Tu ne devrais pas être ici. Tu n’aurais pas dû accepter la demande d’Astrid de l’accompagner auprès de l’alchimiste spidi Charon pour lui témoigner des égards des solmènes. Tu n’aurais pas dû, et désormais, tu te mords les lèvres en attendant son arrivée. Ce n’est pas un hasard si tu te trouves ici, mais ta venue n’a rien de conventionnel, et tu le sais. Tu jettes des regards inquiets autour de toi en espérant que personne ne soulève ta présence, dissimulé à l’arrière de la délégation solmène en attendant l’ordre de ta grande sœur d’agir. Tu n’es pas là en quête de repentance, mais pour épauler Astrid dans la rencontre avec Charon ; toi, le solmène misérable et inutile, soudain chargé d’une étrange mission. Dans ta poche, une exuvie de serpent que tu comptes utiliser à dessein pour obtenir des informations sur ce que l’alchimiste daignera vous indiquer. Astrid espère que tu pourras entrapercevoir le futur pour déterminer s’il vous ment ou pas. Tu n’es pas certain d’arriver à discerner avec précision ce qu’il adviendra, étant donné les caprices de ton don, mais pour ta grand sœur, tu essaieras. Pour elle, ton don revêt un autre sens, mais au fond de toi, des milliers de doutes persistent.

L’impression d’être utilisé comme au temps de ton enfance pour servir les desseins noirs des solmènes te colle à la chair, et des traumatismes inchangés se pressent dans ton esprit. Tu trembles un peu en attendant Charon, plus certain que ta venue soit une si bonne idée ; pourtant Astrid semble déterminée, et tu sais l’importance du mensonge et des faux-semblants dans ce genre de rencontre. Ton don peut avoir une utilité. Elle n’a pas choisi de faire appel à quelqu’un·e d’autre car elle te fait confiance, et tu feras de ton mieux pour la servir, malgré les remous que cette situation provoque en toi. Toi si longtemps passé pour mort, soudain de nouveau à la botte des solmènes. Quelque chose de tragique se rejoue qui te donne envie de vomir. Tu n’as pas réussi à leur échapper, et malgré le rôle de ta grande sœur au sein de la faction, qui pourrait lui permettre de te protéger en cas de naufrage, si les adorateur·ices du Serpent-Ailé décidaient de te capturer de nouveau, cela marquerait la fin de tout pour toi. Mais pour le moment, tu ne peux qu’abdiquer, en espérant que jamais personne ne viendra de nouveau t’enlever à toi-même pour t’enfermer au Mausolée sudérien. Être docile est sans doute la meilleure façon de te sauver la vie ; et la lâcheté, tu sais très bien faire.

Alors tu ne dis rien, te faisant le plus minuscule possible. Lorsque Charon arrive, sa prestance te glace le sang, tout comme les tatouages alchimiques qui ornent son visage tiré par le temps. Il semble déterminé – à quoi, cela reste à découvrir – et ses doigts jouent mécaniquement avec une pièce en or, qu’il fait jongler entre ses phalanges avec un flegme déconcertant. Tu baisses instinctivement les yeux, quoiqu’il ne te regarde pas. Astrid introduit les salutations d’usage, que Charon lui rend. Sa nouvelle connivence avec les solmènes n’a échappé à personne parmi la secte – sauf à toi, mais tu ne verses pas suffisamment dans la politique pour saisir ce genre de subtilités. C’est rapidement que l’aile gauche indique à deux alchimistes de second rang d’apporter le tableau de Cézanne, Vanité, pour l’offrir à Charon en gage de bonne volonté et d’amitié. Le spidi semble surpris par ce cadeau mais pas décontenancé pour autant, et l’accepte avec un sourire complice. Astrid t’a expliqué que les habitant·es de Cittàspide éprouvaient une attraction particulière avec les œuvres d’art, composante intégrante de leur civilisation. Alors le geste ne te surprend pas. Tu attends anxieusement la suite des pourparlers.

