’elle te trouvera suffisamment beau pour la convaincre de te prêter son balcon. » C’est bien ça hein ? Il a bien compris ? Il ne vient pas de s’enfoncer bêtement dans une idiotie ?