S'il y a bien une chose que Hyacinth exècre, malgré son choix de travailler des tissus aux broderies luxueuses et aux motifs introuvables ailleurs, lui attirant une clientèle assez spécifique, c'est quand on essaye de lui marcher dessus sous seul couvert d'avoir un statut social élevé, voire régal. Ces égos qui s'entrechoquent et s'emmêlent aux verres de cristal de leurs soirées mondaines, se prennent pour la haute société, pour des êtres meilleur·e·s, à la limite d'une divinité tout juste frôlée alors qu'iels ne sont que des pions. Sans lui, sans ces tissus transformés en costumes, robes, châles de dentelles et autres apparats, ces femmes et hommes de haute stature seraient pourtant tout aussi nu·e·s que les plus sales des gamin·e·s des rues. Détestable. Il avait eu un frisson à la limite du dégoût quand Donatella, grande solmène en majesté, l'avait fait appeler. Ce n'est pas elle, qu'il jugeait ; pauvre oisillon tombé du nid qui ne sait toujours pas vraiment ce qu'elle fait dans son Mausolée. Non. C'était cette insupportable de garde, ces milicien·ne·s qui partageaient sûrement toustes le même cerveau, qui le mettait en rage. Iels resteraient là, à observer, à l'empêcher d'exercer correctement son art, à lui mettre des bâtons dans les roues : mais dans ce monde, comme dans tous les autres, Hyacinth sait qu'il est le meilleur à ce qu'il fait, et ce n'est pas avec leur présence nocive qu'il saurait produire quelque chose digne de la Grande Prêtresse, et moins encore digne de ce dont il est capable.

On le mena de quelques pas jusqu'au Mausolée Sudérien, dans les grandes salles de marbres blancs aux décorations plus austères que jamais, guidé comme un enfant qui aurait perdu son chemin. Mais Hyacinth avait appris à ravaler toute cette frustration qui bouillait dans ses veine et se contentait de sourire d'un air malicieux. Poli, calme, d'un respect à en faire pâlir les plus anciens fantômes qui foulait ces murs antiques. Quand il entre enfin dans la pièce où se trouve Donatella, il prend une inspiration et hausse les yeux en découvrant la robe de lin, lourde et sobre, presque puritaine. C'est donc avec cela qu'il va devoir travailler... Les bras chargés de quelques tissus glanés çà et là, il s'avance, dépose ses trésors contre l'un des fauteuils, et lève la main bien haut en direction de cet Antonio. « Ca ne sera pas nécessaire. Je n'ai pas besoin de tant d'espace, Ma Dame, juste de vous et d'un bon miroir pour que vous puissiez vous voir de pied. Antonio peut peut-être aller chercher cela, et nous laisser tranquilles pour commencer, hm ? ».

Mettant les mains dans ses poches, le sorcier s'avance vers la cheffe des Solmènes, regardant sa robe de haut en bas, tordant son cou pour mieux observer le tissu mais aussi le corps qui se trouve en-dessous. Qu'il le veuille ou non - et qu'elle le veuille ou non - un tissu n'est bon que pour le corps qu'il accompagne. Il écoute ainsi attentivement les consignes, entend cet affection particulière pour le lin et n'ayant cessé d'avancer vers l'alchimiste, il se retrouve enfin à sa hauteur. Dans un murmure, il lui confie : « Evidemment que je vais être en mesure de vous aider, ne vous en faites pas. Mais il va falloir trouver un terrain d'entente. Vos gorilles, là, doivent nous laisser seul·e·s. Je ne vous veux aucun mal, Donatella, vous le savez très bien. Il faut que vous me fassiez confiance. Mais s'iels sont là, iels vont être insupportable dès que je vais essayer de vous approcher, de tourner autour de vous... Dans un geste lent, il approche sa main de son coude où il frôle tout juste le tissu des manches. Je suis là pour vous regarder, vous toucher, et trouver ce qui va vous mettre en valeur. Si je n'ai pas la liberté de faire cela, ça va être beaucoup plus compliqué. ».

Ses doigts se recroquevillent sur eux-mêmes et son menton s'élève sur un air mutin. Hyacinth laisse s'expier un petit toussotement, en faisant un pas en arrière, pour retourner à ses brides de tissus qu'il a amené en échantillons. « Croyez-moi, il n'y a pas besoin de se rajouter des défis, cette robe en est déjà un à part entière... Si c'est là votre style vestimentaire habituel, en effet, Ma Dame... Il fait tout de vous sauf une femme forte, indépendante et puissante. Alors reprenez le pouvoir, dites à vos hommes de mains de rester derrière la porte, que l'on puisse commencer. ». Dans un élan il se retourne et plonge dans les textiles qui glissent sous ses doigts. Il sort deux étoffes à motifs géométriques, une sorte de soie brillante dans des ton ocres, avant de s'exclamer, « Ah ! Le voilà. Ca, c'est ce qu'il nous faut. », et de tirer du fauteuil un long tissu de lin aux mille dorures.