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Solmènes

Un silence taiseux tient les lèvres closes, faussement respectueuses de l’instant solennel, alors qu’Astrid, comme toujours, prend la tête de la procession qui se rend chez Charon. Elle n’a cessé d’en entendre parler avant leur départ, elle ne cessera également d’en entendre parler à leur retour. Il n’y a guère besoin de faire un si grand effort d’imagination : au fil des ans, sa famille, rapprochée ou étendue, a perdu toute créativité dans l'exercice du blâme de sa banalité. Ce seront les mêmes mots qui tomberont sur elle, les mêmes regards qui se poseront sur elle. Mais ça ne les empêchera pas de faire mal comme au premier jour.

Non, ce qui la surprend réellement, c'est la présence de Kafka - pas sa survie, sa présence. Une présence qui la glace, ramène le souvenir des ordres maudits, de cette autorité à laquelle elle ne veut pas se plier pour la première fois de sa vie. Retrouver et ramener Kafka. Cela fait des semaines qu’elle fait en sorte de ne pas le retrouver ; pour le protéger, ne pas les livrer, lui et son don, aux égoïsmes d’autrui. Il faut que ce soit Astrid qui lui offre son propre frère sur un plateau. Qui d’autre ? Positionnée à l’avant de la procession mais derrière Astrid malgré tout, le regard de la sœur vers le frère haruspice ne lui a pas échappé. Laisse deviner les (mal)intentions et les plans de sa cousine. Oh, Antonina la maudirait si elle n'était pas sa propre famille, son propre sang elle aussi.

La discipline qu’elle s’impose est sévère pourtant, le contrôle ne laisse rien deviner ni de la surprise, ni du ressentiment pour qui ne la connait pas comme Sienna, à sa gauche. La pierre a une réputation à tenir, une image à maintenir. Le regard brun est droit, fixé sur Charon, gardant Kafka en périphérie de son champ de vision, feignant de l’ignorer, mais les instincts familiaux déjà prêts à le protéger.

Méticuleuse travailleuse de l’ombre, Antonina s’efforce de mémoriser les cercles alchimiques qui parsèment le visage, d’en noter les courbes et les angles pour les reproduire et les étudier plus tard. Mais régulièrement, son attention est happée par la discussion qui se joue. Tout dans l’interaction entre Charon et Astrid éveille à la fois sa curiosité et sa méfiance, des mots banals aux regards qui en disent long. Lentement, les doigts se mouvent, s’efforcent à s'étirer, discret signe de malaise. Antonina a encore la sensation de ce qu'iels ont dû cacher sur la paume. Elle sait que ça n'a pas stoppé Astrid, là où le reste du groupe s’interroge, prêt à se disloquer. Elle-même se pose des questions, cherche du bout des doigts jusqu’où elle peut concilier ambitions et sanité, jusqu’où elle veut sacrifier d’elle-même pour l’alchimie. Elle-même veut trouver ses propres frontières, ne pas empiler d’autres cauchemars sur sa conscience.

Une délégation a été montée pour aller à la rencontre de Charon. Tu n’as pas eu la chance de le rencontrer lors de ton exploration de Cittàspide. Tu ne voulais que trouver le fragment, tu n’avais que ce mot à la bouche. Et c’est toujours pour ça que tu t’es jointæ aux autres. Tu veux en apprendre plus sur les spidi, gagner leur confiance et qu’iels vous donnent le dernier fragment. Le reste, c’est du détail. Si Charon accepte de vous montrer ce qu’il sait, tu n’en seras qu’encore plus heureusæ.

Zola à tes pieds, tu poses ton regard sur Astrid. Elle est loin devant toi, jamais tu ne la rattraperas. Monter les échelons ne t’intéresse plus, tu veux seulement être plus puissantæ que tout autre. Tu veux pouvoir prendre les décisions qui te sied et être libre de poursuivre ta quête auto-destructrice. Charon est ses enseignements t’y aideras peut-être. Tu ne reculeras devant rien. Cette soif de savoir ne s’étanchera jamais. Ce que tu ne sais pas, c’est que Zola te voit te perdre chaque jour un peu plus. Chaque fois que tu repousses tes limites, une partie de toi disparait. Tu n’es plus l’Itha qu’avait connuæ Baba.

