Tu ne pensais pas revenir de Cittàspide. La cité des serpents aurait dû t’engloutir dans sa chute. Lorsque les lambeaux sont réapparus, tu étais encore dans la ville, et tu as tout vu, absolument tout vu. La bête immonde reprendre vie, la rage de ses hurlements, les cris dans la cité qui annonçaient les plus grands drames. Tu n’as jamais couru aussi vite de ta vie, jusqu’au tunnel indiqué par les spidi pour rejoindre les montagnes et te mettre en sûreté. Tu as perdu de vue les autres analogues dans l’affolement, et c’est avec désespoir que tu pensais les avoir tous·tes perdu·es, avant de les retrouver, sain·es et sauf·ves, à Coatlinchàn. Tu ne sais pas par quel miracle vous avez pu réchapper à ce massacre. Ton cœur est lourd de ces vies qui ont probablement péri avec la destruction du Miroir fumant, tu ne sais plus d’où tu viens ni qui tu es. La découverte de la cité mythique a marqué une rupture dans ton existence, rien ne pourra jamais plus retrouver sa place dans ton esprit. Trop de nouvelles données sont désormais à prendre en compte, alors que la délégation spidi est elle aussi parvenue saine et sauve jusqu’à Cittàgazze. Pouvez-vous leur faire confiance ?

Depuis Cittàspide, la plupart des analogues ont fait le choix de rester à Coatlinchàn, même les espion·nes infiltré·es à Cittàgazze et lae membre du Consiglio. Il fallait se rassembler, se retrouver, faire front ensemble face à la nouvelle menace et décider des prochaines actions à entreprendre pour protéger le village, avant tout. Quelques jours se sont écoulés ainsi avant que lae Coryphée ne charge les faunes de retourner à leur couverture et à leurs complots. Tu n’es pas certain d’avoir envie de retrouver Cittàgazze, mais l’arrivée des spidi t’intrigue et t’inquiète à la fois ; tu dois en savoir davantage. Tu ne te satisfais jamais des zones d’ombre, encore moins lorsqu’elles ont trait à Cittàspide. Quoique la confiance des spidi soit à la votre avantage, vous ne devez pas baisser votre garde ; ton métier d’espion t’a suffisamment enseigné qu’il faut se méfier de tout le monde, tout le temps, mêmes de celleux qui se prétendent des allié·es – tes découvertes sur Jana vont en ce sens. Alors tu restes sur tes gardes, conscient des immenses enjeux impliqués dans cette vaste histoire.

C’est un matin que tu pénètres dans la forêt pour retrouver le chemin menant à Cittàgazze. Alors que tu sors tout juste du labyrinthe, une silhouette te fait te stopper net dans ta course. Ce n’est pas la première fois que tu l’aperçois rôder dans la forêt, près du labyrinthe, lui et ses instruments saugrenus sortis du fond des âges. Tu le vois gratter la terre, creuser, des heures durant, à la recherche de ce que tu supposes être des reliques. Tu ne connais pas son prénom ni même son affiliation – peut-être s’agit-il aussi d’un inkumboli ? – mais une chose est certaine : tu ne le laisseras pas s’approcher davantage de Coatlinchàn. « Tu ne devrais pas être ici. » tu lâches en t’approchant de l’étranger, dangereusement, les poings serrés et le regard plus noir que les billes insondables qui te servent de pupilles. « La forêt n’est pas à toi, ses trésors non plus. » tu ajoutes d’une voix dure, donnant un coup de pied machinal contre l’un de ses instruments demeuré au sol. Autour de toi, l’inconnu a creusé des trous et déniché quelques drôles d’objets, de vieilles pièces, des ossements, des morceaux de poterie. Tu regardes ces trouvailles d’un œil mauvais, avant de déclarer fermement : « Ne t’approche plus de Coatlinchàn. »

Il prend des risques, tant de risques à se trouver ici, transgressant à la fois les demandes des analogues et celles des pandémoniques, vulnérable aux spectres et aux attaques des animaux sauvages. La forêt est immense, pentue, à fleur de montagnes, et même si la neige n'a pas pénétré sous la frondaison des arbres, il y fait un froid mordant qui lui gèle les doigts et le rend gourd dans ses actions.

