Tu as cru mourir. Jamais une vision n’avait été si brutale, si désespérée. Les mots se sont comme imprimés en lettres de feu dans ton esprit : RETOUR. RETOUR. Tu t’es écroulée dans ton bureau. Tes jambes ne te tenaient plus. Les mains sur tes tempes pour tenter d’endiguer les images et les sensations qui te percutaient comme des balles, tu t’es recroquevillée au sol. Tu n’as pas entendu la porte s’ouvrir, à peine senti les bras de Vanja autour de toi. Quelques mots indistincts te sont parvenus : « reviens-moi », « je suis là », « je suis avec toi ». Des paroles massacrées par la vision, par toutes ces sensations funestes, par l’impression confuse qu’une menace plane sur le monde. Quand tu parviens enfin à parler, ta voix n’est qu’un souffle. « Il faut… trouver… Skye… » tu articules avec difficulté, alors que Vanja te serre dans ses bras. Tu n’entends pas tout ce qu’il te dit, tu comprends qu’il s’agit de mots en suédois, et il te faut encore de longues minutes, peut-être une heure, pour parvenir à te relever. Tu chancèles un peu, peines à revenir tout à fait à toi. Des gardes viennent vous prévenir de l’effervescence qui a gagné la ville. La Guilde des Haruspices a sonné l’alerte dans les rues de Cittàgazze, le matin qui se lève est rouge comme si un crime atroce avait été commis. Vanja et toi vous précipitez à la Cattedrale, où déjà des fidèles se sont rassemblé·e·xs pour lutter ensemble contre la panique qui enfle dans la cité des cimes. Mais tu n’as pas le temps pour un sermon, pour rassurer, pour consoler ; vous devez faire vite. Quelque chose de terrible se prépare peut-être.

Tu as besoin de Skye. Tu sais qu’elle aussi est haruspice ; elle en sait peut-être plus que toi sur ce qu’il s’est passé. Tu as besoin de ton amie auprès de toi pour faire face à ce trouble, et tu sais que comme toi, la Primat sera éprise d’un profond besoin de comprendre. Qu’elle n’abandonnera pas la ville à son funeste destin. Vous gagnez la Cattedrale, et dans la foule rassemblée, tu aperçois immédiatement ton amie. « Skye ! » tu appelles, tout en la rejoignant. Les mains sur ses épaules, tu l’auscultes rapidement pour t’assurer qu’elle n’est pas blessée, car tu ignores ce que la prophétie a pu provoquer chez elle. « Tu as eu la vision, toi aussi ? » La question est rhétorique, car de toute évidence, tous·tes les haruspices de la ville l’ont eue. Certain·e·xs, en piteux état, sont étendu·e·xs sur les bancs de la cathédrale, veillé·e·xs par d’autres fidèles. « Il faut absolument découvrir ce qui est en train de se passer. » Tu plantes tour à tour tes yeux dans ceux de Skye, de Cees, de Vanja et de Freyja, avant d’ajouter d’une voix moins assurée que tu ne l’aurais voulu : « Qui ou quoi nous menace. »

Et comme un éclair dans le trouble de ta mémoire, tu songes à quelqu’unæ. Quelqu’unæ que tu ne peux pas laisser seulæ. Unæ solmène qui pourra sans doute vous aider, æl aussi, à faire le jour sur cette menace. Parce qu’æl est illuministe, et que les illuministes savent peut-être quelque chose au sujet de la vision. Et puis, surtout, æl est ton amiæ, et tu ne sais que tu ne peux pas læ laisser seulæ, pas dans son état, pas dans cette panique. Æl serait capable de se laisser mourir, de ne prêter aucune attention à l’urgence, de ne pas lutter ; et ça, ça t’est insupportable. Tu sais ce qui lui est arrivé, tu sais ce qu’æl a tenté ; tu ne peux pas l’abandonner dans cette tourmente. « Je dois retrouver quelqu’unæ, m’assurer qu’æl va bien. Ensuite, nous pourrons commencer à fouiller la cité. » Tu n’attends pas vraiment l’autorisation pour sortir de la Cattedrale d’un pas rapide, et prendre la direction de la Torre degli Angeli. Les alchimistes solmènes ont sans doute été appelé·e·xs à défendre la tour, c’est l’endroit le plus probable où tu pourrais trouver Itha. En effet, alors que le monument est en vue, tu aperçois læ solmène. « Itha, on a besoin de toi, il faut que tu nous aides. Quelque chose de terrible se prépare. » Le regard que tu lui jettes est ambigu, car ce n’est pas à l’alchimiste que tu t’adresses ; c’est à l’illuministe.

