Il t’a fallu t’enfoncer dans les artères miséreuses et chaotiques de la Ville Basse, trouver un lieu sombre et perdu où attendait Hyacinth pour faire la rencontre des deux autres Cavaliers de l’Apocalypse. La tête recouverte d’une capuche et les traits camouflées par l’obscur, tu n’as pu discerner que les contours ciselés des mâchoires et les timbres profonds et vibrants de leurs voix. Une brève rencontre pour annoncer ton avènement dans le sinistre groupuscule, qui s’est clôturée presque aussi promptement qu’elle a commencé. De cette entrevue, tu gardes un goût pénible d’inachevé et pour supplanter cette sapidité dans ta bouche, tu décides d’abord de rejoindre la Cattedrale Sant’Ambroggio, un lieu qui promet bien plus de clarté, mais dont l’esprit divin t’est bien indifférent. Tu passes la grande porte du bâtiment et te surprend de ne pas être réduit en flamme, ta chair est intacte, pourtant, la guerre est dédaignée par l’Autorité. Sans doute qu’aujourd’hui, la toute puissance a décidé de ne pas faire preuve d’hypocrisie et d’endosser la responsabilité des millions de morts enterrés à cause de son culte. Tu traverses l’impressionnant édifice presque jusqu’à rejoindre son chœur, mais tu t’arrêtes en apercevant un pandémonique et plus précisément, la courbe familière de son menton affilé. Tu t’approches et observe, malgré ton désintérêt, la vanité qui lui fait face et plus précisément, le crâne sur lequel le restaurateur est en train de s’appliquer. Un petit sourire étire tes lèvres, amusé par la saugrenuité de cet instant.. comme si l’Autorité elle-même te pointait du doigt l’associé de Hyacinth.  
— Khalis Valen, je ne me trompe pas ? Demandes-tu, après t’être volontairement raclé la gorge.

Khalis est penché depuis l’aube sur la restauration d’un crâne en marbre à la Cattedrale Sant’Ambroggio. Ce qui le fascine dans cette œuvre, c’est qu’elle a été sculptée à partir d’un véritable crâne humain. Il ne fait que restaurer ce que le temps, et les mains destructrices de l’Homme, ont abîmé. Ces créations, bien que méprisées par certains, ont leur propre histoire à raconter, leurs propres secrets à murmurer. Assis sur le bord de sa chaise, ses mains gantées de noir manipulent un rifloir avec une précision délicate. Il est sur le point d’attaquer un détail particulièrement complexe, autour des orbites vides du crâne, lorsqu’il sent une présence s’approcher. Préférant éviter un faux mouvement, il repose soigneusement l’outil dans sa sacoche, parmi d’autres instruments soigneusement rangés près d’un bol en terre cuite.

— Khalis Valen, je ne me trompe pas ?

Il se tourne, faisant face à l’intrus. Un léger froncement de sourcils le traverse, qu’il parvient à contenir. Ce ne sont pas les mots qui le troublent, mais les vibrations brutales qui émanent de son interlocuteur, une énergie tourmentée, presque agressive. Khalis tente d’étouffer son don, essayant de ne pas être submergé par ces ondulations chaotiques tout au long de l’échange. Il reconnaît cette aura : elle appartient à un certain type de personne, un profil qu’il connaît bien. Après tout, il en côtoie un tous les jours. Lentement, il lève ses yeux bruns pour croiser ceux de l’étranger, et le reconnaît aussitôt. Hyacinth l’avait déjà présenté, il y a quelques temps. C’est le nouveau Cavalier, Guerre.

— Non. Ravi de faire ta connaissance, Nam JaeMin."

Le passé ne peut plus vous blesser, à moins que vous ne le laissiez faire (V pour Vendetta).