Il compense par une énergie nerveuse, coupable, jetant des regards derrière lui pour espérer ne pas se faire surprendre, grattant à chaque sortie quelques mètres, quelques dizaines de mètre même. C'est l'obsession qui parle, la soif dévorante de connaissance, d'avoir l'impression de toucher du doigt la vérité, bientôt. Il en est sûr, l'élévation du terrain est artificielle dans cette partie de la forêt ; sans savoir si cela est le fait des analogues, dont les dernières triangulations indiquent une localisation proche de leur village, ou d'une civilisation plus ancienne. Dans sa besace, l'archéologue conserve plusieurs traités parlant de l'Amazonie terrienne, qui enflamment son imagination et le font redoubler d'ardeur pour trouver des preuves tangibles de ses théories.

Cittàgazze n'a pas pu naitre, vivre et manquer mourir en totale autarcie ; la version officielle de la neutralité - ou de l'hostilité - de Coatlinchan sonne également creux à ses oreilles. Enfin, l'existence de Cittàspide, de sa population, remet en cause le mythe des villes états originelles. Ce n'est pas plausible qu'à de si petites distances, tous ces peuples se soient ignorés ainsi. Il manque un maillon commun. Quelque chose de plus large, d'oublié.

Tout à ses fantasmes et ses réflexions, installant un appareil de mesure de l'inclinaison du sol en pestant contre son manque de délié dans les phalanges, Zaher se fait surprendre. Nade aussi, alors qu'elle plante ses petites griffes dans la peau de son cou, remarquant trop tard l'inconnu qui s'approche.

Les menaces, tout de suite, tombent, et Zaher se recroqueville, reculant en se prenant les pieds dans ses affaires au sol. "Je- excusez-moi- bredouille-t-il, terrorisé par la violence qui émane de l'individu - un analogue ?! Avant qu'il puisse plaider sa cause, le blond tape son matériel et le chercheur échappe un grondement de colère. Ces instruments sont ses enfants, la prunelle de ses yeux. "C'est fragile !", un glapissement, bien vite ravalé alors que l'autre le met en garde et -

La colère l'abandonne, l'obsession détruisant tout sur son passage. "Attendez - le village est proche ? Vraiment ?" Il le savait ! Non, il le supposait, mais cette confirmation change tout. Fébrile, fiévreux, Zaher ne porte pas assez attention à ce sbire menaçant, s'accroupissant pour chercher de quoi prendre des notes. "Je n'ai pas vu le labyrinthe, à quelle distance - non, en fait, il s'agit déjà du labyrinthe, n'est ce pas ? Il ne fallait pas s'attendre à ce que celui-ci soit physiquement reconnaissable, nous ne sommes pas en Grèce." Quand le chercheur rentre dans ces transes, plus rien ne l'arrête, pas même le risque très, très présent de se faire agresser. Ce n'est pas tant pour l'autre qu'il parle que pour lui-même, à l'aise avec sa voix comme s'il était seul.

"Cela signifie que le labyrinthe est une construction antérieure à l'apparition des spectres, ou que leur date d'arrivée est fausse. A moins que les spidis aient choisi de s'installer ici du fait de cet avantage d'origine..." Nade lui mord l'oreille, seul moyen pour qu'il relève le nez, rappelé à la réalité par la proximité et l'intensité noire du regard de l'analogue. "Euh- suis désolé ?" Son ton questionnant dévoile son état d'esprit véritable, alors qu'il est enfin en présence d'un des analogues qu'il espérait tant rencontrer.

Pour une première bonne impression, on repassera.

