Il y a de ces jours où tu ferais mieux de rester terré dans ton atelier. T’es habitué à ton petit quotidien bien organisé. Tu fais un peu toujours les mêmes choses aux mêmes heures parce que ça t’aide à ne pas avoir peur. Tout a empiré depuis le retour. La vision t'as hanté longtemps. Tu n'arrivais pas à t'en sortir, elle se répétait sans cesse. Et toi, plutôt habitué à voir des bribes du passé, cette vision du futur t'as secoué. Tu voulais comprendre, trouver une réponse alors t'as plongé. Toujours plus loin, toujours plus profond. Tout pour que la vision continue, s'affine. Et t'as tout loupé, t'es resté des heures perdu dans cette vision. Heureusement, tu étais en sécurité, mais ça te hante encore. T'as l'impression que tu pourrais te trouver une nouvelle obsession, tout pour que ton don d'haruspice soit plus facile à contrôlé, que tes visions soient toujours plus clairs. Tu te perds et encore parfois tu ne sais plus distinguer le réel du rêve. Tu te perdras.

Orion se fout de ta gueule pour cette peur qui te paralyse, il ne cesse de te dire que tu es un vieux papy et qu’il faudrait que tu te bouge un peu. Ce qu’il ne comprend pas, c’est qu’il y a la douleur à chacun de tes pas et la peur de retomber nez à nez avec ton paternel. On ne peut pas dire que vous êtes partie du bon pied. Finir en garde à vue, c’est pas la meilleure façon de faire connaissance. Tu souffles alors que tu attrapes un autre livre abîmé. Il semble toujours y en avoir à réparer. La bibliothèque des Livres Brûlés est pleine d’ouvrage. Et tu sais que s’y retrouver pour qui n’y est pas habitué n’est pas tâche aisée. Il n’y a pas de classification, les rayonnages sont sans dessus-dessous. Un livre d’histoire de la Terre peut se retrouver à côté de contes pour enfant de l’Alterre. Il y a plein de mystères et de nouveaux mondes dans ces livres, tu pourrais t’y plonger des jours durant. Enlevant soigneusement la couverture abîmée du livre que tu répares, tu essaies de récupérer des chutes utilisables. Là où elle est trop abîmée, tu ajouteras des renforts. Dans ce livre, on t’a demandé de glisser un message au début du sixième chapitre. Tu ne sais pas ce qu’il veut dire et à qui il doit s’adresser. Seulement, il faut que le livre se retrouve à sa place avant ce soir. Il y en a plusieurs des ouvrages comme ça. On ne te donne rien d’autres que la liste des livres et leur message correspondant. À toi de te débrouiller pour faire ça dans les temps et discrètement. Normalement, ça passe suffisamment inaperçu pour qu’un œil non averti ne remarque rien, mais tu te dis qu’avec un peu de chance, quelqu’un·e pourrait comprendre la combine.

Le livre, une fois réparé, rejoint la pile de ceux à message. Il en reste encore, mais tu en as plusieurs à ranger dans les étagères alors tu les poses tous sur ton petit chariot à roues. Tu revérifies ta liste, ils sont tous là. « Viens, faut qu’on range ça. Tu peux m’aider avec le chariot ? » Le berger australien opine de la tête et pousse avec toi. Vous vous retrouvez au milieu des lecteur·ices dans l’odeur poussiéreuses des livres. Tu ranges tous ceux que tu devais mettre à leur place et c’est en repartant vers ton atelier que l’on t’interrompt. L’inconnu·e n’est pas si inconnu·e que ça. Il s’agit de Nell, l’une des sœurs de Siren. Tu l’as déjà vu quelque fois lors de réunions de famille qui se transforment bien vite en fête sur tout le port. Tu sais qu'elle a fini aux mains des zutiques suite au meurtre de l'absent‧e du trafic de l'ambrume. Tu ne sais pas bien ce qu'on lui a fait subir, mais il reste qu'elle comme toi n'êtes pas en bon état. Le retour du porteur du poignard vous a beaucoup pris. Poussant ton chariot contre une bibliothèque et récupérant ta canne, tu reportes toute ton attention sur la Covenant. « Je peux t’aider ? Tu cherches un livre en particulier ? Quand on n’est pas habitué, c’est compliqué de trouver ce qu’on veut ici. » Tu te demandes ce qu’elle peut bien te vouloir. Tu sais qu’elle est forgeronne, peut-être qu’elle cherche un livre là-dessus. Tu t’appuies un peu plus sur ta jambe droite pour soulager ta jambe blessée qui te gêne déjà. La journée n’est pas encore très avancée, ça promet pour ce soir. Tu espères que Siren ne voudras pas vous faire cavaler dans la Ville Basse pour résoudre un vœu ou un autre.