Malgré une arrivée discrète, le restaurateur dépose ses instruments avant même que tu ne t’adresses à lui, comme s’il avait des yeux derrière la tête. Cette attitude, loin d’être ordinaire, te met immédiatement la puce à l’oreille. Ton regard coule doucement sur l’arrière de son crâne, jusqu’en bas de sa nuque. Tu le soupçonnes de posséder un don, un don pareil au tien, mais qui lui, ne lui demande pas d’embrasser qui que ce soit. Que ça doit être commode de ne pas avoir à faire face à ce genre de difficultés.
— Non. Ravi de faire ta connaissance Nam Jae-Min. Répond doucement le pandémonique, d’un air imperturbable. Tout comme tu l’as fais, il prononce l’entièreté de ton nom. Tes orbes sombres se noient dans ses yeux noisettes à la recherche d’une interprétation possible. Est-ce un moyen pour te faire comprendre que lui aussi a glané quelques informations à ton sujet ou bien est-ce une façon subtile de t’indiquer que tu ne l’intimideras pas facilement ? Tu détournes tes onyx sournoises de son regard pour mieux admirer le crâne sur lequel il était en train de travailler. D’un pas léger, mais assuré, tu contournes cette œuvre funèbre.
— J’ai pensé que des présentations supplémentaires n’étaient pas de trop. Dis-tu, laconique. Tu te penches en direction du crâne sur lequel tu souffles, faisant s’envoler toute la poussière qui le parsemait dans un épais nuage. Une intervention certainement contre-indiqué pour un ouvrage en pleine restauration, mais tu t’en contre-fiches. Tu te redresses et tu tends une paume courtoise vers le cavalier.
— J’ai également cru comprendre que nous avions plus d’un point commun. Avances-tu, un sourire impeccable sur le bord des lèvres et les yeux rivés sur le gant qui recouvre la main de l’artiste.

Bien que Khalis ait réussi à atténuer l’aura fluctuante de Nam, il ne peut ignorer les légères ondulations qui trahissent son trouble. Quel genre de suspicions se cachent derrière ce regard perçant ? Que croit-il deviner en l’observant avec une telle méfiance ?

Khalis se lève lentement, prêt à affronter son invité face à face, mais Nam, le devançant, le contourne pour détailler la sculpture sur laquelle il travaillait.

— J’ai pensé que des présentations supplémentaires n’étaient pas de trop, lance Nam, ses yeux s'attardant sur le crâne en restauration avant de souffler sur la poussière qui l’entoure.

Cette audace... typique d'un Cavalier, songe Khalis. Insolent, prêt à marquer son territoire en imposant subtilement sa présence. Mais Khalis, lui aussi, est censé être un Cavalier. Et il n'a aucune intention de se laisser dominer si facilement. Sans dire un mot, il prend un linge qui traînait sur sa table de travail et recouvre soigneusement le crâne. Un geste discret mais clair, indiquant à Nam de ne pas pousser plus loin son intrusion.

— J’ai également cru comprendre que nous avions plus d’un point commun, poursuit Nam, la voix teintée de sous-entendus.

Khalis, le regard fixe, avise la main de Nam tendue vers lui. Il  libère sa main de son gant noir et serre celle du Cavalier avec calme, dans un geste à la fois assuré et maîtrisé.

— Tu as bien fait, concède Khalis, sa voix douce mais ferme. Cependant, si tu t'amuses à abîmer cette pièce, le prochain lien que nous partagerons sera une dette. Il marque une pause, le regard sondeur. Mais dis-moi, pourquoi avais-tu l'air si surpris lorsque je me suis présenté ?

L’intrigue est réelle. Peut-être a-t-il perçu quelque chose de plus profond. Le soupçonne-t-il de posséder un don particulier ? Cette longue évaluation de Nam et les fluctuations de son aura ne peuvent être anodines.

Le passé ne peut plus vous blesser, à moins que vous ne le laissiez faire (V pour Vendetta).