Tu observes un instant les autres solmènes autour de toi. Il y a celleux qui te semblent perplexes, et les autres, qui comme toi et Astrid n’ont que soif de connaissance. Et il y a Kafka. Lui est à part. Ce n’est qu’un outil que l’aile gauche souhaite utiliser. Tu n’as jamais compris les relations familiales des Lindbergh. Iels te semblent s’entre-déchirer à chaque instant et tu n’arrives pas à le concevoir. Si ton adelphe était encore là, tu lae chérirais. Peut-être qu’ellui seul·e pourrait te ramener à la raison.

Charon est heureux des dons que vous lui faites et tu suis l’échange avec toute ton attention. Il ne faudrait pas que tu en loupes un mot. Qui sait, peut-être que se joue aujourd’hui le futur de toutes vos vies. Demain peut-être aurez vous découvert quelque chose de si grand que vous ne parviendrez plus jamais à voir les choses de la même façon. Tout t'intrigue chez Charon. Il est de celleux qui semblent tout savoir. Et tu ne veux que pouvoir apprendre avec lui.

Ses pas rapides se faisaient discrets malgré sa hâte. Plongée dans ses prières les plus profondes, dévouée à ses sermons intérieurs et à ses souhaits les plus enfouis, Donatella n’avait pas vu passer le temps. Prise dans sa transe, ne faisant qu’un·e avec le moment, elle avait passé près d’une heure à laisser son âme flotter près de l’autel dédié à Quetzal. Les mains sur sa poitrine, les paupières closes, les genoux contre le sol, elle avait adressé chacune de ses pensées à son dieu, Tout Puissant qu’Il était. Depuis la divine apparition, une allégresse planait dans la poitrine de la prêtresse. Sa foi immense, bonifiée par les événements, tirait ses lèvres en des sourires plus radieux qu’à son habitude. Or, aujourd'hui n’était pas de ces jours où elle pouvait s’adonner à la rêverie. Un invité de taille était attendu, et elle se présentait avec retard pour l'accueillir. La honte lui rongeait le cœur, mais son visage n’afficha rien d’autre qu’une quiétude ultime lorsqu’elle entra enfin dans la salle. Si elle savait se déplacer sans un bruit, il n’en était pas de même pour les importantes portes, jusque-là closes pour plus d’intimité. « Je vous prie de m’excuser, une situation hors de mon contrôle m’a retenue ; j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. »

Elle avança, mains jointes et tête haute, près du groupe. Sur elleux toustes, elle jeta un regard doux, empreint de fierté ; mais c’est sur Taron et Astrid que ses yeux s’arrêtèrent le plus longtemps, elleux qui avaient travaillé si fort pour rendre cette rencontre même possible. Un sourire empreint de satisfaction leur fut adressé, avant qu’elle ne se tourne vers Charon. « Quel honneur de vous recevoir, fit-elle en inclinant la tête avec respect. J’espère que l’hospitalité de notre cité sera à votre convenance, et que nos braves alchimistes sauront être à la hauteur de vos attentes. Quant à moi, j’ai pleine confiance en leurs capacités. » Un nouveau regard sur l’Assemblée, avant qu’il ne se pose sur les œuvres. « Oh, nos humbles présents vous ont-ils satisfaits ? » Elle s’approcha des tableaux, presque nostalgique de devoir les laisser partir, avant de s’éloigner du groupe. « Bien, je ne compte pas vous déranger plus longtemps. Ignorez ma présence, Charon, ou quémandez mes services ; je suis à votre entière disposition. » Elle s’installa près de la porte, face au groupe et dos au mur. Ses doigts entremêlés cachaient sa nervosité, alors qu’elle surveillait le bon déroulement de la rencontre. Sous ses traits bienveillants, sous ses yeux doux et sombres, elle dissimulait son agitation, née de la fébrilité d’une femme qu’il ne fallait pas décevoir.

