sister against sister

Il fut une époque où tu n'aurais pas hésité. Tu n'aurais aucunement tergiversé que ce soit chez toi, dans la rue ou devant cette porte. Tu sais que tu n'aurais jamais hésité. Il y a un déglutissement dans ta gorge, les yeux tombent sur les fleurs achetés il y a quelques minutes. Un bouquet pour la féliciter de ces poèmes, de sa montée sur scène. Au fond, tu ne peux t'empêcher d'y voir de l'ironie : tu es descendue des planches quand elle, elle les embrasse enfin. Est-ce que l'ombre et la lumière s'inversent ? Est-ce que ça veut dire que si l'une doit briller, l'autre se doit de n'être personne ? " N'importe quoi, soupires-tu, comme si tu pouvais être ordinaire, banale en ce monde. Lentement tes pas empruntent le passage que tu t'étais juré de ne plus jamais faire. Lentement, tu te demandes si tu n'es pas une idiote finie et pourtant, les regrets dansent. Quand tu repenses à Mercymorn si belle, si incroyable sur la scène de la Nef. Quand tu l'entends déclamer ses vers comme on abat une lame. Parce que loin de l'envier, de la jalouser, t'en es fière. Mais, toi, elle ne t'aime pas, Ariel. " Le beau visage se déforme, tes traits se tirent et tu ravales ta bile. " Je sais. " Que Mercy sera une des personnes qui ne t'aimera jamais. Plus jamais.

Angèle vibre contre ton oreille alors que tu réajustes la cape autour de toi, sa chaleur douce. Les cheveux sont relevés dans un chignon sophistiqué, le maquillage est exquis, toujours sublimant tes traits. Et ces mots qui reviennent : ta beauté, c'est ton arme. Alors il te faut être jolie pour les faire faiblir, pour que tout soit plus facile dans un sourire. Et peut-être que ça adoucira un peu cette sœur qui t'a chassé de chez elle. Peut-être qu'elle cessera de s'occuper plus des autres que de toi. Parce que t'es pas dupe. Tu l'es jamais. Tu les as bien vu tous‧te‧s s'accrocher à elle comme des sangsues, captant son attention, réclamant la tendresse qui fut un jour tienne. Et ça t'énerve, au fond.

Tu te stoppes un instant devant chez Mercymorn où en tout cas la dernière adresse connue. Celle où vous partagiez la petite pièce lorsque le théâtre a sombré dans les flammes. Jusqu'à ce que le mot de trop t'échappe. Jusqu'à ce qu'elle se lasse de toi. Tes doigts gantés pianotent sur l'emballage des fleurs, t'hésites. Et plus t'hésites, plus t'as envie de te défiler, de filer.  "Il faut que t'arrêtes d'être une lâche, soupire le daemon à ton oreille." Ca fatigue Angèleima, tes questions sans réponses, tes doutes persistants et ces aller-retours entre chez toi et chez elle. Combien de fois t'as essayé de frapper à cette porte ? Combien de fois tu t'es défilée ? " Avec des mots d'encouragement, j'y arriverai sans doute mieux. Oh vas y, Ariel la superstar, elle va tomber en pamoison devant toi, c'est sûr et certain. Tu veux que je te dise ça ? Tu rêves, ma grande. " Et t'entends presque le : t'as merdé, t'as merdé, faut assumer.

Angèle n'a jamais été violent avec toi mais il a un avis tranché lorsqu'on en vient à Mercy et toi. Il est las de cette guerre d'usure, des disputes qui vous égarent, vous éloignent. Il est terriblement fatigué de cette jalousie qui enfle en toi en voyant le comportement de Mercy avec toi et le comportement de Mercy avec les autres zutiques. " Fais-moi plaisir, frappe à cette porte et arrêtes de faire l'enfant. " Le daemon quitte exceptionnellement ton oreille pour se poser sur la porte et toi, tu trembles déjà. Et si ça se finissait comme toutes les autres fois ? Et si cette fois, c'était vraiment la fin ? Si il n'y avait vraiment plus rien à sauver de cette enfance à l'orphelinat, lorsque Mercy abattait ses poings pour toi. Si tout s'était envolé. Il est pourtant trop tôt pour se quitter, pour tout oublier.

Un soupir et tant pis, tu dois essayer. Un dernière fois. Les trois coups sont délicats contre la porte, un pas en arrière et tu ramènes, nerveusement, tes cheveux sur tes épaules, les laissant cascader dans ton cou. Angeleima semble satisfait alors qu'il revient se nicher sur le bord de ton oreille : " Tu vois que tu pouvais y arriver. " Et un sourire s'étire en te disant qu'il est fier de toi. Au moins, il y a lui.

