tw pensées suicidaires, drogues, auto-mutilation

Ça gratte, ça colle. L'oiseau te démange. Faut que tu sortes, que tu déploies tes ailes. Tu te supportes plus. Tu ne veux plus voir ton reflet dans le miroir. Il y a ces poches sous tes yeux, ce regard hanté et cet autre qui n'est plus toi. Tu voudrais n'être que le Messager. Tu voudrais disparaître, laisser tous tes problèmes derrière toi et ne jamais revenir. Tu voudrais abandonner, parce que la vie est trop dur pour toi. Tsoar se perd chaque jour un peu plus et t'as peur qu'un jour il t'oublie totalement. Tu veux pas disparaître de sa mémoire, mais ça va inévitablement arriver. L'incendie de la tour vous a tout pris. Et tu te détestes un peu plus chaque fois. Tu veux sortir de ta peau. Tu veux que tes pensées se taisent enfin.

Le miroir, tu l'as brisé. T'as le poing en sang, mais au moins tu ne vois plus ce visage que tu détestes. T'as retourné ta petite casette pour trouver de l'ayahuasca. Rien. Il n'y en a pas une goutte. Que dalle. Putain, tu sais pas quoi faire. Alors t'es partie à tire d'aile. Et t'as failli pas reprendre forme humaine. T'es dans ces crises du manque qui emportent tout. Tu voudrais que tout se taise enfin. Et même le Messager ne parvient pas à t'apaiser comme il sait si bien le faire habituellement. Tu voudrais que tout s'arrête. Le silence, enfin. Fini les pensées parasites et l'ombre de la mort qui t'observe à chacun de tes pas. Plus de Numénor et ce rire cruel que tu crois entendre dans le calme de la forêt. Tu sais plus quoi faire. T'as cherché dans tes caches, plus rien. T'as dû tout utiliser. T'as pas d'ayahuasca, putain. Et ça te donne envie de crever.

Tu te grattes les coupures encore fraîches des éclats de miroir. T'as pris le temps d'enlever les morceaux de verre, mais t'as rien fait d'autre et ça saigne encore un peu. Et ça a quelque chose d'hypnotisant de regarder ton ichor goutter sur le sol. Peut-être que tu pourrais crever, comme ça, au milieu de la forêt.

Non, t'as pas le droit.

Alors t'es reparti vers la ville. Vers cette putain de ville qui t'écrasera peut-être un jour. Et quand t'es arrivé près du port t'as eu envie de vomir. Tu revois Tsoar étendu là. Tes cris, tes pleurs. Et lui qui se réveillait pas tout de suite. Peut-être que ça aurait été mieux qu'il meurt ce jour-là. Tu l'aurais tué lui aussi. Tu te détournes et tu cours à en perdre haleine. Il y a plus de discrétion. Il y a juste la peur et la culpabilité qui te bouffent. Il y a le manque et les images que produisent ton cerveau. Putain si seulement tout pouvait se taire. Si seulement, les si et les erreurs du passé cessaient de te hanter. Tu veux juste avoir la paix. Tu pourrais pas te foutre la paix à toi-même ? Tu sais pas comment faire.

Alors tu débarques dans le marché des ambrumes et tu cherches désespérément de l'ayahuasca. D'habitude tu l'as fait tout seul, mais là, t'as pas le temps. T'as trop envie que tout s'arrête. T'es plus que l'ombre de toi-même et tu emporteras les flamboyants avec toi.

Tu te rends plus trop compte de ce qui t'entoure. Il y a ce manque, ce sentiment d'être écrasé. Faut que ça s'arrête. Tu peux plus continuer comme ça. Tu peux plus être ce déchet qui sait pas tenir sans sa goutte d'ayahuasca. Les délires te prennent, te déchirent, te détruisent. Il ne reste de toi qu'une coquille vide au visage hagard. Est-ce que tu sais encore qui tu es ? Toi, le Scordato, l'oublié ? Tu voudrais que les ténèbres t'avalent tout rond pour qu'enfin tout soit silencieux. Mais pour ça, il te faut cette ayahuasca qui te bouffe, qui t'efface.

