Tout était devenu terriblement évident. À mesure que les jours puis les semaines s’écoulaient, les traces étaient devenues des sentiers et les indices des cartes au trésor. Tu n’as pas eu besoin de soudoyer ou de menacer qui que ce soit pour mettre au jour peu à peu les pièces du puzzle. Les remarques échappées par Jana et sa posture bien trop honnête et hargneuse vis-à-vis des Justes étaient une piste que tu n’as eu qu’à remonter comme un long fleuve intranquille. Tes soupçons étaient brûlants, mais toujours, la révélation te manquait. Les preuves n’étaient qu’éparpillées, il fallait les rassembler et les ordonner. Jana était ton seul et unique indice, mais un indice essentiel. Tu n’aurais jamais pu penser que les choses seraient aussi simples et évidentes, juste sous ton nez. Quoiqu’il te manquât encore la confirmation pour asseoir ton hypothèse, tu as dans tes compétences un certain nombre d’outils pour soutirer des aveux. La menace, la torture, l’enlèvement, ou encore, tout simplement : le bluff. Alors lorsque ta coéquipière t’a donné rendez-vous dans un hangar désaffecté du Porto Vecchio pour analyser les recels de la victime, un sourire mauvais s’est dessiné sur tes lèvres.

Tu sais qu’elle a compris. Car tu étais là, petit scorpion tout à fait invisible, lorsqu’elle s’est rendue à la morgue pour attester de la disparition du corps. Tu savais qu’elle tenterait d’éclaircir ce mystère. C’était une bête faute d’inattention de ta part ; tu aurais dû tuer le médecin légiste après qu’il s’est débarrassé du cadavre, au lieu de le soudoyer. Mais quelles que soient tes erreurs, tu savais qu’elle finirait par comprendre ; malheureusement pour toi, la coéquipière qui te fut assignée était plus vive que prévu. Vos recherches vous ont mené trop loin pour que ta piste ne soit pas à envisager, et ta fatale erreur t’a valu des soupçons tutoyant désormais les évidences. Cela dit, éliminer Jana était prévu à l’instant même où son nom et un lieu de rendez-vous te furent donnés. Tu avais seulement besoin de son aide pour remonter la piste des Justes ; après quoi, tu avais prévu de te débarrasser d’elle, sans état d’âme. Mais à mesure qu’elle s’approchait de la vérité, dont tu égrenais les indices goutte à goutte comme des taches de sang, c’est d’une autre vérité que tu approchais toi aussi. Chacun de ses pas dans ta direction était un pas dans la sienne, et le piège s’est lentement refermé sur vous deux, comme ces duels de tragédie qui n’ont pas de dénouement, si ce n’est la mort.

C’était elle. Et c’était toi.

Alors ce jour-là, tu te rends au point de rendez-vous, armé de ton pistolet à poudre, d’un couteau et de ta poussière de tepeyollotl. Le pistolet seul devrait suffire, mais tu as préféré assurer tes arrières. Tu as laissé de côté ton morceau de miroir flamboyant et ta sarbacane ; la nuit et l’urgence ne te permettront pas de les utiliser dans de bonnes conditions, malgré leur parfaite pertinence en termes de carnage. Tu pénètres dans le hangar avec nonchalance, conscient que votre petit manège éclatera bien assez tôt. Jana t’expose ses trouvailles, et tu échappes un sourire cynique. « Ce sont donc nos dernières pièces à conviction. » Tu jettes un regard circulaire au hangar, jaugeant chaque recoin et analysant chaque centimètre en prévision de votre – sanglante – future confrontation. « Les gens du port savent forcément quelque chose, ne serait-ce qu’au sujet du propriétaire de ce lieu. » tu ajoutes, te régalant de jouer encore le jeu quelques instants, juste pour le plaisir d’être un odieux connard, et pour laisser planer le doute dans l’esprit de Jana. Tu jubiles un peu de ta posture, mais tu ne laisses rien paraître. Pas encore.

Jana ouvre lentement les hostilités en remarquant ton automail. T’as envie de lui éclater la gueule, mais tu ne fais rien. Tu te contentes de serrer les dents en affichant un masque parfaitement neutre. Pourtant, le souvenir de ta captivité et de la transmutation humaine est encore une immense douleur en toi, que tu ne sais pas comment épancher. Tu tentes de chasser de ton esprit cette infâme mémoire pour ne pas te laisser déconcentrer, mais Jana est en train de viser pile à l’endroit où ça fait mal, et tu n'arrives pas à le cacher. Ça se voit sur ton visage, tu le sais. Ta blessure n’est qu’une raison de plus pour éliminer, les un·es après les autres, les gazzi. Tu as appris à manier ton pistolet à poudre d’une seule main, mais tu as conscience qu’en combat singulier, tu seras désavantagé. « Tu ne me croirais pas si je te le disais. » tu réponds, peut-être la seule phrase honnête de cette soirée. En effet, elle ne te croirait pas. Mieux vaut ne pas dévoiler davantage de failles et concentrer ton attention sur ta mission.

