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À travers le hublot du dirigeable, tu contemples les montagnes qui décorent les côtes comme une longue chaîne infranchissable, derrière laquelle bien des trésors attendent d’être découverts. Dans ta mémoire, la traîne des lambeaux et la déflagration sont encore imprimées au fer rouge, et le seront à jamais. La vision du corps de Quetzalcóatl soudain reformé, gigantesque et sublime, se rejoue dans tes pensées comme un mantra terrible auquel s’ajoute les cris de la ville, qu’il était presque possible de deviner depuis les dirigeables s’arrachant au Miroir fumant, Tezcatlipoca. Tu te remémores tout, encore et encore, et un étrange sourire ne quitte pas tes lèvres, à la fois terrorisé et joyeux ; les deux émotions primordiales que le Serpent-Ailé imprime sur ton être, la peur et le bonheur. Tu es perdu·e, mais cette perdition est grandiose. Vous êtes désormais tous·tes soumis·es aux volontés terribles du Messager de la fin des temps. Votre liberté n’est plus qu’une image qui se reflète dans Ses yeux innombrables. Il est revenu. Les lambeaux tant de fois recherchés, étudiés, adulés, ne faisant désormais qu’Un dans le ciel de Cittàspide. Toute ta foi, toutes tes espérances soudain catalysées dans un seul être sublime. Tu l’as cherché au détour de dizaines de mondes, tous plus lointains les uns que les autres, pour finalement échouer dans cette ville de fin des temps où tout devait s’aligner.

Après plusieurs jours de vol, le dirigeable parvient à rentrer à Cittàgazze, là où beaucoup avaient perdu espoir de ne jamais revoir la cité des cimes, menacé·es à chaque instant par le bon vouloir du Serpent-Ailé. Un sourire traverse à nouveau tes lèvres en apercevant la Torre degli Angeli ; tu sais quel est ton devoir, à l’instant même où tu mettras pied à terre. Retrouver la Grande Prêtresse pour tout lui conter. Elle sera sans doute déjà au courant de la résurrection de Quetzalcóatl, mais ta tâche est tout autre : narrer, dans les plus parfaits détails, le magnificence de Son retour, et célébrer la grandeur de Donatella Altamura, sous le règne de laquelle le Serpent-Ailé est réapparu. Ce ne peut pas être un hasard si votre Dieu s’est manifesté sous sa gouverne éclairée. Ce ne peut pas être un hasard si les lambeaux ont trouvé le pouvoir de se rassembler lorsque Donatella Altamura était votre guide. Le destin ne joue pas le jeu de la chance et du risque. Le dirigeable se pose, et à peine as-tu rejoint les quais qu’un messager vient te trouver pour te conduire au Mausolée sudérien. Tes intuitions étaient justes, et tu accompagnes l’envoyé jusqu’à la salle d’audience de la Grande Prêtresse.

Tu frappes à la grande porte avant d’avoir l’autorisation d’entrer et de te présenter devant elle. Tu lui adresses un respectueux signe de tête en t’inclinant légèrement. « Votre Eminence. » Tu reçois des salutations chaleureuses, et un sourire vient adoucir tes traits sérieux, alors que tu t’installes sur le fauteuil indiqué par Donatella. Ton visage trahit en effet l’épuisement après les longs jours de vol et les évènements cataclysmiques de Cittàspide, mais tes yeux brûlent encore des feux de Sa résurrection. « Vous pouvez me faire mander à toute heure du jour et de la nuit, je répondrai présent·e. » tu réponds à ses excuses, qui n’ont pas lieu d’être. Tu comptais précisément venir la trouver dès ton débarquement. Tu peux sentir une certaine excitation émaner d’elle à l’idée de recevoir le récit de vos mésaventures spidi, et tu ne laisses pas planer le suspense plus longtemps, déclarant d’une voix assurée : « Il est revenu. » Les mots claquent dans le silence de la grande salle d’audience, préambule d’une histoire de grandeur et de guerre. Tu plantes tes yeux dans ceux de la Grande Prêtresse, quoique le geste puisse sembler téméraire. Tu choisis de lui parler sans détours, sans fioritures, car le récit n’en a pas besoin pour être grandiose. Le silence n’est pas long, mais suffisamment pour donner à cette histoire la saveur des épopées. Tu prends une grande inspiration avant de commencer.

« Nous sommes arrivé·es dans une ville déserte, qui correspondaient très précisément aux légendes. La vie semblait l’avoir abandonnée très récemment, des feux brûlaient encore, et on pouvait presque entendre les rumeurs du quotidien. » Tu décides de n’omettre aucun détail, tout en allant droit au but, afin de laisser à Donatella le loisir de se plonger dans le récit, comme s’il était possible de le vivre une seconde fois. « En explorant, les cittadini – notamment les solmènes – (les mots sont appuyés) sont parvenu·es à activer des mécanismes étranges, portant le nom de mécanismes de Vigenère. » C’est ici que le récit prend une tournure parfaitement légendaire, comme si le mythe embrassait la réalité. Tu marques une légère pause avant d’ajouter : « Et Tezcatlipoca est apparu. » L’ennemi premier de Quetzalcóatl, mais tu te gardes de le préciser, car la Grande Prêtresse sait déjà toutes ces choses, relatées dans les légendes exhumées par les solmènes et qui conduisirent les gazzi vers l’antique cité. « Le Miroir fumant est sorti des eaux du lac de la Question, et a recouvert la cité comme un bouclier transparent. » Tu t’es un peu avancé sur le fauteuil, pris·e toi aussi dans l’excitation de cette mémoire qui demeurera à jamais ardente dans ton esprit. « C’est à ce moment-là que les spidi sont réapparu·es. » Sorti·es des profondeurs de la cité, comme une marée humaine faite de regards terrorisés et de remords. « Mais nous avons à peine eu le temps de les rencontrer que les lambeaux sont arrivés. » Tes yeux croisent à nouveau ceux de la Grande Prêtresse, et tu marques une pause, laissant le silence s’installer un instant pour permettre à Donatella de se projeter dans toutes ces informations.