Tu t'éclaircis un peu la voix, sentant ton haleine dans la paume de ta main et les minutes s'écoulent, lentement, puissamment. Tu n'as jamais été aussi stressée pour une de tes conquêtes. Tu n'as jamais eu aussi mal au ventre en entrant sur scène. Tu n'as jamais eu peur de mourir aux mains des Solmènes mais la perdre te semble si terrible, si indicible que tu ne saurais vivre sans Mercy. Les minutes passent pourtant, sans la moindre porte qui s'ouvre : " Mercy ? Tu n'es pas là ? C'est ... Ariel, tu chasses l'instant d'hésitation entre les différents prénoms qui se chevauchent sur tes lèvres. Je suis venue te féliciter pour ta dernière récitation, tu regardes tes mains, plongeant un peu le nez dans les fleurs. Et discuter avec toi. " Te dire que tu m'as manqué. Que je suis désolée. Que je ne sais pas, je ne sais plus qui je suis. Que j'ai si peur de te perdre. Au bout de longues minutes de silence, tu as un soupire, une compréhension alors que tes mains se serrent sur le bouquet. " ... Tu ne veux sans doute plus me voir. Je te laisse les fleurs, d'accord ? Il y a un petit mot. " Toute la tendresse que tu penses de son art noir, de son militantisme ancrée, chevillée à son corps. Tu t'accroupis en posant les fleurs sur le sol, le bouquet est bariolé de mille et une couleur : rose, lys, gardénias s'entremêlent. Un bouquet pour dire pardon. Un bouquet qui en dit plus alors que les mots t'échappent tellement. Tu ne sais plus comment lui parler.

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Et puis de derrière la porte, il y a une voix, perçant un voile de désespoir. Le coeur fait un bond dans ta cage thoracique. " Pincez-moi, je rêve, et t'as le réflexe de le faire, de couiner de douleur alors que tu te redresses en quatrième vitesse. Tu lisses les plis de ta robe. Je rêve pas, l'incrédulité danse sur ta langue alors qu'Angele soupire. Tu es vraiment pas le couteau le plus affûté du tiroir. " Et t'ignores la remarque méchante, purement noire à l'image des regrets qui bouffent ta vie. T'ignores Angèle tant t'es fébrile, tant tu es qu'une imbécile au coeur étranglé d'un espoir vorace, tenace. Mercy t'aime encore. Mercy va t'ouvrir cette porte et ce sera comme avant.

La clé tourne et t'as les mains qui en tremblent. La poignée est tirée et ta soeur apparaît, si maigre, si pâle. « [color:6659= Steelblue]Criquet, entre, le sourire qu'elle t'adresse, le surnom qui s'égare te donnent des envies de pleurer. Si c'est un rêve, tu veux absolument pas te réveiller. Tu rêves pas, susurre la luciole. Et Mercy s'efface pour te laisser passer et le désordre est partout. Tu comprends lorsque tes yeux reviennent à Mercy, à ses traits tirés, à la maladie qui la bouffe. [color:6659= Steelblue]Est-ce que ça va ? Tu as besoin de mon aide ? » Tu as un moment où rien ne sort de ta bouche. Tu as un instant où rien ne naît sur ton visage et où tu rêves de tout lui dire ; que la vie sans elle c'était une connerie, que tu veux t'excuser, que tu veux ta soeur. " Mercy, je ... C'est à toi qu'on devrait poser cette question. Tu t'approches d'elle, passes un doigt sous son menton. Les cernes, la blancheur, les tremblements, tout indique la maladie. Sur la pointe des pieds, tu viens embrasser son front. Oh mais, Mercymorn, tu es brûlante. " Et aussi sec, tu pousses ta sœur dans la pièce, la porte se referme. Les fleurs sont posées et tu ramènes la zutique dans son lit de fortune. " Tu n'aurais pas dû te lever, tu sais qu'elle ne prend pas soin d'elle, bien trop habitée par cette brûlante lutte dont elle se gave jusqu'à la lie. Qu'elle se consumme quitte à se perdre. Tu la recouvres du draps. Il me faut de l'eau. Oui, de l'eau et en quatrième vitesse, tu te redresses vers le lavabo. Tu attrapes un bol propre et une serviette que tu passes par dessus ton épaule. Elle ne va pas mourir, Ariel. Tais-toi, tu ne gourmandes jamais Angèle mais cette fois c'est plus fort que toi. Vraiment, Angèle, ferme-la pour une fois. " Parce que la peur est trop forte. Parce que tu ne veux pas que Mercy te laisse et qu'il n'y ait plus rien de vous deux. Parce que tu lui as jamais dit pardon.

La luciole vrombit et finalement, elle se la boucle. Tu reviens aux côtés de Mercy, le tissu se plie et est plongé dans l'eau. Tu le tords pour ne pas qu'il trempe le visage de la colleuse. Doucement, tu le poses sur son front. " Est-ce que tu as mangé quelque chose ? Est-ce que tu as vu un•e médecin ? " L'inquiétude danse alors que tu connais déjà toutes les réponses à tes questions. Alors que tu sais que Mercy est du genre à se cramer mais pas à s'écouter.

Tu chasses une mèche de cheveux de son visage. Et sa question te revient : " Je voulais juste te voir et te parler. " Et pas se disputer, pas s'engueuler à en faire trembler la nef. " Mais, plus tard. " Ton souffle est doux, même si sans questions, ni autres. Lorsque le spectre de la maladie aura éloigné ses pas, vous aurez peut-être cette discussion. Peut-être, oui.