Tu changes bien vite de sujet, ouvrant à ton tour les hostilités. « J’espère que le type de la morgue s’est montré coopératif. » tu lâches, brisant immédiatement le quatrième mur qui s’était installé entre vous. Tu préfères jouer carte sur table dès le prologue ; tu n’as pas le temps pour les faux-semblants et les fioritures. Elle sait, pas besoin de se perdre en prophéties et de tergiverser. Mais ce qu’elle ignore, c’est que tu sais toi aussi. Tout du moins, tes soupçons sont tangibles. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est lui faire avouer d’elle-même les choses, et pour ce faire, la ruse vieille comme le monde du bluff sera ton as de pique. Tu croises son regard ; dans le tien brûlent des flammes contraires, à la fois placides et parfaitement furieuses. Tu sais que vous allez en finir et que bientôt, l’un·e de vous deux aura à son tour sa place à la morgue. « Je sais qui tu es. » tu déclares d’une voix détachée, quoique arrogante. Ta main valide s’arrête contre ton flanc, prête à dégainer ton pistolet à poudre si Jana venait à agir de façon inconsidérée. Tu sais de quoi elle est capable en combat singulier. Mieux vaut la neutraliser le plus vite possible. Et tu ajoutes, les yeux plantés dans les siens, noirs de massacres contenus : « Tu es une Juste. »

Le jeu auquel vous jouez est millimétré. Il est pensé, repensé, parfaitement orchestré. Les mots qu’elle t’adresse participent encore à l’illusion que vous ne tentez même plus de préserver. Ton sourire est de plus en plus cynique, de plus en plus mauvais, et à sa dernière phrase, tu échappes même un petit rire abîmé de sarcasme. Le jeu prend une tournure bien plus funeste lorsque tu la confrontes enfin. Tu observes ta déstabilisation faire son effet et le visage de Jana se décomposer à la mention de la morgue. Tu peux lire dans ses yeux toutes les réflexions qui pleuvent dans son esprit, jusqu’à ce qu’elle resitue chaque élément de cette immense traîtrise. Il en aura fallu, du temps. Elle comprend enfin que c’est elle, que tu recherchais, et que c’est toi, qu’elle traquait. Tu penses à toutes ces fois où votre enquête a manqué de basculer, où tout s’est joué à quelques tournures de phrase près ; tout pour en arriver là où vous en êtes aujourd’hui.

Il n’en faut pas beaucoup pour que Jana tombe dans ton piège grossier, t’avouant ouvertement qu’elle est une Juste. Un sourire mauvais s’invite sur tes lèvres, et ne s’y arrachera plus avant longtemps. « Parfait. J’avais encore un doute, mais tu viens de le dissiper bêtement. » tu avoues en ne quittant pas des yeux ceux de Jana. Tu jubiles à lui mettre le nez dans ses propres inattentions. C’était trop facile. Maintenant que tu es certain de ta cible, il ne te reste qu’à l’éliminer. « C’est toi que je cherchais. » Tout ce temps, ta proie était juste sous tes yeux. Quelle belle ironie du sort. La situation tragique dans laquelle vous vous retrouvez en est presque absurde tant elle semble calculée. « Toute cette histoire n’était orchestrée que pour t’attirer toi. » tu avoues en faisant un pas vers elle, menaçant. Tu n’as plus aucun intérêt à dissimuler tes intentions. Tu préfères achever tes victimes lorsque celles-ci sont en pleine conscience du piège dans lequel elles sont tombées. Le blizzard qui règne alors dans leur regard vaut tous les éclats précieux du monde. « Et je vais enfin pouvoir t’éliminer, comme il se doit. »

Tell me, how did we get here ?
And where the fuck do we go now ?