TW violence, sang

L’autre s’excuse un peu piteusement, vraisemblablement terrorisé par ta venue – peut-être la seule émotion tout à fait légitime qu’il pourrait éprouver en cet instant, la peur. Celle que tu inspires par ta simple présence, parce que la cruauté émane de tout ton être. Elle tapisse tes moindres paroles et tes moindres regards. Tu pourrais le buter rien qu’avec les yeux, s’il venait à faire preuve de ces bravoures totalement dissonantes qui se soldent souvent par un coup de genou dans l’estomac. S’il tentait quoi que ce soit, tu es prêt, les muscles bandés, les dents serrées. Mais l’autre ressemble à un chiot échappé à sa portée ; pas vraiment de quoi éveiller la crainte en toi. Rire cynique lorsqu’il s’inquiète pour ses instruments de mesure, qui ressemblent tout autant à des instruments de torture, à tes yeux. « Ce n’est pas pour tes instruments que tu devrais t’inquiéter. » tu lâches d’une voix absolument mauvaise, dévoilant deux yeux impassibles et déterminés. Tu donnes un nouveau coup de pied machinal dans ses outils, juste pour le faire enrager et tenter de voir jusqu’où il serait prêt à aller pour de vulgaires babioles.

Tu t’apprêtes à t’approcher pour le saisir par le col et le jeter loin d’ici, lorsque ses paroles t’arrêtent net dans ton geste. Il évoque Coatlinchàn, et à cet instant, tes yeux ne sont plus seulement noirs ; ils sont assassins. Ses déductions sont parfaitement correctes, et elles ne glacent un peu le sang. « Tu cherches Coatlinchàn ? » tu grondes, te retenant furieusement de te changer en scorpion pour le faire taire à tout jamais et qu’il emporte dans sa sépulture les rares informations qu’il est parvenu à glaner sur Coatlinchàn. Tu n’es pas un froid meurtrier ; tu es méthodique, ce qui est différent. Tu n’aimes pas tuer sur de simples allégations, mais la perspicacité de l’inconnu t’enrage. Qu’est-ce qu’un gazzi est venu faire si loin de sa maudite cité ? Quels sont ses plans ; trouver Coatlinchàn pour le révéler à sa faction ? Est-il un espion ? Un bien mauvais espion, si tel est le cas. L’inconnu continue son étrange monologue et te partage ses déductions, qui t’intriguent malgré toi. Mais putain de quoi parle-t-il ? « Pourquoi t’intéresses-tu à notre village ? » tu lâches d’une voix sombre, voire funeste. Selon sa réponse, il ne vivra pas encore très longtemps. S’il se risquait à te mentir, tu ne donneras pas très cher de sa peau non plus.

Le mépris se change en colère, qui se change en noirceur. Tu ne laisseras jamais un cittadini s’approcher davantage du labyrinthe – dans lequel, de toute façon, il se perdrait jusqu’à en mourir – ni de Coatlinchàn. Tu l’attrapes par le col pour le plaquer violemment contre un arbre. « Qui es-tu et que cherches-tu ? » tu siffles près de son visage, l’assassinant de tes yeux clairs qui ont pourtant tout des obscurités furieuses. T’es si proche que tu peux sentir la peur émaner de son corps. Tu es plus petit et bien plus frêle que lui, pourtant ta poigne est d’acier et ne tremble pas. Tu attends tout juste sa réponse avant que ça t’échappe : tu te recules légèrement, de quelques pas à peine, les yeux toujours fichés dans les siens, avant de lui asséner un violent direct dans la gueule. Son crâne vient cogner contre l’arbre. Il s’affaisse au sol, le sang dodelinant de ses narines jusqu’à sa bouche. Tu secoues ton poing, engourdi par la frappe et les os saillants de l’autre, avant d’ajouter : « Je vais essayer de me montrer le plus clair possible : ne. reviens. jamais. »

Zaher a déjà eu affaire à des bagarres, à des jeunes personnes énervées qu’il faut séparer, que ce soit pour une histoire d’amour, de possessions ou de regard mal luné. Il a fait parti de ces victimes naturelles sur qui on déverse parfois sa colère, à l’école, étant déjà à l’époque catalogué comme le chétif premier de la classe, tout en ayant du apprendre à se défendre, à la maison, contre les attentions et les brusqueries de ses adelphes et cousin‧e‧xs devant se partager un espace commun et cherchant tous‧te‧xs une meilleure part du gateau.