Le restaurateur protège rapidement le sujet de ses efforts et le recouvre d’un linge. Tant mieux, tu préfères que ce crâne soit occulté, non pas que sa vision te provoque un inconfort, mais selon toi, sa place est plusieurs mètres sous terre. Le brun retire son gant et ne décline pas la poignée de main que tu lui tends, il n’a pas l’air craintif à l’idée d’être la cible d’une vision. Peut-être que Hyacinth lui a déjà révélé la particularité de ton don ou qu’il possède un objet capable de l’en protéger ? Khalis ne manque pas de te reprendre sur ton geste désinvolte, insistant sur l’attrait dommageable que pourrait avoir ton attitude sur votre relation. En réponse, tu ne fais que de lui envoyer un regard innocent, presque étonné, mais pas assez sincère pour qu’il te prenne au sérieux.
— Mais dis-moi, pourquoi avais-tu l'air si surpris lorsque je me suis présenté ? Demande-t-il subitement, et tu fronces un peu les sourcils, une curiosité grandissante dans le regard. As-tu eu l’air surpris ? Est-ce que tu as laissé tes émotions te trahir ?
— J’ai eu l’air surpris ? Lui demandes-tu, haussant un sourcil. Tu es persuadé de ne pas avoir été si flagrant, mais le pandémonique l’a suggéré avec une trop grande assurance. Si bien, que tu es obligé de trouver un prétexte.
— Peut-être parce que je ne m’attendais pas à ce que tu restaures un tel objet. Est-ce que l’Autorité autorise souvent que les ossements soient utilisés à des fins artistiques ? Une question, qui, malgré qu’elle soit trompeuse est également authentique. Tu n’es pas expert en ce qui concerne les coutumes des pandémoniques, mais tu en sais assez pour affirmer qu’exhumer des cadavres, ça n’est pas très toléré.
— Peut-être que ça n’est pas une œuvre d’art ? Est-ce que tu en as besoin pour ton haruspicie ? L’interroges-tu ouvertement, tes orbes divaguant entre ses sclères et le tissu qui recouvre la vanité.

Ce faux regard innocent ne trompe pas Khalis ; bien au contraire, il ne fait qu’attiser sa curiosité. Tous deux savent qu'ils partagent une certaine singularité. Quelques mots ont été échangés à ce sujet avec Hyacinth, moment où Khalis a appris que Nam possédait un don particulier pour percevoir certaines informations. Mais en quoi consiste-t-il exactement ? Cela reste un mystère, que Nam a pris soin de ne pas dévoiler davantage. Lui serrer la main devient un signe subtil, presque un code tacite, pour que Nam comprenne que Khalis sait – il sait qu'ils partagent un don. Différent peut-être, mais réel.

— J’ai eu l’air surpris ? demande Nam, étonné. Peut-être parce que je ne m’attendais pas à ce que tu restaures un tel objet. Est-ce que l’Autorité autorise souvent que les ossements soient utilisés à des fins artistiques ?
— Ce n'est pas un vrai crâne, seulement une réplique, répond Khalis. Que l'artiste se soit inspiré d'un crâne authentique, c'est son art, son choix. Quant au mien de le restaurer... il est personnel, il n’engage en rien ma faction. J'accepte les commandes si elles me conviennent.

D’un geste absent, Khalis effleure le linge qui recouvre la pièce, puis s'en éloigne, se dirigeant vers le chœur. Il s’arrête devant l’autel, cet édifice sacré dressé au fond de la Cattedrale, orné de sculptures ciselées et entouré des sièges imposants du clergé.

— Peut-être que ça n’est pas une œuvre d’art ? Est-ce que tu en as besoin pour ton haruspicie ?

Un sourire léger glisse sur les lèvres de Khalis. Enfin, Nam se risque à mentionner ce qu’il redoutait peut-être d’évoquer. Khalis fixe les vitraux derrière l’autel, là où la lumière filtre à travers un camaïeu de bleu cobalt, de rubis, d’émeraude, d’or et de violet, imprégnant l’espace d'une atmosphère presque mystique. Ce déluge de couleurs est étrangement vibrant, presque excessif.

— C'en est une, murmure-t-il, laissant flotter sa voix comme un murmure à demi échappé. C’est une œuvre d’art, et je n’ai pas besoin d’elle pour te lire.