Jana évoque à nouveau ta blessure, et tes mâchoires se serrent à t’en péter les jointures. Tu la détestes. « Enfoirée. » tu lâches entre tes dents. Ton attitude d’ordinaire si placide et meurtrière souffre d’une faille cruelle. Tu tentes de ne pas céder à la rage, mais celle-ci commence lentement à pulser jusque dans tes tempes. T’as envie de tous·tes les enterrer, ces gazzi qui t’ont tout pris, ta main, ta liberté, ton honneur. Une dignité traînée dans la boue et le sang. Tu es déstabilisé, suffisamment pour ne pas anticiper le piqué de Jana, qui s’élance vers toi en décochant un coup de pied magistral dans ta main valide, celle sur le point de dégainer son pistolet à poudre. Tu échappes une grimace de douleur, le poignet endolori et à vif. Hors de question de perdre une autre main. Le flingue a volé plus loin dans l’ombre du hangar, et un rapide coup d’œil par-dessus ton épaule t’indique qu’il est trop loin pour que tu cherches à le rattraper. Tu vas devoir te battre au corps à corps le temps de trouver une ouverture pour le récupérer. Ton automail en métal sera à la fois un atout et un inconvénient. Tu n’as pas encore eu l’occasion de l’utiliser en combat, tu ignores donc si cet handicap te coûtera la vie ou au contraire, te permettra de prendre l’avantage. Un direct en métal dans une mâchoire prophétise de beaux et nombreux dégâts. Mais du même coup, manier des armes à une seule main est une cruelle faiblesse. Tes failles sont nombreuses, trop nombreuses – tu tuerais pour un automail articulé. En attendant, tu devras faire sans et t’adapter.

Tu recules vivement pour échapper à une nouvelle salve de coups, prenant tes distances pour contrer un potentiel nouveau coup de pied. Jana est probablement armée elle aussi, possiblement le couteau qu’elle cachait dans sa botte lors de votre première altercation, et peut-être d’autres outils inventifs. « Ça ne sert à rien de lutter. Souviens-toi comment ça a fini la dernière fois. » tu lâches, un sourire cruel sur les lèvres, te tenant le bras ayant encaissé le coup. « Épargne-toi plus de souffrance. » Ta voix est froide comme le granit et grave comme seules les aspirations les plus ténébreuses savent le formuler. Tu sais qu’elle ne se rendra jamais, mais on ne pourra pas te reprocher de ne pas avoir tenter de la raisonner – comme si tu en avais quelque chose à foutre des convenances. « Je peux t’achever sans trop de douleurs collatérales. » tu ajoutes, ton sourire de pur bâtard toujours affiché sur tes lèvres. C’est un mensonge. Même si elle baissait les armes, tu t’assurerais qu’elle se souvienne de chaque putain de secondes avant de mourir, car tu ne la laisseras pas crever sans l’avoir anéantie avant. Tu n'attends pas vraiment de réponse pour t’élancer vers elle en arrachant ton couteau à ta ceinture, décochant un coup à une vitesse anormale. L’arme tranche l’air, cisaillant une balafre rouge au bras que Jana lève instinctivement pour parer ton coup. T’es de nouveau au corps à corps, et c’est le buste tendu vers elle que tu prépares ton poing en métal à s’abattre sur sa joue. Mourir peut attendre.

TW mention d’amputation, violence, sang, arme à feu

Jana te renvoie – encore – à ta blessure, raillant tes mots comme s’ils ne l’atteignaient pas. Tu serres les dents, mais ton sourire cruel demeure fiché sur tes lèvres. Ses paroles te déstabilisent à demi, parce qu’à mesure qu’elle se fout de ta gueule, les images de la transmutation humaine ressurgissent, et t’es contraint de fermer un instant les yeux pour les chasser, quitte à te mettre en danger. Tu ne pensais pas que ses mots pouvaient t’atteindre autant. « Le processus ? » tu lâches d’une voix amère, et t’as envie de lui éclater la gueule contre le sol et de faire gicler son sang le plus loin possible. Si elle savait pour ton enfermement et la torture, sans doute se moquerait-elle encore davantage de toi. Ce ne sont pas tant les railleries qui te déstabilisent que les réminiscences qu’elles engendrent. Tu ne peux pas empêcher les images d’affluer et les douleurs fantômes de se rappeler, comme si ta main était toujours là et qu’elle était arrachée encore et encore. Tu te souviens de tout, avec la précision des scalpels, et cette mémoire est insupportable. Tu te sens faible, misérable, et c’est en rappelant à toi toute ta témérité que tu parviens à t’extraire de ces pensées noires.