@Nell Covenant

Tu détailles Nell. Elle t'a l'air tellement fatiguée. Tu ne la connais pas bien, pour toi, c'est juste la sœur de Siren et tu n'as jamais vraiment appris à la connaître. Tu t'es déjà retrouvé une ou deux fois sur la péniche des Covenant et c'est là que tu l'as croisé. Si tu te souvient bien, elle est haruspice, comme toi et tu te dis qu'elle a dû avoir l'horrible vision du retour comme toi. Tu serres tes mains sur le chariot. Tu as encore quelques livres à disposer dans les rayons et tu ne pensais pas être interrompu.

Elle te tend un feuillet avec l'un des messages codés que tu glisses dans les livres. Tu ne sais pas comment elle est tombé dessus. Tu ne sais pas quelles informations elle est là sur la question. Ton cœur s'accélère, tu as peur d'être découvert et de mettre en danger une partie du réseau d'espionnage zutique. Tu fais juste le lien, tu ne sais pas à qui ça s'adresse et ce que ça veut dire. Après tout, les messages sont codés. « Je n'en sais rien. » Que tu bafouilles en réponse. Le message qu'elle te tend, tu l'as mis en place il y a environ deux semaines dans une copie du Vieil Homme et la Mer d'Hemingway. Tu ne sais pas comment il s'est retrouvé entre les mains de Nell. « Tu as trouvé ça où ? » Tu feins l'ignorance, mais le tremblement dans ta voix pourrait lui montrer que tu mens.

Tu sens que la paume de tes mains deviens trempée de sueur. Tu ne sais pas comment te sortir de cette situation et tu te sens en fait piégé. Orion, à tes pieds, ouvre la bouche et tu lui intimes du regard de se taire, mais rien n'y fait. « C'est pas un des messages qu'on - Tais-toi ! Je sais pas ce que c'est, je peux pas t'aider. » Et tu vas pour te retourner et partir te terrer dans ton atelier, mais tu trébuches et t'étales face contre terre au pied de la Covenant.

Tu ne te sens pas super à l’aise. Tu sais que tu n’as pas le droit de donner d’information sur ces messages. Tu n’en comprends pas le contenu, mais tu sais qu’ils ont un rôle à jouer dans l’influence de la faction. Et tu n’es pas forcément le plus loyal des zutiques, ça te semble pas être grand-chose en fait. Seulement, Nell veut des réponses et tu pourrais lui en donner. Tu commences à paniquer, parce que tu ne sais pas mentir, pas vraiment. En fait, ce genre de confrontation, ça fait partie des nombreuses choses qui te font stresser. Et bien entendu, il fallait qu’Orion vende le début de la mèche. Il ne sait pas tenir sa langue et certainement qu’il veut encore te pousser à faire quelque chose. Seulement, ça te met potentiellement dans la merde alors tu bafouilles une excuse. Tu voudrais pouvoir repartir et te terrer dans ton petit atelier.

Nell te demande si tu peux en parler librement, et tu es à moitié tétanisé, pas vraiment certain de ce que tu devrais faire. Alors tu ne fais rien. Ce qui est pire. Et Orion te regarde avec ses grands yeux. Au moins il se tait. « Non, je… c’est vraiment rien, je t’assure. » Tes excuses sonnent creux et tu fais tout pour écourter la conversation. Alors tu te retournes, parce qu’il faut que tu partes. Sauf que tu es maladroit et que tu tombes. Ta jambe blessée a lâché sous ton poids et tu t’écroules au sol. Tu es mortifié. Là, il n’y a plus aucun moyen que Nell ne te laisse tranquille à ce propos. Elle t’aide à te redresser puis à te relever. Tu n’es toujours pas très sûr de ce que tu devrais faire. Parce que si tu en parles, c’est mal, non ? Ça pourrait bien te retomber dessus. Mais si tu dis rien, elle ne te lâchera pas et tu finiras de toute façon par cracher le morceau. Autant lui dire ce que tu sais maintenant.