tw pensées suicidaires

Tu as été réveillæ en sursaut par des cris. Le sommeil ne te vient pas facilement ces derniers temps. Il faut composer avec la douleur et le souvenir de ce que tu as fait. Chaque fois que tu fermes les yeux tu vois cette masse informe que tu as créée et tu sais l'horreur dont tu es capable. Alors tu dors quand l'épuisement te fait tomber dans l'inconscience, quand les cris ne secouent plus tes cordes vocales. Tu as pu rentrer chez toi récemment, plus besoin de te surveiller, de s'assurer que tu n'en finiras pas. T'aurais préféré mourir que de vivre avec cet échec. Et il y a le moignon de ta jambe droite qui te fait souffrir. Les douleurs fantômes ne cessent jamais vraiment. Tu te détestes et tu ne sais plus quoi faire. Le cœur tambourinant, tu t'es redressæ du canapé dans lequel tu as fini par t'endormir. Lentement, tu t'es relevæ et tu t'es trainæ jusqu'à ta fenêtre. Tu comprends toujours pas ce qu'il se passe.

Zola te tire la manche, il faut que vous sortiez. Il faut que vous retrouviez la Torre degli Angeli et ses alchimistes qui ne cessent de te juger. Leur regard sont comme des brûlures sur ta nuque. Iels savent. T'es plus comme elleux. T'as fait l'interdit, l'impossible et tu devrais être puniæ. Il n'en est rien, la porte de la Vérité t'as déjà assez pris comme ça. Tu récupères tes béquilles et tu claudiques jusqu'à ta porte. Le chemin te prendra longtemps. Peut-être que tu devrais manger avant de sortir. T'as pas envie, pas faim. C'est encore Zola qui te traîne derrière æl. T'as peut-être abandonné, mais pas æl, jamais æl.

Tu sais déjà que sans Zola tu ne serais plus de ce monde. Tout aurait pris fin et peut-être que t'aurais enfin trouvé la paix. Tu peux plus perdre espoir. Faut que tu parviennes à te relever et à reprendre ta route, malgré la douleur, la solitude, le jugement. T'étais déjà pas vraiment intégræ au rang des solmènes, la transmutation humaine t'as encore plus éloignæ d'elleux. Tu dois apprendre à faire avec. Tu dois trouver des chemins détournés pour éviter les escaliers. T'es plus aussi mobile qu'avant. Tu fatigues vite et chaque action prend plus de temps. Tu as des séances de rééducation et bientôt tu devrais avoir une prothèse, mais t'es pas sûræ d'être prêtæ pour ça. Tu pousses toutes ces pensées. Faut que t'ailles à la Torre, que tu prennes tes ordres de la Grande Prêtresse et que tu comprennes ce qu'il se passe.

T'as entendu le mot retour dans la bouche de beaucoup d'haruspices. C'est comme un mantra qui se répète partout. T'as pas réussi à avoir plus d'informations. Iels en sauront plus à la Torre. Et enfin, l'édifice est en vue. T'es déjà épuisæ. T'as envie de te recoucher, même si tu sais que tu dormiras pas. Tu voudrais trouver un coin dans lequel te cacher et ne jamais retrouver le reste du monde. Tu voudrais qu'on te foute la paix. Zola te fait comprendre que t'as pas le droit.