— Ce n'est pas un vrai crâne, seulement une réplique. Que l'artiste se soit inspiré d'un crâne authentique, c'est son art, son choix. Quant au mien de le restaurer... Il est personnel, il n’engage en rien ma faction. J'accepte les commandes si elles me conviennent. Explique le restaurateur, que tu trouves suffisant et vaniteux, assez pour t’accorder sur le fait que sa liberté artistique se mêle​ parfaitement à sa personnalité.​ Le brun s’éloigne, s’échappe en direction du chœur de la cathédrale et s’arrête devant l’autel. Tu le suis du regard et ​n’amorce pas immédiatement un pas dans sa direction. Même si ses choix n’engagent pas tous sa faction, il n’en reste pas moins un pandémonique et peut-être qu’il ressent le besoin de se tourner vers son die​u, en parfait dévot, de l’interroger, d’amorcer une conversation qui restera, tu en as bien peur, sans réponse. Tu te décides à le rejoindre, à exprimer un sous-entendu moins implicite qu’il est évident. Un petit sourire se dessine sur les lèvres du cavalier, signe qu’il a deviné depuis bien longtemps tes intentions et qu’il attendait que tu les révèlent.
— C'en est une. C’est une œuvre d’art, et je n’ai pas besoin d’elle pour te lire. Affirme-t-il, d’une voix éteinte, les yeux attentifs à une cascade de lumière et de couleurs. Encore une fois, il pique ta curiosité, tes sclères l’examinent avec un intérêt farouche.
— Comment fais-tu pour me lire dans ce cas ? Rétorques-tu, un peu sèchement, parce que tu veux que cessent les énigmes, tu veux comprendre comment fonctionne son don d’haruspicie, connaître ses limites, s’il est dangereux pour toi et tes objectifs. Tu as besoin de savoir jusqu’à quel point il peut te “lire”.
— Que sais-tu de moi que je ne t’ai pas dis ? Demandes-tu, sur un timbre plus doux, presque sur le ton d’une invitation. Tu te glisses entre lui et l’autel, camoufle les reflets chatoyants des vitraux derrière ta silhouette et sans le savoir, tu lui imposes de n’observer que ta couleur.
— Je t’échange ce secret contre le mien. Peut-être désires-tu que je commence ?​​ Proposes-tu, d’un air étrangement affable.

À bien y regarder, Khalis ne semble pas prier ; il paraît plutôt contempler les œuvres qui peuplent la Cattedrale Sant’Ambroggio. Dans son regard, la dévotion qui se devine n’est pas adressée à un Dieu, mais aux créations façonnées par les mains humaines : l’architecture, la sculpture, la peinture… Est-ce vraiment ce qu’il ressent, ou n’en donne-t-il simplement l’impression ? Même s’il reste un sympathisant des Pandémoniques, son attention, en ce moment, ne se porte que sur l’art.

— Comment fais-tu pour me lire dans ce cas ?

Le ton sec de Nam laisse percer son impatience, ce qui accentue le sourire effronté de Khalis, le restaurateur, et, Cavalier. Il ne répond pas immédiatement, sentant que Nam n’a pas fini, que sa curiosité le pousse à tout obtenir, coûte que coûte. Khalis aurait-il trouvé plus curieux que lui ?

— Que sais-tu de moi que je ne t’ai pas dit ? demande Nam, sa voix s’adoucissant.

Nam s’approche lentement, se glissant entre Khalis et l’autel, obstruant les lumières vibrantes de la Cattedrale pour imposer sa présence seule. Ses yeux d’un bleu océan se posent sur lui, détaillant ses traits délicats qui, privés de lumière, s’assombrissent dans l’ombre. Khalis recule. Ignorant le don d’haruspicie de Nam, il garde ses distances. Il sait que ce n’est pas un contact physique qui est nécessaire pour que Nam le « lise », mais alors… qu’est-ce ? Un certain périmètre peut-être ? Il recule d’un pas supplémentaire.

— Je t’échange ce secret contre le mien, propose Nam. Peut-être désires-tu que je commence ?

Cela sent le piège à plein nez. Khalis humecte pensivement ses lèvres, tentant d’observer les variations dans l’aura de Nam, mais celle-ci est si chaotique qu’il n’en décèle aucune intention claire. Bien sûr qu’il veut savoir quel est le don de Nam. Mais lui révélera-t-il vraiment son secret, juste comme ça ? Simplement en échange de quelques confidences sur la nature de leurs pouvoirs ?

— Hum… lâche-t-il prudemment, restant sur ses gardes. Vas-y alors, commence.