Tu t’essuies les mains sur ton pantalon. Et tu crispes ton poing sur ta canne. « D’accord. Allons dans l’atelier. » Tu te remets derrière le chariot et tu le pousse jusqu’à l’atelier suivi de Nell. Arrivé là-bas, tu vérifies qu’il n’y a rien de trop compromettant sur ton plan de travail et pousse le chariot contre un mur. Tu aimerais relier deux autres ouvrages avant de finir ta journée et tu espères que ça ne prendra pas trop de temps. « Tu peux t’asseoir là. que tu annonces à Nell en lui montrant un tabouret. Je sais que ce sont des messages. Je ne sais pas pour qui ils sont ni ce qu’ils veulent dire. » Tu te penches sur ton plan de travail et tu vérifies machinalement l’état du livre que tu dois réparer. La couverture est trop abîmée pour la garder, tu devras en faire une autre. C’est un conte de la Terre, Les Milles et Une Nuits. Tu en as déjà lu des extraits et tu as envie de dessiner sur la couverture. Tu es sûr que tu pourrais embellir ce livre. « Je sais que tu as été attaquée par le patron de la Nef, moi j’y suis pour rien et je n’aime pas la violence des zutiques. On me dit rien, je veux juste écrire de la poésie et dessiner. Les noénautes ont des rêves d’exploration que je ne partage pas. La mer m’a pris mes parents, ça me fait peur. Les attentats des zutiques aussi. Je veux juste que Siren et Spriggan soient heureuses, qu’on ait notre bateau et qu’elles puissent partir à l’aventure. Je les suivrais jusqu’au bout du monde. Avec elles, j’ai moins peur. Tu reprends ton souffle parce que tu te rends compte que tu serres les poings, que tu balances tout d’une traite. Je crois que je suis pas la bonne personne pour t’aider là-dessus. »

Tu parles peut-être un peu trop. Certainement. Tu avais ce besoin de te justifier, de lui prouver que tu ne savais rien. Parce que c’est la réalité. Les petits papiers sont sur ton bureau le matin venu avec le nom du livre, le message et quand il doit se retrouver dans les rayons et c’est tout. Toi, tu ne fais qu’exécuter les ordres. Relier les livres, glisser le message à la page demandée, ranger et recommencer. Peut-être qu’il aurait suffi que tu lui racontes ça. C’est déjà trop tard. Nell ne répond pas directement à ce que tu viens de déballer. A la place, elle s’approche de toi et te demande si tu n’as mal nulle part. « Non, tout va bien. Elle me fait mal, mais c’est normal. Elle me fera toujours un peu mal. » Tu es un peu pris au dépourvu et encore une fois tu es brutalement honnête. Ta jambe, tu t’y es fait. Tu as bien dû accepté ça, l’accident est arrivé et tu ne peux plus rien y faire. Tu as encore un peu de mal à en parler. Harpi était un·e ami·e et tu sais qu’iel ne voulait pas te blesser, juste impressionner Phantom. Tu vis avec.

Et puis il y a la question. Et là, tu ne t’y attendais pas. Parce qu’en vérité, tu ne sais pas vraiment. Nell t’impressionne, mais est-ce qu’elle te fait peur ? Tu n’es sûr de rien. Tu ne relèves pas les yeux, continues à manipuler l’ouvrage. Tu retires soigneusement la couverture, en silence. Ce n’est qu’au moment d’aller chercher le matériel qu’il te manque que tu regardes Nell. « Non, pas vraiment. Je sais juste que je ne pourrais pas me défendre, face à personne. » Tu as bien conscience de tes capacités. T’es faiblard, chétif. On ne parierait jamais sur toi. Tu ne parierais jamais sur toi. « C’est vrai que j’ai un peu paniqué tout à l’heure. Je voulais fuir, mais j’ai pas trouvé d’issue. » Ta voix se fait murmure, parce que tu te sens honteux. Tu es tellement lâche, tu n’aimes pas cette facette de toi, mais tu ne sais pas faire autrement.

La noénaute se désintéresse presque de toi et ça t’aide à ne pas te sentir si mal. Elle attrape l’un des livres que tu as réparés récemment et le feuillètes. « Oui, j’aime bien faire ça. Parfois je dessine sur les couvertures, au début des chapitres. Tu vas chercher un ouvrage en particulier que tu lui tends timidement. Celui-là par exemple. C’est l’histoire d’un baleinier qui lutte contre un cachalot. C’est un peu effrayant parfois, mais je pense qu’un cachalot c’est beau. J’aimerais bien en voir en vrai. » Tu réponds rien d’autre, juste un hochement de tête. Tu te sens mieux maintenant que tu sais que la conversation à propos des messages est derrière toi.