C’était donc cela, qui berçait les sous-entendus d’Astrid lorsqu’elle t’avait annoncé que Kafka serait en vie. Tu le sauras tôt ou tard. C’était donc cela qu’elle avait prévu : utiliser votre propre frère, publiquement, comme il l’a toujours été par les Solmènes, comme un vulgaire outil. Trahir plus que les espérances qui t’ont conduites à le chercher ce qui semble être mille ans, trahir jusqu’à vos souvenirs de joie d’une fratrie qui s’aime et se soutient.
A l'entrebâillure de la porte, tu te tiens le dos quelque peu fléchi, n’osant regarder ni ta sœur ni l’ombre de ton frère. Ce sont sur Taron que tes yeux accusateurs se posent, sur ta cousine Antonina qu’ils deviennent fébriles sous la compassion et l’envie à la voir accompagnée, ou encore sur Itha qui vient étrangement apaiser ton âme dans le souvenir de ses sourires flous mais sincères. Tout ce beau monde t’empêche de voir Charon, au centre de l’assemblée, dont tu as entendu les prouesses et sur qui tu aurais aimé pouvoir te concentrer. C’est pour lui que tu es là, que tu restes distante dans ton observation, c’est pour apprendre du spidi qui maîtrise l’alchimie fondamentale. Dans tes veines coulent la désormais nécessité d’apprendre à toi aussi utiliser ces transmutations humaines et faire revenir Kafka, le vrai, non pas cet usurpateur qui se dresse devant vous et marche en ses jambes en faisant croire à sa survie. Tu veux le Kafka qui vous a quitté, qui n’aimait que toi et vos histoires, qui ne vivait que pour vous deux, et votre futur à construire ensemble. Tu veux la Pierre, et tu la veux aussi vite que possible, avant que tu n’aies plus la force de te battre contre l’imposteur devant vous.

Derrière ton dos, tes mains se sont liées dans ces mouvements mécaniques de griffures que tu ne contrôles pas, que tu comptes minutieusement jusqu’aux déclics rassurants, chiffres qui te conviennent ou douleurs qui te saisissent. Donatella fait son entrée, et alors qu’elle termine son introduction, Marguerite sort de sa cachette sous tes vêtements et se pose sur ton épaule en regardant votre Grande Prêtresse venir non loin de toi. « On devrait s’av- - Tais-toi. On ne bouge pas. Tu prends une grande inspiration pour te parer de ton plus beau sourire et baisser la tête en saluant Donatella. Ma Dame, votre équipe et vous avez accueilli Charon dans les meilleures conditions qui soient. Je suis certaine qu’il saura voir votre dévouement et notre intérêt à toustes pour ces connaissances. Merci de rendre possible ce partage dont nous avons tant besoin. ». Tu espères, en flattant ainsi votre Grande Prêtresse que tu connais bien, obtenir peut-être plus tard un rendez-vous solitaire avec l’alchimiste spidi, quelques échanges plus privés, un enseignement ou des connaissances plus directes que celles que toustes peuvent observer. Tes yeux se sont alors fixés sur Charon, qui vous guide sur le fleuve à la manière de son double dans les croyances anciennes, et les œuvres d’art à ses côtés, que tu discernes tout juste entre les différentes silhouettes. Tu es comme obnubilée et écoute avec le plus d’attention possible chaque réponse, observe chaque geste, jusqu’à en sortir un petit carnet de ta poche où tu te mets à griffonner quelques notes.

Quitte à te sentir seule dans ta quête qui n’a plus de sens, autant que celle-ci soit la plus détaillée possible et que tu n’aies pas à la revivre, encore et encore, jusqu’à sombrer dans ces délires qui te guettent.