Pour autant, il ne les a jamais démarré, ni cherché : il est de celleux qui s’applatissent et refusent l’escalade, de celleux qui, gardant une certaine naïveté, pense qu’on les laissera en paix parce qu’iels ne menaçent personne. Cela ne marche pas comme ça, malheureusement, et si le Sem’an, dans son métier étranger, a du apprendre à se battre pour ses trouvailles, c’était en général par écrit, ou à l’oral, devant un jury ou une famille. L’analogue qui lui fait face et le menace ne semble, lui, n’avoir aucune volonté d’accueillir une explication, ni de patience, et avant même que Zaher réponde à sa première question sur le village, voilà que le professeur se retrouve plaqué contre un arbre, dans un hoquet de douleur. Il ne lui vient pas en tête l’idée de se défendre : ses yeux sont écarquillés, ses mains s’agrippent faiblement à celles de cet analogue en furie, tentant de défaire son emprise sur sa veste et à se dégager. « Je – Zaher, je suis archéologue, je ne voulais pas vous – je m’intéresse aux civilisations anciennes - » Son agresseur ne se contente pas de ces bredouillements, se contrecarre des explications, et alors que Zaher tente de démêler une nouvelle explication à sa présence ici, une vive douleur lui éclate la tête.

Un blanc – est-ce qu’il s’est évanoui – et il se retrouve par terre, pleurant de douleur en se tenant le nez, d’où jaillit un sang épais et ferreux qui lui envahit la bouche. La douleur est totale ; il y a de grandes chances que son nez soit cassé, car ses propres sanglots lui provoquent de nouvelles douleurs atroces. Ressentant sa peine et les mêmes blessures, Nade dégringole de la capuche de sa veste pour piétiner son front, goutant de sa langue les abords de la blessure en poussant à son tour de petits piaillements d’alarme.

Il a compris, Zaher, et il ne bouge plus, cherchant d’abord à stopper l’épanchement, choqué de la situation, et c’est Nade qui tourne ses yeux noirs vers leur bourreau, ouvre sa petite bouche pour énoncer chaque mot avec précision, la peur lui donnant l’énergie pour s’exprimer. Ne vous approchez pas. Laissez-nous. Nous sommes des vôtres. Elle tente de gonfler son poitrail pour se rendre plus imposante, mais leur image est certainement pitoyable ; l’homme à terre et son lézard minuscule ne feraient reculer qui que ce soit. Pour la protéger elle plus que lui, Zaher se relève sur un bras, crachant du sang sur le sol, tout en levant une main rouge pour en faire un bouclier autour de son âme si fragile. « Je suis votre allié, je vous le promets. Je suis désolé, je – ne nous faites pas plus de mal, s’il vous plait. » Supplier lui vient naturellement, et il se prépare à d’autres coups, le cœur fendu à l’idée de devoir quitter à tout jamais la forêt. « Je vous dirais tout ce que je sais, je vous le promets, je n’ai aucune mauvaise intention. » Cela ne peut pas se finir ainsi ; il ne peut pas se faire exclure maintenant, alors qu’enfin il rencontre un analogue, alors qu’enfin il touche les réponses du bout des doigts ; il ne se rend pas compte, pas encore, à quel point les hommes, qu’importe leur origine, peuvent mettre leurs menaces à exécution.