Tu vois pas tout de suite Eluard et d'autres pandémoniques s'approcher de toi. C'est Zola qui te tire la main pour te faire relever la tête. Tu comprends que la cardinale ne parle pas à l'alchimiste, mais à l'illuministe. Il faut que vous compreniez ce qu'il se passe. Ta bouche est pâteuse, ta gorge sèche. Tu hoches d'abord de la tête. Puis, après avoir dégluti, tu te sens capable de parler. « D'accord, je viens avec vous. Je n'ai rien pu apprendre d'autre que le retour de quelqu'un‧e ou de quelque chose. Vous avez plus d'informations ? » Tu regardes, Eluard, puis Skye, puis Vanja. T'espères qu'elleux sauront un peu plus ce que vous devez gérer. Toi, t'es pas suffisamment en forme pour te pencher sur la question pour le moment. Faut que tu pousses tous tes problèmes au fond d'une boite et que tu te concentres sur ça. Zola ne veut pas que vous abandonniez, alors faut que tu tiennes. Encore un peu.

À côté, des alchimistes font des cercles de défense. T'as même pas besoin de réfléchir pour comprendre qu'iels s'y sont mal pris‧es. Il va y avoir un rebond et ça va leur sauter à la gueule. Vous sauter à la gueule. Tu vacilles, t'appuyant sur Zola pour ne pas tomber. Puis tu te redresses et tu t'approches d'elleux. « Vous faites n'importe quoi ! Qui sont vos mentor‧es ? Ce symbole là n'est pas le bon. tu attrapes une craie de la main d'un‧e des fautif‧ves, Il aurait fallu faire comme ça. » T'accroupir n'est pas facile, mais tu rectifies leur erreur. T'as le visage pâle, éteint, mais au moins t'es pas enfermæ chez toi à te morfondre. Tu te redresses en grimaçant et te retournes vers les autres. Il faut trouver des indices sur ce retour.

Le sang. Le feu. Le miroir. Une flèche. Ce hurlement… Puis la vie, sombre et éteinte.
Skye a eu plusieurs convulsions dans ce sommeil qui n’en était pas un. Frappant tantôt de ses pieds le bout du lit, et de ses bras ou de sa tête la table de nuit et ce qui s’y trouve. Une lampe brisée, des livres froissés, quelques bleus aux épaules et sur sa tempe. Puis le réveil en criant, tombée du lit, la boule dans le ventre qui tord les organes, Cornelius à côté du lit qui pleure et hurle. Jamais une vision n’avait été si douloureuse, en dedans comme en dehors. Jamais une vision n’avait eu lieu sans déclencheur, juste comme ça, comme si une force plus immense que le reste l’avait purement et simplement imposée. Elle lui a rappelé les premières fois, la découverte de son don, quand Skye enfant était prise de crise de panique à ne pas comprendre ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait compris. La sueur dégouline sur son front alors qu’elle regarde Simurgh déjà forcément éveillé·e et se blottit dans ses bras. Mais Simurgh ne peut pas comprendre toute l’entièreté des tremblements qui la saisissent, iel n’est pas tout à fait comme elle ; ellui c’est son âme intérieure qui tremble quand pour elle c’est son esprit tout entier. Leurs pouvoirs se font écho sans s’entendre, et dans un baiser qu’elle sait inquiet pour chacun·e d’elleux, elle lae quitte, pressée, car Skye n’a qu’une chose à faire, comme un besoin devenu vital.