Tu observes l’étrange scène se dérouler sous tes yeux. Dans l’assemblée, si ce n’est Astrid, tout le monde garde le silence, suspendu aux lèvres de l’énigmatique Charon, comme si la Vérité elle-même s’apprêtait à leur échapper. Le personnage ne t’inspire aucune confiance, au contraire ; tu as peur pour ta grande sœur. Ta main hésite furieusement à plonger dans ta poche où se trouve la peau de serpent, pour tenter de découvrir la suite des évènements et pouvoir, le cas échéant, secourir Astrid si les choses se destinaient au pire. Mais tu ne fais rien, figé, déboussolé. Tu ne peux que détailler la scène, alors que la Grande Prêtresse fait son entrée et salue à son tour l’alchimiste spidi. Celui-ci répond par les mêmes démonstrations de courtoisie : « Je vous remercie, ma Dame, pour votre hospitalité proverbiale, surtout en ces temps troublés. » Il marque une pause, jaugeant l’assemblée devant lui, avant d’ajouter : « Vos présents ne me laissent pas indifférent, ces témoignages d’amitié m’amènent à penser que nos desseins ne sont pas si différents. » Lorsque la Grande Prêtresse se retire, il lui adresse un respectueux signe de tête, avant de reporter son attention sur les alchimistes présent·e·xs, les soupesant un·e·x par un·e·x, sans se départir de son respectueux sourire.

C’est à ce moment-là, suivant des yeux la Grande Prêtresse, que tu aperçois sa silhouette. Faust. Un sursaut t’échappe, alors que tu recules un peu plus pour ne pas qu’elle rencontre ton regard, comme si tu te retrouvais acculé. Depuis vos retrouvailles, l’inquiétude et l’amertume sont tout ce qu’il vous reste. Les poussières de onze années de solitude et de fuite ont tout emporté avec elles, seule une mémoire percée vous lie encore dans le pacte secret des adelphités. Alors tu recules, tu essayes de te faire le plus minuscule possible. Tu ne t’aperçois pas que Charon a repris : « Partager nos savoirs sera essentiel dans notre quête commune pour reforger le Poignard subtil. » ajoute-t-il de sa voix grave et mesurée. Son âge avancé et ses talents oratoires lui confèrent une présence et un charisme saisissants. « Je suis disposé à partager avec vous certaines de nos connaissances en alchimie. » finit-il par déclarer en reportant son attention sur Astrid. « Mais serez-vous prêt·e·xs à vous confronter à cela ? » Et à ses mots, deux spidi entrent en tenant la main d’une jeune femme qui semble avoir ton âge, exceptés ses traits tirés et ses yeux parfaitement éteints. Tu devines immédiatement de qui il s’agit. Une victime des spectres.

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Solmènes


Certains savoirs sont mieux enterrés.
Enfant orgueilleuse, Antonina n'a jamais cru ses aîné·e·xs, n'a jamais suivi ni les interdits, ni les tabous - ces verrous imposés par celleux qui pêchent par excès de prudence. Parce que, toujours, elle a travaillé pour plus de connaissances, plus de savoirs. Toujours elle a poussé plus loin, repoussé les limites dictées par d'autres. Mais jamais elle ne s'est interrogée sur la limite qu'elle n'était pas prête à franchir, la concession qu'elle se refuserait à faire. Sans doute parce qu'il restait encore tellement à dévorer, à dépasser. Tellement à conquérir.

Jamais elle n'avait embrassé le véritable contour de ses limites, de ses propres tabous avant le meurtre, avant la culpabilité qui rongeait les ambitions de ses crocs acérés.

« Partager nos savoirs sera essentiel dans notre quête commune pour reforger le Poignard subtil. » La mention du Poignard fait basculer légèrement la posture en avant. Inconsciemment, la tête se penche, balance entre précaution et attention. « Je suis disposé à partager avec vous certaines de nos connaissances en alchimie. Mais serez-vous prêt·e·xs à vous confronter à cela ? »

Une porte s'ouvre et deux spidis font entrer une jeune femme, victime des spectres, et sous le masque impassible de son visage, traits calmes comme l'eau qui dort, l'alchimiste frissonne, craignant de comprendre la teneur de ce qui va bientôt se jouer sous leurs yeux. Dans ses poings fermés, ses ongles percent la peau en petites lunes carmines.

Certains savoirs sont mieux enterrés.
Elle n'y a jamais cru. Aujourd'hui, elle comprend qu'elle s'est trompée.