tw pouvant être évoqués : psychophobie, suicide
Les mois s'écoulent et la vigueur de Nicholas s'étiole, son optimisme avec, face au drame sans fin que représente le retour d'Arthur parmi elleux. Cela fait bientôt deux ans, deux années passées à se battre contre un ennemi souvent invisible, parfois nargueur, toujours décidé à leur retirer leur frère comme la pire des expéditions. Nicholas ne détestera jamais sa famille, mais Lone ne fait pas partie des Covenant et cette personne étrangère qui porte les traits de son frère lui est insupportable.

Il ne peut concevoir ce qu'a traversé son frère ; il sait également que les trois années de disparition d'Arthur n'ont pas été de tout repos pour quiconque, et que cette responsabilité supplémentaire est en train de les briser, tous‧te‧xs. Leur mère, ses adelphes, Arthur lui-même. Leurs ami‧e‧xs, familles, couples. Demander à Kafka d'héberger Arthur chez elleux n'allait pas de soi, demander à tous‧te‧xs d'accourir au besoin, de surveiller, de garder, d'égayer une personne qui pouvait à tout moment leur hurler dessus, chercher à se blesser, n'était pas si simple. Iels sont tous‧tes fatigué‧es.

Iels avaient cru au miracle. Lui, Carine. Les Covenant. Au miracle de ce retour, indemne. A une guérison rapide, par la famille, par le retour à la vie habituelle, mais il n'y avait plus rien d'habituel à leur quotidien, si ce n'est ce qu'iels en volaient bouts par bouts. Arthur avait retrouvé son autonomie, mais Arthur n'était pas tout seul, pas tout le temps, et ignorer Lone serait ignorer les risques et perdre Arthur à nouveau.

Comment vivre avec la maladie ? Nicholas ne s'était pas attendu à devoir se poser ces questions : les non-sedentari meurent jeunes, les cittadini encore plus. Spectres, chutes, attentats, assassinats... La mortalité se faisait bien sentir dans leur dernière demeure. Alors, il avait omis d'y penser, ou il s'était voilé la face, comme pour Kassandra et sa fiancée.

Et maintenant, après deux ans de retour, son constat était amer. Lone ne partirait pas. Arthur ne redeviendrait pas le frère ainé sur lequel il pouvait s'appuyer pour ne pas supporter le poids de cette famille seul. Tous‧te‧xs grandissaient, vivaient leurs vies, et Nicholas étouffait davantage de les trouver chacun‧e‧x plus fragile, plus mortel‧le. Comment avait fait ses parents ? Il n'osait pas poser la question à leur mère, sensible à ses rides de fatigue, à ses pleurs, à ce qu'elle saurait déceler chez lui. Il n'était pas prêt à ce qu'elle le perce à jour.

Il ne restait personne : tout du moins, personne de vivant. C'était une idiotie, une relique dégotée au fond de la brocante, mais ça avait l'air de marcher, et cela faisait quoi, quatre ans ? Quatre ans sans paternel, plus sans frère, et il n'en pouvait plus non plus, de cette solitude au milieu des autres. Carine ne voulait pas qu'il le fasse, s'était éclipsée dans une autre pièce pour ne pas voir ce fantôme : ce serait trop douloureux pour elle, de voir Tomas sans jamais plus voir son daemon à ses cotés, trop tangible. Nicholas, lui, se sentait ce soir prêt à tout, si cela pouvait arranger les choses.

Alors il pose le vinyle sur le tourne-disque. Il écoute sans faillir la musique d'outretombe qui s'en échappe, fermant les yeux jusqu'à la fin de la chanson, les poings serrés, incapable d'imaginer la suite si on lui a menti, si rien ne se passe - "Nicholas." "Papa !"

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Ils n'ont que quelques minutes et pourtant le temps s'écoule au ralenti, alors qu'il peut enfin remettre une voix, un visage sur ce père disparu. Il s'abreuve de ses mimiques, de son regard si semblable au sien, il remarque la fatigue et les rides qu'enfant il ne pouvait pas voir, le poids des années et des responsabilités que Tomas avait fait siennes avec tant d'aplomb que ses enfants le pensaient invincible, immortel. De son coté, le fantôme en fait de même, ses mains de brume effleurent les épaules de Nicholas, et malgré le froid que ca lui procure, le jeune Covenant les attrape entre les siennes, leur rend une certaine matérialité - au détriment de sa vie. Tout, pour se rendre compte que ceci est réel.

"Je ne peux pas rester longtemps. Raconte-moi tout." Il s'y est préparé et Nicholas n'hésite pas : les naissances, les décès, les trahisons et les victoires, familiales et noénautes, jaillissent de ses lèvres sans discontinuer. Il n'a pas le temps d'y mettre de l'émotion, comme Tomas n'a pas le temps de l'interrompre, les yeux durs et calculateurs, avide de ces nouvelles, avide du pouvoir qu'il a perdu en mourant, probablement.

"- et il faut que tu me dises quoi faire papa, pour Arthur - j'ai parfois l'impression qu'il est toujours là-bas, sur cette ile, mais j'y suis allé, et il n'y a rien, et il ne peut pas ne rien avoir à faire. Je ne peux pas le perdre à nouveau, ca nous - je ne le supporterais pas." Ce n'est qu'en fin de souffle qu'il se brise, que les larmes qu'il refoule depuis trop de semaines jaillissent, épongées par les mains avides d'un spectre qui a oublié ce qu'était la pluie. "Tu n'as pas le choix. Arthur n'est pas mort. Il n'y a aucune partie de lui qui m'ait rejointe. Cela ne veut pas dire qu'il n'a pas été changé, et il faut que tu l'acceptes. Il n'a pas changé, c'est Lone qui le possède ! Et Lone fait partie de lui. Je le regrette tout autant que toi, voir plus, car c'est moi qui l'ait mis sur ce navire, mais c'est fait. Tu ne peux aller contre. Et tu ne peux pas décider pour lui."

Tomas s'est écarté, sa voix diminue comme dans un chuchotement. Nicholas se force à le regarder, malgré les larmes, malgré le refus de ses mots, malade de comprendre qu'il va le perdre pour de bon cette fois. "Tu peux nous aider, papa. Si tu lui parlais - Je lui parlerais quand il sera mort, tout comme toi, tes adelphes, Isle, ta mère, et mon petit-fils. Il a besoin des vivants. Mais.... Il y a du bruit dans le corridor, et le jeune homme reconnait la voix de Carine, indistincte derrière la porte, sans s'en préoccuper. Ses mains cherchent à rattraper son père, à le maintenir ici, sans succès. "Dis leur que je suis fier. Je vous ai-"

Ce n'est pas un cri qu'il pousse, ni même un hurlement. Un gémissement de bête blessée, recroquevillé sur lui-même, cherchant à tâtons l'aiguille du tourne-disque pour faire tourner la musique une fois de plus. Il grelotte, comme vidé de ses forces, et peut-être qu'il y a un prix à payer pour faire venir les mort‧es. Mais qu'importe. Leur conversation n'est pas finie. Leur conversation ne peut pas finir ainsi. Sans réponses.

tourne-disque Une platine accompagné d'un vinyle jouant des sons d'un autre monde. Permet de faire apparaître un fantôme et de communiquer avec lui.