Elle arrive en courant pour rejoindre le cloître de la Cattedrale Sant’Ambroggio où la foule n’est pas encore trop nombreuse, et elle s’approche du chœur, de la chapelle consacrée aux anges, avant de se mettre à genoux. Offerte et terrifiée, les mains scellées dans un appel à l’aide inaudible, elle prie plus fort qu’elle ne l’a jamais fait. Cette vision l’a renvoyée dans un passage de la Bible qu’elle ne cesse de répéter à voix douce ; Prenez toujours la foi comme bouclier : il vous permettra d'éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais (Éphésiens 6:16). La foi comme bouclier. La foi comme bouclier. Son bouclier à elle, qui est aussi son arme, ce sont ses visions qu’elle veut tenter de pousser, de créer, pour comprendre et alimenter celle qui les a toustes terrassé·e·s ; ainsi elle sort de son sac - où Cornelius est allongé silencieux comme il ne l’est jamais - une Page de Job ainsi qu’un carnet où elle recopie la page aux savoirs infinis comme pour l'ancrer dans ses veines, mais aussi toutes ses impressions et informations, avec l’aide de sa Plume sainte, priant pour qu’en consignant ainsi les connaissances des un·e·s et ses autres, elle retienne tout et en décèle chaque mystère. Ses doigts sur la plume se resserrent un peu plus, se font mal, puis elle se relève et cherche des yeux les regards de ses consoeurs et confrères haruspices. Où est Yiwài, chétif et apeuré ? Mais surtout où est Eluard ?
Lorsqu’elle arrive, secondée par Vanja, Skye se presse à leurs côtés et fait fi des mains qui se posent délicatement sur ses épaules. Elle l’enlace. Le serre, si fort, qu’elle s’en excuse en posant sa main également dans celle de Vanja après qu’il l’ait porté contre ses cheveux dans un geste délicat de cette place fraternelle qu’il reprend doucement. « Oui, j’ai tout vu. Je suis désolée, j’ai cru que tout le monde… L’as-vu ainsi, toi aussi, la Cité qui hurle, qui souffre, mais qui revit par le sang et les flammes ? Comme une résurrection par le feu… ». Ses yeux sont fuyants, ailleurs ; Skye se perd dans les interprétations, s’embrouille dans sa compréhension des symboles, écrit tout ce qu’elle peut comme si elle manquait de temps. Puis elle hoche la tête, accepte de les suivre, le cœur battant, encore trop inconsciente réellement pour prendre la moindre décision sensée.

Perturbée, en voyant Itha, unæ alchimiste, Skye sent la peur grimper de quelques étages contre ses poumons, venir titiller sa gorge la forçant à déglutir. Est-ce bien quelqu’unæ en qui nous pouvons avoir confiance ? La question ne cesse de se poser en découvrant la colère avec laquelle æl confronte un groupe d’alchimistes qui semblent simplement tenter de défendre la ville ; alors, bien que ce soit inhabituel, Skye s’approche d’æl. « Peut-être faut-il nous concentrer sur des choses plus importantes. Laissez-les faire de leur mieux, et faisons du nôtre. Elle se retourne vers Vanja, qui rassure un·e enfant, puis Eluard ; avant qu’un fracas ne la fasse sursauter en projetant juste à ses côtés un exemplaire d’un livre, Le Mont Analogue. Hm, intéressante référence à nos ami·e·s enfoui·e·s dans la forêt… Tout s’est accéléré depuis qu’iels se sont réveillé·e·s de leur silence. Iels doivent en savoir plus qu’iels n’en disent. Le feu n’est-il pas l’un des attributs les plus importants pour elleux ? ». Lentement, elle tourne les yeux en direction de la Montagne qui entoure Cittàgazze, se souvient de celle qui entourait Cittàspide ; de la lance pointée vers elle, comme une flèche perçant le cœur de la ville, et la vision revient par morceaux, avant qu’elle ne continue leur chemin.

Plume SaintePetite plume d'un oiseau non identifié. Les copistes qui l'utilisent se souviennent parfaitement des ouvrages qu'iels ont copié avec, ce qui augmente leur niveau de connaissance du monde.

Page de JobUne page de livre sans fin qui retrace toute l'histoire de ce monde depuis des millénaires, mais dont la majorité des pages restent illisibles. Obtenez-en trois pour recomposer le Livre de Job, qui permet d'obtenir 700 points d'influence.

