it won't kill you (but it'll hurt)

Contre sa hanche, dans le sac en bandoulière, pèse l'exemplaire qu'on lui a troqué en échange d'une magnifique tenue. Et qu'on ne s'y trompe pas, la superbe de l'exemplaire égalerait sans souci celui du vêtement qu'elle a cousu et marchandé honnêtement, s'il ne s'avérait pas être un faux. Odalys a eu la malchance de découvrir cette mauvaise surprise quand elle a souhaité l'échanger contre les matériaux précieux et rares dont elle a besoin pour la collaboration qu'elle a avec Pelléas.

« C'est un escroc ! » S'insurge Lirong, le bec claquant de fureur. Mais Odalys lui demande de se calmer d'une main tendre contre sa tête. Elle aussi le pense, au fond - ce n'est pas vraiment la première fois qu'on lui fait ce coup (la faute, elle suppose à son apparence juvénile) ... sauf qu'elle ne peut pas se permettre d'aller accuser les gens à tout va, sans preuve : ça nuirait à sa réputation, surtout dans la Haute Ville où son travail est encore très peu connu.

Alors à la place, elle attend, emmitouflée jusqu'au nez, devant la Bibliothèque des Quatre Mondes qu'il sorte. Elle sait qu'il travaille aujourd'hui, elle a vérifié en entrant très brièvement dans l'endroit pour le repérer et est ressortie aussitôt après, bien décidée à le cueillir à sa sortie.

« Tiens, le voilà. » Les mots claquent en même temps que le bec. Le mécontentement de Lirong à la vue de Juste est une évidence, miroir de la propre colère d'Odalys. Mais elle veut lui donner une chance, rien qu'une, avant de s'énerver sur lui : « Monsieur Delamare ! » l'interpelle-t-elle, tendant le bras pour attraper sa manche et l'empêcher de fuir. Lirong, lui, s'est posé face au Nimrodien en claquant du bec d'un air menaçant. « Bonjour monsieur Delamare, je suis contente de vous revoir » Elle arbore son sourire le plus commerçant en stock, sa voix la plus aimable et raisonnable et elle continue en sortant de son sac la contrefaçon : « je voulais justement vous parler de l'annulation de notre troc, vous rendre votre livre et récupérer la tenue que j'ai faite. »

L'ambiance studieuse de la salle des copistes, si propice à calmer Juste lors de sa première année d'exil, devient lugubre et lui tape sur les nerfs. Eirhart a toujours son nom sur la plaque du bureau, présupposée rectrice appelée à de plus hautes fonctions, et se savoir, de près ou de loin, sous sa botte, en laisse, le fait fulminer (tous) les mauvais jours. Quelle utilité ont-iels, tous‧te‧xs ? Préserver des connaissances qui ne serviront plus jamais, sous des critères religieux, sans qu'aucun‧e‧x ne comprenne même ce qu'iel ne lit. Il a vu passer des textes magnifiques, comme des torchons, ses mains ont développé des cals et la nuit ses doigts sont brisés de crampes.

Fourbu, la bouche grande ouverte sur un bâillement, c'est avec bonheur et fatigue qu'il s'extraie enfin de son poste, après une longue journée perdue dans les parchemins. Il n'a qu'une hâte, se poser dans un bistro et savourer une bière fraiche.

C'est sans compter sans une admiratrice - trop jeune - ah. La sorcière Covenant. Son sourire de convenance se fige et s'il ne se défait pas de sa poigne, et bien, c'est qu'il n'y arrive pas. "Mademoiselle Covenant, quelle surprise. Enfin, ne parlons pas affaires ici, voyons, venez..." Il tente de l'attirer un peu plus loin, afin de ne pas bloquer le passage (et de ne pas être vu de tous‧te‧xs. "L'annulation ? Enfin, non, ce n'est pas possible."

Pourquoi ça n'arrive qu'à lui ? Le petit minois d'Odalys est charmant, mais le livre qu'elle tient à la main beaucoup moins. Refermant sa main dessus, il le pousse vers la jeune femme avec fermeté. "J'ai usé ces habits - une soirée un peu trop, enfin, vous voyez, enfin, non - ils ne valent plus ce livre, je serais bien trop gêné d'accepter. Je n'ai pas eu à m'en plaindre, c'était du très bel ouvrage."

A vrai dire, il ne sait plus trop de quelle tenue elle parle ; ce n'est pas la seule couturière chez qui il a ses habitudes (et ses comptes à rendre). Peut-être la bleue ? Ou la rouge ? Dans tous les cas, il ne la rendra pas, qu'importe ces histoires de troc. Donner, c'est donner. Qu'importe qu'il ait volé d'abord.