L’autre prétend être archéologue et s’intéresser aux civilisations anciennes. Tu arques un sourcil interrogateur, comprenant que lesdites civilisations ne sont autres que Cittàspide et celles des premier·ères inkumboli. Pourquoi un gazzi s’intéresserait à votre histoire, elleux qui ont toujours cherché à l’anéantir ? Qui ont détruit les livres, qui ont fait oublier le rituel de l’Inkumbolo ? Cet étrange personnage ne révèle pas tous ses secrets, et ça t’agace. Raison pour laquelle tu ne retiens pas ton poing de venir lui éclater la gueule. Tu le sens partir quelques secondes, pris au dépourvu et abasourdi par la douleur, et tu te délectes de ce sentiment de tout-pouvoir sur un corps brisé. Les combats sont rarement équilibrés avec toi, tu te fiches pas mal des éternels codes d’honneur et de tuer salement. Tu regardes l’autre reprendre péniblement ses esprits, mais ta patience ne se satisfait pas de ce simple coup ; ça te démange de lui en asséner un deuxième. Puis un troisième. Tout ce qui sera nécessaire pour le faire dégager pour toujours.

Tu t’apprêtes à envoyer ton pied dans les côtes de Zaher lorsqu’un petit animal – que tu déduis assez facilement être une daemon – se précipite sur son visage et te foudroie de ses deux petits yeux de reptile – un reptile somme toute assez peu menaçant. Elle défend son humain et tu pouffes de rire en voyant ce duo pitoyable. Une chose toutefois t’intrigue. « Comment ça, des nôtres ? » tu lances d’une voix menaçante, prêt à redonner des coups si la réponse ne te satisfaisait pas. Les petites mises en garde de la daemon ne t’émeuvent pas le moins du monde, mais comme il s’agit d’un animal, tu ne la frapperas pas. Pas elle. L’autre, par contre, est tout à fait indiqué pour passer ta frustration. Il se relève à grand peine en crachant du sang, ce qui t’arrache un sourire cruel. C’est exactement la position dans laquelle tu aimes voir les gazzi : à genoux, implorant, couverts de sang. « Notre allié ? » tu répètes à nouveau, cette fois-ci pour la dernière fois ; Zaher a fort intérêt à bien choisir ses prochains mots. Ce qu’il prétend être est un mensonge, car : « Nous n’avons pas d’allié·es parmi les gazzi. » Le dernier mot est presque craché, avec tout le mépris qu’il est possible d’imprimer dans cinq petites lettres. Tu lui fais tranquillement savoir que tu le détestes, lui et tous·tes les sien·nes.

Tu te retiens à grand peine de lui asséner ce coup de pied qui te démange depuis plusieurs minutes, car l’autre prétend pouvoir te délivrer des informations. D’ordinaire, c’est toi qui les possède, les informations, c’est ton travail d’espion. Mais en l’occurrence, tu n’es pas Passeur, et tu n’as parfaitement aucune idée des possibles savoirs qu’a pu dérober Zaher en venant faire ses recherches dans la forêt. Il est nécessaire qu’il te dise tout, absolument tout, avant que tu ne perdes patience. « Dis-moi tout ce que tu sais, et peut-être que je te laisserais partir. » tu lances d’une voix où la patience et la pitié sont loin de briller. Tu ne perdras pas de temps avec lui s’il s’avérait qu’il t’avait menti. Tu soupèses avec de plus en plus de considération la possibilité de ne jamais le laisser revenir dans la forêt – jamais se passant d’explicitation. « Sur quoi portent tes recherches, précisément ? » tu demandes, le surplombant toujours, les yeux baissés vers lui avec tout le mépris du monde. « Pourquoi tu t’intéresses aux analogues ? » Cette fois-ci, tu consens à lui laisser un peu plus de temps pour répondre. S’il prétend être votre allié, c’est que quelque chose l’a conduit jusqu’à vous, ou tout du moins jusqu’à votre idéologie. Mais alors, pourquoi ?