Itha acquiesce de vous accompagner, et tu ne peux retenir un soupir de soulagement. Tu sais qu’æl saura vous aider dans cette étrange quête, et tu ne voulais pas læ laisser seulæ. Tu t’en veux, en vérité, de ne pas avoir suffisamment pris la mesure de sa blessure, de ne pas avoir été davantage présente auprès d’æl, pour l’épauler, l’accompagner. Et surtout, tu aurais voulu être là pour empêcher son « accident ». Tu hoches négativement la tête lorsqu’æl vous demande si vous avez plus d’informations sur la prophétie. « On n’en sait pas plus. » Alors que vous commencez votre enquête dans les rues de la Ville Haute, furetant à la recherche du moindre indice pouvant faire le jour sur cette immense énigme, tu récapitules : « Essayons de prendre les choses dans l’ordre. Dans la vision, il y a plusieurs pistes : quelque chose qui ressemble à du feu, une flèche et des lignes de vie. » Tu marques une pause, avant d’ajouter, le regard dans le vague, comme si tu lisais quelque chose à l’intérieur même de ton esprit : « Et du sang. » La vision se rejoue dans ta mémoire, et tu serres les dents, incapable de l’endiguer, incapable de la contrôler. Tu te sens dépossédé d’une part de toi.

C’est Itha qui te ramène à toi, s’emportant contre un groupe d’alchimistes vraisemblablement peu à l’aise avec leurs pentacles, avant de corriger leurs tracés. Tu t’avances pour l’aider à se relever, mais æl n’en a pas besoin. Tu sens bien que Skye n’est pas la plus à l’aise en compagnie de la solmène, mais tu ne revois pas ton choix de l’intégrer à votre petit groupe. Tu poses une main sur l’épaule de la Primat pour essayer de la rassurer, croisant son regard, mais dans toutes ces circonstances, avec la panique qui a saisi la ville toute entière, il est difficile de consoler qui que ce soit.  Vanja revient vers vous. Tu ne t’étais pas aperçu qu’il était allé aider un enfant, trop absorbé par les images de la prophétie. « Des ailes ? Peut-il s’agir de Quetzalcóatl ? » Tu espères te tromper ; tu l’espères si fort. Vous reprenez votre marche dans les rues de la Ville Haute, alors que l’enfant gagne la Cattedrale pour se mettre à l’abri. Vous n’avez pas marché une minute que le bruit cinglant d’une vitre brisée vous arrache un sursaut. Un livre atterrit à vos pieds : Le Mont Analogue de René Daumal. Tu écoutes les théories de Skye, mais tu ne peux ajouter qu’un : « Je ne connais pas assez bien les cosmogonies analogues pour interpréter tout ceci. » navré.

C’est naturellement que vous vous êtes dirigé·e·æs vers la Bibliothèque des Quatre Mondes. Mais à peine avez-vous rejoint son parvis qu’une silhouette en train de s’enfuir vous dépasse vivement avant de disparaître dans les rues de la Ville Haute. Tu sursautes, avant de poser les yeux sur le véritable champ de bataille de livres qui ont été abandonnés, à moitié déchirés. L’un attire ton attention, et tu viens soulever l’ouvrage cadavérique en reconnaissant un traité d’aviation. « 29-2… » tu déchiffres, sous la représentation d’un aéroplane dont le nom a été déchiré. « Les ailes, peut-être n’étaient-elles pas celles du Serpent-Ailé finalement. Doit-on chercher un avion ? »

