Au-delà

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Ses allures froides masquant son eau tempérée, le Lonely Ocean va et vient aux pieds de l’immense Cittàgazze, grapillant quelques marches et pontons dans ses heures tumultueuses. Vaste horizon d’un bleu-vert captivant, personne ne saurait dire si d’autres terres existent au-delà, si d’autres survivants ont passé le pas de ce monde et attendent dans l’incertitude que le cours des choses s’inverse. Pour beaucoup, le Lonely Ocean est le début et la fin de toutes choses. La croyance s’est répandue du fait des nombreuses expéditions parties explorer l’océan, sans jamais ne serait-ce qu’en discerner les contours – rares furent celleux à avoir eu la présence d’esprit de faire demi-tour avant d’être condamné·e‧xs.

À un kilomètre de Cittàgazze, les ruines d’Oxford sont un repère où noénautes, pêcheur·euse‧xs, chasseur·euse‧xs de ruines et trafiquant·e‧xs se mêlent. De l’ancienne capitale victorienne, il ne demeure désormais qu’une vaste coupole à demi-effondrée où les chevilles baignent dans l’eau. L’iode jette d’étranges stigmates sur les colonnes de pierre encore intactes, et lors des crues, l’endroit est presque entièrement submergé. Pour y parvenir, les cittadini empruntent péniches, barques ou chemin de fer, marchant le long des rails pour gagner la Cupola del Duomo. Comme une infinité d’autres énigmes de Cittàgazze, le chemin de fer [inspiré de celui du Voyage de Chihiro d’Hayao Miyazaki] est sorti des eaux lors de l’effondrement et se prolonge dans l’océan jusqu’à une cinquantaine de kilomètres de la ville, avant de s’estomper comme un mirage. Il ne mène nulle part, et personne ne sait qui a pu le bâtir. L’idée de le détruire fut soumise plusieurs fois au Consiglio, pour en extraire pierre et fer, mais l’étrange aura du chemin de fer a toujours enraillé cette manœuvre.

Vaste champ de ruines cerclant l’Oxford immergé, le désert des Tartares tient son nom d’une historique bataille entre le Magisterium et le peuple tartare dans [le monde de Lyra]. N’ayant laissé derrière lui que désolation et ruines gelées, l’appellation s’est imposée d’elle-même aux cittadini. Jusqu’au récif, les débris s’entassent pêle-mêle dans une eau peu profonde et étrangement limpide, révélant des bribes d’un autre temps. Pans de façade, pierres d’édifices, ferraille, tuiles, bas-reliefs, objets du quotidien et pavés recèlent parfois quelques trouvailles que les chasseur·euse‧xs de ruines viennent débusquer parmi les coraux et le sable.

Bordée par le Lonely Ocean d’une part, Cittàgazze se trouve d’autre part à flanc de montagnes recouvertes par une dense forêt [inspirée de la forêt dans Princesse Mononoke d’Hayao Miyazaki]. Les arbres immenses rivalisent de prestance pour aller toucher le soleil, ombrageant les pics sous une épaisse couverture de ramures et de lichens. Les troncs, pouvant atteindre plusieurs mètres de diamètre, sont recouverts d’une mousse verdoyante, là où le sol de la forêt se démène sous les racines enchevêtrées, l’humus et les pierres drapées sous les fougères.

Bien qu’elle soit pleine de vie, regorgeant de plantes médicinales, de bois solide et de fruits, presque aucun·e‧x cittadini ne parcourt la forêt. Quitter Cittàgazze n’est pas considéré comme un acte de courage, tout au plus de folie. En effet, abritée derrière ses remparts, la cité offre un abri contre i fantasmi [les spectres], des êtres immatériels dévorant les âmes des mortel·le‧xs lorsque celleux-ci atteignent l’âge adulte. Les humain·e‧xs ne sont ensuite que carcasses vides, errant sans aucun but avant de se laisser dépérir. I fantasmi naissent d’anomalies au sein de la Poussière, dont ils se nourrissent. Seul·e‧xs les adultes sont capables de les percevoir, sous forme de fantômes drapés de haillons noirs à taille humaine.