Rares sont chez Hyacinth les sourires enjôleurs qui n’attendent pas de récompenses charnelles en retour. Il n’y a que dans le cadre de son travail, qu’il prend suffisamment au sérieux, qu’il se tient droit et carré sur ces sujets ; professionnel, tout en restant charmeur. Ces demandes qu’il porte auprès de Donatella, après tout, ne manquent pas tant de professionnalisme que de considération pour les notions de hiérarchie et de respect des convenances attendues. Car c’est de cela dont il se moque : du rang et du nom. C’est cette même indifférence qui brise ses filtres et fait qu’il se permet bien des familiarités, allant jusqu’à insulter les créations de la Grande Prêtresse sans en démordre. « Je ne me permettrais pas de vous dire qu’elle est infecte. Mais couturière n’est pas votre métier, alors gardez votre passion pour vos fin de semaine où vous redevenez la jeune femme libre que vous pouvez toujours être par moments. Ne la mélangez pas avec votre rôle de Grande Prêtresse. Business et plaisir ne font pas toujours bon ménage. »

Hyacinth regarde le garde déposer le miroir et s’y rend aussitôt en hochant la tête pour s’assurer de la bonne réverbération de la lumière, des ombres, du rendu des couleurs dans ce reflet qui va très vite prendre de l’importance. Il tourne la tête alors qu’Antonio exécute les ordres et fouille dans la sacoche qu’il a prise avec lui, jetant quelques sourires à Donatella. En regardant l’homme quitter la pièce, Hyacinth tourne brièvement le dos à sa cliente. C’est le regard fier et brillant d’orgueil qu’il compte les pas qui sépare le petit pion de la porte dont il se saisit, et une fois chose faite, il claque sa langue contre son palet en pivotant de plus belle pour s’avancer de quelques pas vers Donatella. « ”Quand bien même”, hein… Vous avez vraiment le pouvoir de faire tout ce qui vous plaît, comme il vous plaît, et personne ne vous dit non… Comme je vous envie. ». Il tire de ses échantillons le lin doré et le tend à la cheffe des Solmènes. Ses gestes flous et presque honteux ont quelque chose de la naïveté de l’enfance ; c’est comme si en ayant été catapulté à sa place, la petite fille avait sauté mille étape. Petite reine promise à un rôle qui la dépasse.  « Non, non ce n’est pas trop. Ce n’est jamais trop pour une Grande Prêtresse, par ailleurs. Mais j’ai d’autres choses si vous n’aimez pas. Venez. ». Il se permet de venir saisir, délicatement, le poignet de Donatella, en s’assurant qu’elle se suive volontier devant le miroir que ce cher Antonio a disposé dans la pièce.

De quelques mains enrobant ses bras, Hyacinth guide la jeune femme au centre du miroir, dans la lumière idéale qui la mette en valeur. Il se trouve derrière elle, sortant une petite tête par-dessus son épaule, et observant le reflet. Dans un mouvement fluide et lent, il fait passer le tissu de lin autour de Donatella, venant le positionner entre elle et le miroir, puis il le tire jusqu’à elle. Les dorures viennent mouler les quelques formes que la robe infernale laisse paraître du corps de l’alchimiste. Il tire à droite, à gauche, place le tissu comme s’il remplaçait celui de la robe, puis en laissant son regard vaquer sur la silhouette plus que son visage, Hyacinth reprend la parole : « Dites-moi, est-ce que je vous ai gênée ? Ca vous a dérangé n’est-ce pas, que je vous appelle par votre prénom ? Vous préféreriez que je vous dise “Votre Eminence” et vous baise les mains, probablement ? Dites-moi. J’ai une fâcheuse tendance à être familier très rapidement, alors mettez-moi des limites si vous préférez. ». D’un seul coup, il lâche l'étoffe qui s’étale sur le sol, et se précipite à ses affaires d’où il tire deux soies brillantes, jaune soleil, dont l’une presque transparente. Collées l’une à l’autre, il les froisse, les presse, pour en faire quelques froufrous, et coince les tissus entre la robe que Donatella porte et sa chair, tout juste au niveau de son épaule droite. Pris dans ses réflexions silencieuses, Hyacinth ne réfléchit que trop peu à ses gestes familiers, ses doigts qui frôlent la peau fine de ces quelques endroits où toutes les mains ne s’aventurent pas. Puis alors qu’il s'apprête à faire de même sur l’épaule gauche, créant un décolleté d’ondulations étincelantes, il se freine dans son mouvement. « Arrêtez-moi également si mes gestes vous gênent, Donatella. Je ne suis pas là pour vous mettre mal à l’aise. Et mes limites sont… certainement plus éloignées que les vôtres. Alors surtout, osez le dire. Moi aussi, je ferais ce qui vous plaît comme il vous plaît… Que pensez-vous de ceux-là ? ».

Rares sont chez Hyacinth les sourires enjôleurs qui n’attendent pas de récompenses charnelles en retour : pourtant, en voilà déjà un nouveau qu’il offre à la Solmène, sans arrière-pensées plus impures que celles de la voir rougir, et faire alors ressortir la couleur de sa faction présente désormais sur sa poitrine.