Se faire à ce nouveau groupe n'est pas des plus faciles pour toi. T'es plutôt du genre asocialæ. Tu sais pas y faire avec les gens, t'as jamais vraiment su. Il y a que quand tu enseignes que tu te sens pas si perduæ. Alors tu les regardes, Eluard que tu connais déjà et les deux autres que tu n'as fait que voir en venant rendre visite à la Cardinale. Il y a le chef de la garde, Vanja qu'il t'annonce et la primat, Skye que tu te rappelles. Et toi tu dis rien. Tu sais pas quoi faire avec elleux. Iels sont tellement éloigné‧es de la vie que tu as vécu. Tu te sens à part, pas à ta place et ça te donne l'impression de pas être dans la bonne peau. T'es dans quel état ? Avec cette jambe en moins, ce visage pâle et l'impression d'en avoir fini avec ta vie. Pourquoi t'es encore vivantæ alors que tu as fait l'innommable. Iels ont raison de se méfier de toi. Depuis que tu l'as ouverte cette maudite Porte de la Vérité, l'alchimie est tellement plus claire, facile pour toi. Tu sens l'énergie de toute chose au bout de tes doigts et même vos pentacles et autres cercles alchimiques te semblent ridicules. Tout est tellement plus grand, mais tellement plus moche aussi. Avec la compréhension vient la culpabilité et tu te détestes chaque jour un peu plus. Tu détestes ta soif de puissance, ton envie de vaincre la mort, de lui reprendre ce qu'elle t'a volé. Et t'as même pas réussi. T'es qu'un échec parmi tant d'autres alors même que t'es l'unæ des alchimiste les plus puissantæ de ta génération.

Tu te relèves sur une grimace après avoir engueuler ces apprenti‧es et tu regardes même pas celleux qui voulait t'aider. T'as pas besoin d'aide. Iels feraient mieux de rester loin de toi ou tu les corromprais. Ce sont des personnes de foi, iels croient à leur Autorité, toi t'es le démon, un monstre. "Je préfère éviter qu'iels nous fassent tous‧tes sauter avec leurs cercles instables. Je vous laisse gérer les visions et la foi, laissez moi faire niveau alchimie." Et le ton est sec, froid. T'es même pas capable d'y mettre les formes. Tu souffles, sert l'échine de Zola dans ta main. Tu regardes un peu ton daemon, ses yeux tristes qui t'enjoignent à faire mieux. Tu te retournes vers la primat. "Désolæ, je suis sûr les nerfs dernièrement. Je-" Et tu sais pas ce que tu veux lui dire de plus. Qu'est-ce que tu pourrais faire ? Tes dents claquent les unes contre les autres alors que tu refermes brusquement la bouche. Peut-être que tu ferais mieux de te taire. Tu sais pas quoi faire avec elleux.

Le fracas de la fenêtre brisée te fait sursauter et t'arraches une grimace de douleur. T'as voulu te rattraper sur la jambe que tu n'as plus et les béquilles que tu gardes sous les bras pour te tenir en équilibre te sont rentrées dans les aisselles. Tu ressasses sur ce qu'a partagé Eluard avec vous à propos de la vision. Du feu, une flèche, des lignes de vie et du sang. Est-ce que ça a quelque chose à voir avec l'alchimie de sang ? Est-ce que les alchimistes vont réveiller quelque chose de dangereux, d'ancien, de mortel ? Tu sais pas. Et tu te reconcentres sur Skye qui étudies le livre. "Iels en ont peur, du feu. Iels le prennent pour quelque chose de destructeur et iels ont raison." Tu sais peu de choses sur les analogues, seulement ce que tu as entendu dans les couloirs de la Torre degli Angeli. Tu t'es jamais intéressæ à autre chose qu'à tes études d'alchimie. Alors tu dis rien de plus. Tu ne sais pas quelles conclusions tirer de ce que vous avez déjà vu.

Vous vous avancez vers la Bibliothèque des Quatre Mondes, là-bas peut-être que vous trouvez des réponses à ce retour. Une piles de livres déchirés attirent votre attention et Eluard attrape l'un d'eux. Un traité d'aviation avec le dessin d'un aéronef. Le nom de celui-ci est incomplet et tu ne sais rien de plus que ces mystérieux chiffres : 29-2. "C'est la menace qui vient des airs, ou nous qui devrons fuir par cette voie ?" Tu t'interroges et t'es pas sûræ que ça ne vous avance à quoique ce soit.