Protégé·e‧xs au cœur de Cittàgazze, seul·e‧xs quelques cittadini bravent le danger des fantasmi pour s’aventurer dans la forêt et en récupérer les précieuses ressources. Il s’agit pour la plupart des mineur·euse‧xs des mines de fer de ciel se trouvant à quelques kilomètres de la ville, au cœur de la forêt. Celleux-ci travaillent pour le compte des solmènes en échange d’un toit, du couvert et d’une perspective de salut. Beaucoup ne réchappent pas de ces périples pour récolter le [sky iron], ce minerai mystérieux, immensément résistant et précieux, dans lequel Æsahættr aurait été forgé. Quelques chasseur·euse‧xs de ruines, explorateur·ice‧xs et insensé·e‧xs s’aventurent parfois elleux aussi dans la forêt, mais peu en reviennent sain·e‧xs et sauf·ve‧xs. Parmi ces dernier·ère‧xs, on retrouve quelques fois des apprenti·e‧xs inkumboli, gagnant le cirque de la Solitude, dans les montagnes, pour réaliser le rituel de leur transformation.

Monde fertile et prospère dont sont originaires les nimrodien‧ne‧xs (un temps appelé‧e‧xs traversé‧e‧xs par les cittadini), Nimrod fut présumé détruit le 17 octobre 31 [intrigue] par l'effondrement. Réputée pour ses architectures monumentales, cette terre avait érigé la Tour de Babel, édifice majestueux élancé vers les cieux pour défier la voûte céleste et la puissance des cosmogonies. Une faille ouverte vers Cittàgazze a permis à quelques nimrodien‧ne‧xs de survivre à l'effondrement de leur monde et de rejoindre la cité des cimes, dans une gare dénommée gare de l'Oiseau. Ce nouveau peuple se dit descendant de Nimrod, qui fut dans leur Genèse le premier roi après le Déluge. Celui-ci appela au renversement du pouvoir de Dieu et à la création d’un Royaume gouverné par les humain‧e‧xs. Pour ce faire, il fit construire la Tour de Babel, majestueux édifice élancé vers les cieux pour défier la voûte céleste. Dans le monde de Nimrod, cette merveille n'a pas été détruite par la main de Dieu et a perduré à travers les siècles.

Nimrod était un monde majestueux où se trouvaient de nombreuses mégalopoles aux virtuosités architecturales. Cependant, une partie conséquente de la population pratiquait un nomadisme de pèlerin‧e‧xs, de cité en cité, dans une recherche constante de nouveautés et de plaisirs. Le trafic ferroviaire y était bien plus développé que sur Terre et ces trains pouvaient, selon les dires des nimrodien‧ne‧xs, traverser les mondes. La Gare de l’Oiseau, au large de Cittàgazze, en est l’ultime vestige : un ilot affublé d’une arche de pierre et de quelques bancs, lieu de la fuite suite à leur effondrement. Le chemin de fer mystérieux de Cittàgazze semble tendre vers elle, sans pourtant l'atteindre.

Un ensemble de cultures variées et riches faisaient de Nimrod un monde vaste en tout aspect ; intellectuel, artistique et culturel. Des cultures distinctes se fondaient pourtant les unes dans les autres avec harmonie, quoique certains rites leur étaient propres. Une coutume était toutefois répandue dans tout Nimrod : celle du dernier feu, un immense bûcher où danses et chants accompagnent les ombres ayant terminé leur passage sur la terre dans une ultime crémation. La mort est entourée de célébrations et fêtée comme l'accomplissement de la vie qui fut offerte. Les nimrodien‧ne‧xs possède un rapport très apaisé à la mort, qu'iels la considèrent comme une nouvelle étape de la vie, une continuité, qu'il n'est pas nécessaire de pleurer longtemps. Des mètres existent d'ailleurs pour interpréter la distance entre lae nimrodien‧ne‧x et son ombre en années de vie. Certain‧e‧xs pensent que cette ombre est la malédiction que Dieu lança sur l'humanité pour avoir oser défier son autorité dans la construction de la tour de Babel. Parmi les nimrodien‧ne‧xs, une secte secrète, la secte de l'Illuminisme, a pris de l'ampleur depuis quelques décennies, cherchant un moyen de vaincre les ombres en pensant ainsi obtenir la vie éternelle. Leur sceau symbolise l'homme de Vitruve de Leonard de Vinci, et iels sont notamment à l'origine d'un engin appelé l'éblouisseur pour détruire les ombres, dont on ignore encore s'il fonctionne bel et bien.

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