Vient le pourquoi, et ton sourire grandit. La question est excellente et extrêmement naïve à la fois. Comme s’il n’y avait pas cent-milles raisons de vouloir abattre un·e Juste. Mais les tiennes sont très précises, ciselées. Tu veux foutre en l’air le système, décontenancer les cittadini, faire tomber les puissant·es. Dans ton esprit, tu sais que tu œuvres pour un monde meilleur, débarrassé des parasites qui font la loi et emprisonnent, tuent, détruisent. Celleux qui ont torturé les analogues, qui vous ont pris vos terres, qui menacent votre village. Jana n’est qu’une tête parmi tant d’autres. « Parce que toutes les têtes couronnées sont bonnes à trancher. » tu réponds d’une voix lente et cruelle. Tu marques une pause avant d’ajouter, presque doucereux : « Pour déstabiliser le système. Pour foutre la merde dans vos hiérarchies. Pour abattre toutes les têtes de l’hydre. » L’hydre, c’est Cittàgazze toute entière. Ce sont ses prisons, ses salles de torture, ses faux-semblants, ses trahisons, ses orgueils. Tu exposes tes idéaux à dessein, pour que Jana comprenne pourquoi elle doit mourir ; tu n’aimes pas tuer dans l’ignorance. Rien n’est plus délicieux que la tête de tes victimes lorsqu’elles comprennent qu’elles ne sont pas seulement des dommages collatéraux, mais les rouages d’une machine immense que tu es en train de désaxer.

Mais tout s’accélère lorsque Jana se précipite sur toi et te désarme. Tu répliques d’un coup de couteau bien senti, qui vient trancher la chair de ses bras qu’elle lève en barrière pour protéger son visage. Le sang gicle, glisse sur la lame jusqu’à ta main, t’arrachant un sourire victorieux. Tu prépares un coup de poing avec ta prothèse en métal, paré à exploser des dents, mais la jeune femme est plus rapide et, s’agrippant à ton épaule, te décoche un coup de genou magistral en plein dans l’estomac. Le souffle coupé, tu tombes, un genou à terre, avec un grognement de douleur. Un voile noir tombe sur tes yeux un instant, mais il se dissipe bien vite, et tu te relèves maladroitement. « Je prends le risque. » tu réponds d’une voix cynique, chancelant un peu, mais une rage peu commune brûlant au fond des yeux. Tu te fous royalement de ses menaces, elles ne font que te traverser comme des courants d’air. Le temps que tu te redresses, Jana a reculé et est allée se mettre à couvert derrière des tonneaux en bois, à quelques mètres. Tu profites de ces quelques secondes pour recouvrer tes esprits et reculer chercher ton pistolet, mais tu n’as le temps que de faire quelques mètres qu’un arbalète est pointée dans ta direction.

Le carreau fuse, et comme Jana tantôt, tu n’as pas le temps d’esquiver. Ton seul geste est de relever les bras pour protéger ton visage, et un immonde bruit métallique résonne dans le hangar. Par miracle, la flèche s’est enfoncée dans ta prothèse. Tu l’arraches vivement, constatant au liquide noir qui se répand sur l’automail que le carreau était sans doute empoisonné. « Bien visé. » tu reconnais d’une voix faussement admirative. Mais tu ne t’attardes pas ; Jana est peut-être déjà en train de recharger son arbalète, et tu te précipites sur ton pistolet. Tu empoignes l’arme mais tu n’es pas à couvert, susceptible de recevoir un carreau à tout instant. Il faut que tu reviennes au corps à corps, et vite. Ton premier réflexe est d’arracher à ta ceinture une petite bourse contenant de la poussière de Tepeyollotl, que tu jettes en direction de Jana. Un voile d’ombre s’abat sur le hangar, dans lequel il est impossible de te discerner. Toi en revanche, tu sais parfaitement où se trouve la Juste, et en quelques secondes, tu as rejoint sa planque. Tu profites de ta semi-invisibilité pour lui asséner un puissant coup de coude à l’arrière du crâne, à la faire s’effondrer. Tu t’installes sur elle de tout ton poids, avant de braquer ton pistolet contre sa tempe. « Si tu as des derniers mots, c’est maintenant. »

poussière de Tepeyollotl Poussière d'une pierre ancestrale extraite du sommet des montagnes. Une fois dispersée, permet d'échapper à la vue de toute personne n'étant pas un·e inkumboli. Usage unique.