Tes pas ont ralenti. T'es hors d'haleine, t'as trop couru. T'as le cœur qui tambourine si fort comme le tonnerre, il sortirait de ta poitrine si seulement c'était possible. Le sang bat à tes tempes. Ça fait un bruit de tous les diables. Tu t'entends plus penser. Et de nouveau tu te griffes les bras. Tu voudrais que tes doigts soient des serres, retrouver tes plumes. Tu peux pas t'abandonner au messager ici alors tu te grattes jusqu'au sang. Tu la détestes cette peau. Il y a les poèmes au mur que tu distingues à peine. Il y a cette silhouette frêle que tu suis sans le vouloir.

Tu la connais pas. Ou peut-être que si. Et toi, tu sais plus où tu vas, il y a la bouteille qui roule, tes yeux attirés par l'éclat. Mais tu comprends rien. C'est flou. Et tu la bouscules, l'inconnue, la gamine. Tu lui grognes un pardon incompréhensible. Le vent te pousse contre le mur et tu vois ce parapluie bleu au loin. T'es presque tenté de reprendre la forme du messager pour aller le chercher. Tu peux pas. T'as pas le droit, pas ici. T'arrives à rattraper le parapluie, tu sais pas quoi en faire. Il tombe au sol et tu continues d'avancer. Toujours de façon erratique. Tu bouscules à nouveau la gamine. Et tu t'excuses encore dans un sifflement. "Ayahuasca... vous savez où trouver de l'ayahuasca ?" Tu lui baragouines ça, parce qu'elle pourra t'aider à trouver ce que tu cherches tant. Tu la reconnais pas. Tu sais même pas qu'elle était là lors de l'incendie de la Tour Castagniccia.

Ayahuasca. Le mot quitte tes lèvres dans un chuchotement que tu ne contrôles pas, simple lecture des lettres à demi effacées sur la bouteille que tu récupères, dans le seul but de la jeter dans une poubelle adaptée. Cette Ville Basse, à tes yeux, est comme un désert : le cœur s’y simplifie, l’âme s’y aiguise. Dans ces rues, tu ne trouves que des âmes en peine qui respirent grâce à leurs luttes, les espoirs qui gonflent les cœurs ont été abordés, parfois détruits, souvent simplement cachés profondément. Noyés. Et c’est ainsi que te paraît alors la voix qui t’arrive, de derrière. Alors que la silhouette semble calme, posée, le ton de la voix rauque est pressé, presque inquiet.

Ta bouche forme un O que tu as du mal à défaire en réfléchissant à comment répondre, sa question t’ayant prise de court. Tu entames alors une réponse, naïve : « Oh, non, ce n’est pas à moi, je- », mais tu es coupée par les rugissements des deux lionnes vendeuses de poissons qui se trouvent non loin. C’est comme si elles étaient dans un jeu pour savoir laquelle des deux est la moins agréable. Toi et ton hypersensorialité plissent tes yeux, crispent tes épaules, et tu envoie ta tête sur le côté dans un mouvement peu contrôlé, comme pour faire fuir de tes oreilles les beuglements des poissonnières. Tu voudrais reprendre ta réponse, mais il te semble évident que l’homme devant toi ne t’entendra pas, alors tu te rapproches de lui, la bouteille vide en main, et la lui tend en tapotant de ton ongle l’étiquette. « Je n’en sais pas plus ! », tu cries presque, en montrant l’adresse indiquée en petits caractères. Puis tu lui offres un sourire accompagné de quelques signes laissant entendre, prenez la bouteille, si elle peut vous être utile.