Unæ poètæ passe à côté de vous en courant et laisse tomber des feuillets. Tu attrapes l'une des feuilles avec l'aide de Zola et tu en lis son contenu. Il y a un poème qui attire ton attention et tu appelles les trois autres pour qu'iels viennent voir aussi. "Qu'est-ce que ça vous évoque ? On dirait que tout était calme et que d'un coup le chaos." Tu cherches un sens caché dans les quelques vers, mais tu n'es sûræ de rien.

Nous devons fuir.

Itha a un ton sec qui glace le sang, mais Skye n’a pas le temps de hausser un sourcil que læ Solmène s’en excuse. Rares étaient celleux de cette secte qui faisaient preuve d’un peu de compassion, et en perdant ses yeux sur la jambe de l’alchimiste, sachant de loin ce qui lui est arrivéæ, la Primat reprend un visage calme. « Nous le sommes toustes, ne vous en faites pas, je comprends. ». Pas de geste d’affection, mais cette neutralité est finalement tout ce qu’il y a de plus agréable qu’elle peut offrir à quelqu’unæ dont l’étendue de la magie la terrifie.
Elle s'apaise un peu plus sous la main déposée d’Eluard sur son épaule, et lorsque la petite troupe avance et découvre la Bibliothèque avec ses livres déchirés, celle de Vanja clôt le tour et lui offre l’affection qu’elle pourrait espérer dans cet instant faste, où elle s’éprend d’une tristesse qu’elle ne contrôle pas entièrement. Elle s’abaisse pour ramasser quelques feuillet d’ouvrages, pensant au travail de ses copistes et relieur·euse·s, détruit comme ça sans seconde pensée. Skye prend ainsi une grande inspiration, dans des mouvements lents et solennels, elle laisse choir ce qu’elle avait récolté : abandonne à leur sort ces livres sur lesquels s’appitoyer n’aiderait pas davantage, une décision qui fait mal, alors qu’elle se retourne vers la petite assemblée.

« J’ai entendu qu’il y avait un avion comme cela à Cittàspide. Nous avons les dirigeables et la science pour construire de nouveaux moyens de transport par les airs. Peut-être que tout cela veut dire que les cieux nous sauveront… Et oui, cela pourrait être à travers une nouvelle faille. La vision était en effet assez proche de… Carthage. Des flash, des réminiscences viennent lui donner quelques frissons. Il a quelque chose de la tempête après le calme, ce poème, en effet… “Vol de nuit”, est écrit avec les premières lettres de chaque vers. Je crois… Je crois que nous devons fuir. ». Et la voilà, la conclusion qui lui trotte en tête, qui fait que laisser les débris de livres derrière elle n’est peut-être pas aussi douloureux qu’elle le penserait. La fuite semble être la seule solution, et au fond d’elle, Skye ne peut que penser à celleux qu’elle aime, au risque et aux dangers qui les menacent s’iels restent dans cette cité infernale.

Cees a un visage froissé, inquiet, mais il fait comme si de rien n’était et sautille de joie quand Freyja lui ramène sa trouvaille. Se blottit un peu contre les plumes de l’oiseau, car il en a besoin plus qu’il ne se l’avoue. Au loin, dans les jardins, les couleurs vives du printemps ont disparu, comme écrasées par l’Effondrement menaçant. N’était-ce pas l’une des plaies d’Egypte, les ténèbres et l’obscurité ? Les fleurs qui fanent, leurs couleurs qui se flétrissent et ne laissent que de ternes tiges mortes… C’était l’avant-dernière, celle qui précède la mort de toute une nouvelle génération. Alors elle n’est plus capable de réfléchir, Skye, elle cache les tremblements de son corps dans un silence crispé. Elle ne pense plus qu’à fuir.