Nade n’entend pas la question de l’analogue, se recroquevillant dans la main de Zaher, sentant les vibrations de sa voix retentir de la forêt et voulant éviter de se faire marcher dessus. L’archéologue respire par la bouche par halètements courts, tentant d’arrêter le flot de sang tout en fournissant toutes les informations dont l’autre a besoin pour arrêter de les frapper. « Je suis – sympathisant, j’ai pris position à l’université pour les analogues. » Cela n’avait peut-être pas la même importance pour les analogues que pour les factions politiques de Cittàgazze, et il se sentait un peu bête de le mentionner, mais tout était bon pour que les coups se taisent.

« Je suis pas gazzi – mes parents sont terriens et alterien‧nes. Je te le jure. » Zaher ne jouait pas souvent cette carte de l’origine, né et ayant grandi à Cittàgazze qu’il considérait comme son foyer. Ce statut de réfugié de seconde génération était épineux, partagé entre les traditions et les souvenirs parentaux de mondes qu’il n’avait pas connu, et l’attachement qu’il portait forcément à cette ville forteresse dans laquelle il évoluait depuis toujours.

Il connaît assez bien l’inimité entre les gazzi et les analogues pour toutefois s’éloigner au maximum de tout ce qui peut rappeler à son agresseur ses ennemis de toujours. Se relevant avec raideur, les épaules courbées, il subit les demandes du grand blond en tremblant, le regardant à travers ses longs cils mouillés de larmes de douleur. Mentir ne lui vient pas à l’idée – et il préférerait qu’on sache ce qu’il fait, au village.

« Je suis archéologue. J’étudie les ossements humains ou animaux afin de déterminer leur vie, les coutumes autour d’ici, reconstituer l’histoire manquante de Cittàgazze. » Il sait que son métier est morbide pour beaucoup de personnes et se prépare donc à un nouveau coup. « Avec les lambeaux, et votre arrivée… j’ai trouvé des tas d’incohérences dans les archives de l’Università. Je ne sais pas encore exactement ce qui en sortira mais Quetzalcoatl n’est peut-être pas le premier monstre de cette taille à avoir foulé votre planète. »

Il recule, se prenant un arbre et y reste plaqué, respirant un peu mieux maintenant que la compression de sa main contre l’arcade de son nez fonctionne, même s’il parle donc d’une voix nasale. Son daemon grimpe dans son cou, surveillant les mouvements de l’analogue avec attention. « Je… je voudrais comprendre pourquoi votre peuple a fui Cittàspide, comment il s’est installé dans votre village, pourquoi avoir choisi ce lieu et surtout pourquoi cette vie en autarcie ? Il y a des vestiges d’autres villages autour de Cittàgazze, assez anciens pour être contemporains du votre, et tout le monde ne pouvait pas être contre les spidi. Les contes… les contes ne suffisent pas, je suis historien, je cherche ce qu’il y a derrière ces histoires. »

Il ne sait s’il s’enfonce ou si ce qu’il lui raconte plait, mais l’absence de violence lui permet de se détendre un peu. Ravalant une salive au goût de fer, il termine avec une confession, qu’il n’avait que rarement faite jusque là, et qu’il lui est capitale de fournir à cet analogue qui peut être sa clé d’accès au village. « Je suis haruspice. Mes visions… je les ai en touchant des ossements. Si tu me poses une question, les os te répondront. Mais il me faut des preuves pour consolider leurs messages. »

Aucune thèse digne de ce nom ne pourrait se baser uniquement sur des visions qu’il est le seul à avoir, et qui ne lui apportent pas franchement de matière – si ce n’est des migraines. S’auto-questionner ne fonctionnait pas, et il connaissait un nombre limité de cittadini en qui il avait confiance pour l’aider – sans lui voler ses recherches – dans cette quête de savoir.