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tw : tca

Les yeux se plissent face aux mots de ta soeur.  Tu as toujours appris à te méfier de ce qui sort de sa bouche, quand elle est malade. Elle ne voit parfois pas le mal qu'elle fait. Elle ne voit pas le mal qu'elle se fait. L'ironie dirait que vous êtes pareilles : toi, tu finiras brisée par tes visions, incapable de savoir qui tu es vraiment. Perdue entre mille identités, mille vies. Oubliée, délaissée, abandonnée. Elle, elle finira par exploser son corps et ses sens. Elle, elle ne pourra plus bouger. Incapable de manifester, de militer, de se lever. L'ironie c'est que t'es pas si différente d'elle.

La daemon précise et tu en lâches un reniflement. Pas dédaigneux. Pas accusateur. Juste un reniflement de tristesse maladroit que tu ravales bien vite. Juste une impression qu'elle ne s'écoute pas. Encore une fois. " Ce n'est pas un repas, râles-tu. Alors que t'es pas mieux. T'as jamais été mieux alors que les calories ingérées sont minutieusement surveillées. Alors que tu traques le moindre défaut de ta silhouette. Il faut que tu manges un vrai repas. " T'insistes. Tu maintiens le torchon sur son front, l'empêchant de le retirer. " Regardes tu n'as même plus la force de râler contre ta propre daemon. Petit clin d'oeil complice à Yil. Il faut que t'arrêtes et que tu te reposes, maintenant. "

T'as toujours eu un regard accusateur, franchement désagréable et noir sur les colleuses. Sur ces voleuses de soeur. T'as jamais aimé comme cette fausse famille t'a remplacé, balayé. Et il y a une part de toi qui veut les accuser de la maladie de Mercy mais tu sais que c'est pas vrai. Tu sais que Mercy a besoin de rien, ni de personne pour faire ses actes militants, ses poèmes. Tu sais que ta sœur crame sa vie par les deux bouts parce qu'elle a pas le choix. Parce que les gens comme vous iels n'ont jamais le choix. Il faut se défoncer pour manger. Il faut arracher sa survie au jour le jour. Il faut se battre rien que pour respirer.

Un soupir face aux mots de Yil : tu sais bien qu'elle a pas les moyens. Tu sais bien qu'elle en a rarement. Un sourire s'étire aux herbes et tu souris : " Tu crois vraiment, Yil, que je sais faire la moindre décoction ? " Derrière les gants tissés, brodés, il y a un aveu sincère d'avoir été toujours trop précieuse pour ce genre de savoir. Les mains sont diaphanes et pâles, sans le moindre signe d'imperfections. Mercy se redresse légèrement pour protester, sa main enveloppe la sienne. La poigne est douce et tu observes le visage émincé et creusé de ta sœur.

Lentement, sans défaire vos mains, tu pousses Mercy à se rallonger : " Ne t'inquiètes pas. Je reste. Tu ne comptes pas filer et te défiler. Tu ne comptes pas t'en aller. Mais tu dois te reposer, s'il te plaît. " La couverture est lentement rabattue sur la colleuse, jusqu'à son nez. " Je vais contacter une amie pour de l'aide. Toi, en attendant, tu dors. Tu serres sa main dans la tienne comme pour lui assurer, la rassurer que tu seras là au réveil. Tu attends que ta sœur s'endorme. Angèle bruisse à ton oreille en te demandant : comment tu vas faire pour attirer l'attention de Guerre sans te lever et y aller ? " Silencieusement, tu étires les liens d'un collier caché auprès de ta poitrine. Tu en détaches une pierre. Tu la regardes un instant. Uniquement pour les urgences mais aujourd'hui c'en est une.

Doucement, tu éclates la pierre qui file en poudre après quelques mots susurrés : " Pas de danger de mort mais besoin d'aide sur place. " Dans quelques minutes, quelqu'un•e viendra frapper à la porte. Dans quelques minutes, ta sœur sera tirée d'affaires.

Les coups sont légers et cette fois, tu te lèves pour accueillir l'ange venu•e aider. A tes demandes, l'étonnement se lit sur le visage et une remarque : " Guerre ne va pas être contente. Tu sais, tu hoches la tête. Je verrai avec elle. Maintenant c'est oui ou c'est non ? Bien sûr que c'est oui. " L'ange file sur ses mots et revient après une bonne heure. Quelques explications sur les potions et quelques autres sur les deux-trois plats livrées. Un salut poli et vous vous quittez sans vous retourner.

Doucement, tu retournes sur tes pas. Les talons claquent sur le parquet. Tu t'agenoue doucement devant ta sœur, remettant ta main dans la sienne. " Ça va aller ... Ça va aller ... " Elle ne mourra pas comme vos parent•e•s. Et tu attends qu'elle se réveille, espérant que l'odeur de nourriture chaude l'éveille, la réveille.