TW tentative de meurtre, violence, sang

Le pistolet contre sa tempe, tu comptes silencieusement les secondes, alors que ton doigt appuie lentement contre la détente. Un. Deux. Trois. Tu pourrais tirer maintenant, mais quelque chose te retient, la conscience sourde que c’est trop facile. Gagner comme ça, aussi bêtement, sur une erreur si futile, une évidente tellement crevarde, ça te laisse un goût amer dans la gorge. Tu pensais que votre duel prendrait une tournure plus intéressante, plus vivifiante, mais à la place, te voilà confortablement installé sur Jana, le canon de ton pistolet contre son crâne, avec plus rien de plus à faire qu’à presser la détente pour mettre fin à toute cette vaste blague. « T’auras pas fait long feu dis donc. » tu balances entre tes dents. En fait, t’es en colère. T’aurais préféré qu’elle sache davantage se défendre. Là, tout est trop simple, tout crève d’évidence. Non pas que tu n'éprouves pas un doucereux plaisir à l’idée de la buter, mais tu composes très mal avec la déception. T’as un peu envie de lui cracher à la gueule, mais tu n’en fais rien, parce qu’elle ne mérite pas autant de considération de ta part. Tu devrais t’en foutre, appuyer sur cette putain de détente pour en finir, mais une sorte d’honneur mal placé te bouffe le ventre. « T’es vraiment décevante. » tu lâches d’une voix désabusée.

Jana part dans une hilarité qui te déstabilise quelques courts instants. Tu avais commencé à comprendre qu’elle était parfaitement futile et insensée, mais à ce point-là, elle parvient encore à te surprendre. Aucune expression ne transparaît sur ton visage, tu attends simplement qu’elle cesse de rire, ce qui prend encore de longues secondes. Elle t’envoie une nouvelle pique, et tu ne peux que reconnaître qu’elle a du cran – ou très peu d’instinct de survie. Alors que tu hésites encore – ce que tu regretteras plus tard – tu sens un mouvement dans ton dos. Mais tu n’as pas le temps de réagir que les crocs du daemon de Jana se plante dans ton trapèze, et son corps te déstabilise. Une grimaces de douleur vient trancher l’impassibilité de ton visage, mais tu tiens bon sur tes appuis, maintenant toujours le corps de la jeune femme sous ton poids. Tu donnes un violent coup de coude au daemon, espérant l’avoir suffisamment sonné pour qu’il ne réitère pas sa tentative. Tu sens le sang commencer à imprégner ton haut, là où les dents ont déchiré la chair, et ta main tremble un peu sur le pistolet, sans l’échapper. Tu t’es reculé d’instinct, sans pourtant laisser s’enfuir Jana, mais suffisamment pour que celle-ci ait le temps de saisir dans sa botte un couteau que tu n’avais pas avisé. Tu vois l’arme au dernier moment, celui où tout pourrait basculer. Tu t’apprêtes à contrer le coup avec ta prothèse métallique, mais Jana agis à l’opposé de tout ce que tu avais prédit.

En une seconde, l’arme ne se retrouve non pas plantée dans ta chair, mais directement sur sa gorge. T’échappes un éclat de rire. « T’es sérieuse là ? » tu lances d’une voix où l’amusement et l’absence de considération sont parfaitement palpables. Elle menace ton honneur en projetant de s’assassiner elle-même, et tu hausses un sourcil. Tu n’as jamais apporté beaucoup d’importance à l’honneur, plutôt familier des meurtres dans le dos, et en cet instant, tu ne sais plus comment te retenir de simplement tirer et en finir. Seule la déception retient encore ta main. Et cette même déception, elle fait monter une colère sourde en toi. Alors d’un geste vif, tu assènes un puissant coup de crosse dans la tempe de la jeune femme, qui fait instantanément gicler le sang. Le couteau retombe après avoir laissé une entaille sur sa gorge. Tu t’en empares et te relèves enfin, conscient que Jana est désormais hors d’état de nuire. Et tu n’attends plus pour tirer. Mais cette fois-ci, tu ne vises pas la tête ; non, tu veux provoquer le plus de douleur possible, lui promettre une mort lente et douloureuse, alors tu te recules avant de tirer droit dans son ventre. Un horrible bruit de sang et d’organes déchirés accompagne le coup de feu.

C’est fini. Tu constates tes propres blessures d’un regard tout à fait impassible. Tu ne peux pas nier que la jeune femme t’aura donné quelque peu du fil à retordre. Mais la douleur est accessoire, à côté du plaisir d’en avoir enfin fini avec elle. Tu n’as pourtant pas vraiment le temps de te réjouir – et de t’assurer que son pouls s’est bel et bien éteint – qu’un lointain bruit de pas te parvient, en-dehors du hangar. Quelqu’un·e a sans doute entendu le coup de feu, alors en un instant, tu te transformes en scorpion. Le petit animal se glisse dans un minuscule jour à travers les taules du hangar, et disparait dans la nuit noire.