L’inconnu se relève lentement, tenant toujours son nez blessé, et sa douleur te laisse de marbre. Tu es prêt à recommencer s’il le faut, les poings toujours serrés, le regard perçant cherchant à décrypter les prochains gestes du dénommé Zaher. T’as presque envie de rire lorsqu’il se prétend sympathisant, mais tu demeures impassible. « Des cittadini pro-analogues ? Conneries. » tu craches, te penchant de façon menaçante vers lui comme si tu t’apprêtais à le frapper de nouveau. L’historien prétend ne pas être gazzi, mais pour toi tous les rejetons de la cité des cimes le sont, tu ne fais pas de distinction. Tu connais pourtant les subtilités des allégeances et des origines, ce qui ne t’empêche pas d’avoir tes a priori et de faire tes propres raccourcis.

Zaher se présente comme un archéologue, mais tu interviens rapidement : « Je me fous que tu sois archéologue, saltimbanque ou cracheur de feu. Tu es l’un des leurs, tu ne devrais pas être ici. » Mais l’autre persiste et te raconte ses recherches. Tu claques de la langue pour signifier ton ennui et ton irritation, mais soudain les mots de Zaher t’intriguent. Il parle du Serpent-Ailé et de votre passé, et ton oreille devient plus attentive. Tu ne t’étais jamais posé la question de savoir si le grand serpent dévoreur de mondes était le seul. « Que veux-tu dire ? Il y aurait d’autres monstres comme Quetzalcóatl ? » Tu dissimules habilement la curiosité qui t’a saisie en adoptant une voix ferme. Mais au fond de toi point comme une appréhension, quoique tu la refoules avec brio. Tu n’avais jamais entendu pareilles histoires, et bien que tu n’y crois qu’à demi – les gazzi sont tous·tes des menteur·ses – imaginer qu’il puisse exister d’autres Serpents-Ailés glacerait le sang de n’importe qui.

Les questions de l’archéologue te semblent toutes parfaitement vaines et idiotes. D’une part, car la plupart des réponses sont évidentes et connues de toutes. D’autre part, car elles sont pour la plupart insignifiantes ; Zaher ne se pose pas les bonnes questions, s’il désire vraiment en savoir plus sur votre civilisation. Tu échappes un rire-reniflement cynique, avant de lâcher : « Nous avons fui Cittàspide parce qu’à cause des gazzi, le Serpent-Ailé a détruit notre cité. Tout le monde sait ça. » Historien de merde, tu songes très fort, si bien que les mots se distinguent sans doute dans tes yeux. Pas besoin d’être Passeur·se ou médiéviste pour connaître cette légende qui n’en a que le nom. Les textes que recèlent les différentes bibliothèques de Cittàgazze et qui sont lentement exhumés racontent tous la même histoire. L’histoire d’un monstre que la guerre – engagée par les gazzi, pour sûr – a jeté sur la cité des serpents. Lorsqu’il te demande pourquoi avoir choisi ce lieu, tu lèves les yeux au ciel, comme si la réponse était parfaitement évidente. « Cette montagne est sacrée. » Tu pointes du doigt le Mont Analogue, la voix accusatrice. Tu ne sais cependant pas pourquoi cette montagne est considérée comme sacrée, ignorant qu’elle est en vérité le miroir de la Torre delle Arpie de la mythique Cittàspide.

Zaher t’avoue enfin être un haruspice, et tu hausses un sourcil. Lire dans les ossements est peu commun, et passablement morbide, mais cela a le mérite de piquer vivement ta curiosité. « Tu pourrais avoir une vision, là, maintenant ? » Si tel est le cas, alors tu comptes bien te servir de lui, contre son gré s’il le faut. « Si je te demande qui étaient celleux dont tu parles, qui vivaient ici avant Coatlinchàn, tu saurais me répondre ? » Mais en vérité, ce n’est pas ce qui t’intrigue le plus. Ce n’est pas la question qui serre le plus ton cœur. Tu marques une pause avant d’ajouter : « Et si je te demande qui a tué une certaine personne, tes os parleront-ils ? »