Oui. Ici, le cœur s’affaiblit. Et le tien vacille, lentement, quand tu vois dans le cou de l’inconnu quelques plumes qui se sont immiscées là. Intriguée d’abord, inquiète ensuite. Car les plumes ont ce rouge qui te hante, qui t’éveille parfois les nuits. Ce rouge qui te revient en rêve, en souvenirs enfouis. Flous, lointains, tu ne sens pas toujours le danger ni la peur, juste l’intrigue et les questionnements qui se secouent. Pourtant ton âme s’aiguise, te fait faire un mouvement de recul, rapide. Et dans ses yeux tu cherches à comprendre. Tu as encore trop de naïveté dans ton corps, cette naïveté qui fait que tu ne prends pas encore la fuite. « Excusez-moi, mais… on se connait ? Vous me semblez... ». Et puis plus rien que ton souffle qui s’éteint, tes doigts qui se mettent à gratter ta paume machinalement, et les feux qui se rallument.

*:

Tu brulerais. Tu te jetterais dans un feu à ce moment-là. Sans t'en rendre compte, tu grattes ton bras gauche de ta main droite. Tu t'attends à trouver des serres à la place de tes doigts. Tu sais plus trop qu'elle forme tu as. Tu sais plus trop qui tu es, où tu es. Il y a juste ce mot qui tourne en boucle. Ayahuasca. Toujours. Le manque te prend aux tripes. T'as soif. Soif de ces hallucinations qui te font croire à un monde meilleur, plus simple. Pourtant tu sais que la plupart du temps le monde est sombre, horrible, terrible. Tous les Flamboyants seraient morts par ta faute. Pourquoi l'ayahuasca te sauve et te tue à la fois ? Pourquoi retombes-tu toujours dans ses griffes ?

Et la gamine te répond, hésite. Tu comprends pas tout, t'écoutes pas vraiment. Et puis il y a les poissonnières et les cris qui te font mal au crâne. Ca te perce les tympans, te fait serrer les dents. Qu'est-ce qu'elles ont à crier comme ça ? Tu tournes la tête vers elle, ne regarde plus la plus jeune devant toi. Et tu te retournes brusquement quand tu l'entends crier. T'avais oublié qu'elle était là. Juste un instant. Juste un peu. Dans cet état, on pourrait se glisser derrière toi et te tuer. T'es vulnérable. Tu devrais pas être là. Tu regardes la bouteille qu'elle te tend. Une adresse, peut-être que tu pourras trouver ce que tu cherches là-bas. Un signe de tête pour la remercier et tu attrapes le récipient en verre. T'es prêt à partir, à continuer ta vie.

T'as pas le temps. Elle semble te connaître, te reconnaître. Et toi, ça te dit rien. Rien du tout. C'est le vide. Tu connais pas de gazzi. Tu veux pas les connaître, découvrir leur monde. Tu les détestes. La voix est dure, sèche, éraillée. "Je crois pas vous avoir déjà vu. Je viens rarement ici." Tu ne cherches pas à comprendre, à t'en inquiéter. Elle doit te confondre avec quelqu'un‧e. Tu sais pas qu'il y a encore des plumes dans ton cou. Elles restent là après les transformations parce que tu passes de plus en plus de temps en messager. Parce qu'un jour tu t'abandonneras à lui, tu laisseras tomber ton humanité pour enfin apprécier le silence.

Tu recules, dépasses l'inconnue, reprend ta route. Tu restes silencieux et tu te sens embarrassé, pas à ta place dans cette situation. Tu ne veux pas lui faire face. Tu ne veux pas qu'elle comprenne que tu n'es pas un gazzi. Là, dans cet état, tu pourrais faire un faux pas et tu veux pas te mettre en danger. Tu veux pas parler. Tu veux être seul. Un bouquiniste somnole et t'en profites pour récupérer un livre. Tu le donneras à Hira, t'es sûr que ça lui plaira et si tu lui rapportes avec un sourire, il ne s'inquiétera pas de tes yeux fatigués, éteints. Il ne verra pas que rien ne va plus. Et peut-être que tu devrais lui parler, leur parler, plutôt que te cacher, toujours.