Eau de ChicayánTransportée dans une gourde spéciale, cette eau permet de lancer 2 dés à la fois.

La réalité glisse sur ta peau comme une morsure. Toi d’ordinaire si perspicace, si avide de mystères, tu es forcée de reconnaître que tu ne comprends ni ne maîtrises plus rien. Autour de vous, l’affolement a gagné la cité et des scènes ahurissantes vous font plonger en plein cauchemar ; l’enfant esseulé·e·x dans une ruelle, les rassemblements devant la Cattedrale, les alchimistes en train de tracer des pentacles de protection contre une menace invisible, les volets des casette barricadés. Tu jettes un regard circulaire aux rues autour de vous, et c’est une panique univoque que tes yeux rencontrent. « On dirait que la ville est en train de sombrer… » tu souffles, comme pour toi-même, quoique tu t’étais juré de ne pas céder à la panique. Tu acquiesces à la remarque d’Itha sur la menace venant des airs. Peut-être que les dirigeables sont votre seule perspective de salut ? Vanja renchérit, ainsi que Skye. « Faut-il se préparer à abandonner la ville ? » tu demandes d’une voix plus blanche que tu ne l’aurais voulu. Tu songes au fait qu’il n’y a absolument pas suffisamment de place dans vos engins volants pour faire évacuer toute la cité, quand bien même une partie de la population est composée de sorcier·ère·xs et d’inkumboli. Ce constat te glace le sang, mais tu te gardes de le partager à haute voix, pour ne pas rajouter de la panique sur l’urgence.

Unæ haruspice vous dépasse en abandonnant derrière æl des poèmes. Tu saisis l’un des feuillets pour lire le texte, particulièrement obscur. Lorsque Skye remarque qu’il s’agit d’un acrostiche, tu commences à faire le lien avec l’auteur terrien. « J’ai l’impression que beaucoup de choses nous ramènent à Saint-Exupéry. » L’avion est peut-être le sien, lui aussi ? Celui de l’aviateur dans Le Petit Prince ? « Je ne comprends pas en quoi un auteur terrien mort dans les années 40 peut nous menacer. À moins qu’il soit au contraire notre salut ? » Tu extrapoles volontairement pour tenter de mettre des mots sur le tourbillon dans ton esprit. Dans les rues que vous traversez, même les plantes semblent en train de se faner, de mourir. Tu serres les dents. Sans t’en apercevoir, tu fermes le poing et froisses dans ta main le feuillet avec le poème. Tu espères que Vanja a raison et qu’il s’agit d’une faille, si possible ouverte sur un monde qui ne soit pas en train de s’effondrer. Tu lui jettes un discret regard. La perspective de mourir sans avoir jamais pu lui dire comme tu l’aimes te serre atrocement le cœur. Tu te détournes, reprends la marche sans savoir vraiment où vous vous dirigez. Votre progression ressemble davantage à une errance désespérée qu’à une réelle enquête.

Vous croisez de nouvelleaux alchimistes en train de tracer leurs pentacles. L’explosion de l’un d’eux te fait sursauter et venir prendre instinctivement la main de Vanja, que tu relâches presque aussitôt en comprenant ton geste. Tu peux aisément percevoir le trouble de Skye, qui repense sans doute à Carthage et à ce qui lui est arrivé dans la Chambre inversée. Tu t’approches doucement d’elle et, tendrement, tu viens la serrer quelques secondes dans tes bras. « On va s’en sortir. On va trouver une solution. Tout n’est pas perdu. » tu souffles à son oreille. Mais tu n’es pas certain de croire toi-même à tes propres paroles. Lorsque tu te recules, tu t’aperçois que la luminosité a changé, et en levant les yeux au ciel, tu constates qu’un orage se prépare. « Même la nature semble nous mettre en garde contre quelque chose… » tu remarques à voix basse. Tsophar vient se poser délicatement sur ton épaule, et tu te prépares à le protéger dans ton cou si jamais il commençait à pleuvoir.