Tu ne reculeras plus. Il faut que tu en aies le cœur net. Le poignard ne te permettra pas de ramener ta mère, mais peut-être que la transmutation humaine le pourra. Tu en as assez d'espérer. Tu en as assez de te cacher derrière les solutions plus faciles. Ramener quelqu'un‧e à la vie, c'est dégueulasse, c'est pas facile. T'es pas un dieu, tu pourras pas le faire sans sacrifier quelque chose. Et tu le sais, t'en as conscience. On obtient pas les choses gratuitement. Faut que tu prennes des risques. Avant ça, tu te rends quand même compte que ton projet est inhumain. Tu sais qu'on va te détester, qu'on va te juger. T'en peux plus d'être seulæ. T'en peux plus de chercher des solutions qui ne donnent rien. Tu t'es misæ d'accord avec Zola, æl sait ce que tu veux faire et a approuvé.

La transmutation humaine. T'as lu tout ce que tu pouvais dans les livres interdits du mausolée sudérien. T'es prêtæ, il ne te manque plus rien pour la tenter. T'as juste pas la force. T'as peur du résultat. En fait, tu te doutes que tu n'y arriveras pas. Ça ne marchera peut-être même pas. Dans les livres, il est dit que c'est très dangereux. Pour respecter le principe de l'échange équivalent, il faut donner énormément d'énergie. Reformer un corps, ramener une âme, ça ne se fait pas comme ça. Tu le sais. T'as besoin qu'on te dise que tu ne fais pas totalement n'importe quoi. Tu veux être rassuræ. Pour ça, t'as tout de suite pensé à Antonina. Elle a toujours été plus mesurée que toi.

Tu sais pas ce que t'attend d'elle en soit. Tu sais pas ce que tu veux. Est-ce que tu voudrais qu'on te fasse abandonner cette idée absurde ? Peut-être que tu veux surtout qu'on te dise d'essayer et tant pis pour les conséquences. Tu t'en fous de ta vie. Tu t'en fous de l'état dans lequel tu vas finir. Seulement, tu vas utiliser une victime des spectres pour respecter le principe de l'échange équivalent. Tu seras pas seulæ. Tout ça ne te toucheras pas que toi. Tu dois te montrer responsable. Tu voudrais tout foutre en l'air. T'en as assez d'attendre. Tu as rongé ton frein toutes ces années, tout ça pour être plus fortæ et enfin être capable d'atteindre des niveaux inégalés d'alchimie. C'est le moment ou jamais.

Tu t'es décidæ. Tu trouveras Antonina pour l'informer de ce que tu veux faire. Et quelque soit sa réponse, tu iras au bout. T'es si près du but, tu peux plus reculer. T'es déterminæ. Ce soir, tu ramèneras ta mère et si ça ne fonctionne pas, t'auras au moins essayé. Tu n'auras aucun regret. Et lorsque le foutu poignard aura été reforgé, t'iras voir le monde des mort‧e‧xs de tes propres yeux. Tu laisseras pas tomber tes idées. Une fois que tu auras exploré toutes les pistes, tu pourras accepter ce que t'as dit Eluard. On ne peut pas ramener des mort‧e‧xs, mais on peut empêcher aux vivant‧e‧xs de mourir. On ne peut pas sauver les mort‧e‧xs. Avant tu veux juste vérifier.

Tu retrouves Antonina dans l'antre des solmènes. Au détour d'un couloir de la Torre. Tu l'interpelles et l'attires derrière toi dans un coin plus tranquille. Tu ne veux pas être entenduæ alors tu restes prudentæ. Et puis là, dans cette pièce reculée où personne ne vient jamais, tu la regardes vraiment. « Je m’apprête à faire quelque chose de dangereux. Tu sais, mes parents sont mort·es. Je voudrais ramener ma mère. J’ai lu des choses sur la transmutation humaine et je pense que c’est un moyen de ramener quelqu’un·e à la vie. Tu vas pas être d’accord, je le sais. Mais c’est pour ça que je fais de l’alchimie. C’est pour ça que je travaille depuis des années. J’en ai marre d’être seulæ. Baba m’a abandonnæ et iel ne reviendra pas. Mon adelphe a disparu et malgré toutes nos recherches, on n’a pas réussi à trouver sa trace. Je ne veux plus être seulæ. Je suis prêtæ à mourir en essayant de transmuter la vie. » Il n'y a plus que deux possibilités : réussir ou mourir en essayant.

a calamity behind happiness
Itha & Antonina


Jamais. Elle ne veut pas participer à ça.
Jamais. Ni pour la Pierre, ni pour le Poignard. Ni pour les morts.

Le poing se ferme, les ongles s'enfoncent dans la paume tendre. Elle se bat pour les vivants, bordel. Alors elle ne peut pas se résoudre à les considérer comme de vulgaires ingrédients. Iels ont été des adelphes, des parents, des enfants - iels ont été des gens. L'idée même de les utiliser comme Charon l'a fait, avec indifférence et froideur, la rend malade, lui donne envie de vomir.

Et elle sait que, tôt ou tard, on lui demandera.
Onyx, elle se doute qu'une fois les fragments tous réunis sous l'égide des Solmènes, on viendra la trouver, elle et les autres Pierres, pour leur ordonner de reforger le Poignard - parce que c'est, après tout, leur rôle, le but même de leur existence au sein de la hiérarchie solmène. Elle sait qu'alors, elle n'aura plus vraiment de choix. Qui aurait cru qu'un jour, sa recherche constante de connaissances lui mordrait si fort les doigts ?

Mais tu as une autre option, Nina. La voix de Sienna résonne depuis plusieurs jours, offre une alternative, une croisée des chemins qu'elle n'est pas encore certaine de vouloir, de pouvoir prendre.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas Itha qui arrive en sens inverse. Elle l'entend à peine l'interpeller : « Oh Itha, pardon, je ne t'avais pas vuæ. Comm- » Elle n'a pas le temps de finir sa question, æl l'a déjà entraînée à sa suite, le visage fermé et grave. Alors la pierre se tait, ravale ses questions jusqu'à ce qu'æl‧les atteignent une pièce abandonnée. Jusqu'à ce qu'Itha révèle ses intentions. « Je ne veux plus être seulæ. Je suis prêtæ à mourir en essayant de transmuter la vie. » Et elle blêmit, et le visage pâlit. Elle vacille un peu, avant d'attraper le bras de saon amiæ, de s'y accrocher avec la force du désespoir.

Avec la force de celleux qui ont peur de perdre un‧e proche.

« Non non, Itha, tu ne peux pas faire ça, s'il te plaît. Tu n'es pas seulæ : tu as des gens qui te pleureront si tu disparais. » Je te pleurerai, disent les doigts qui se serrent sur le bras de l'alchimistæ. Sur sa langue, les mots sont précipités, affolés à tel point qu'elle a l'impression d'étouffer, de crever. Il y a trop de choses à exprimer, à dire, de la plus petite contestation sentimentale à l'argument le plus solidement logique. Mais dans ce fatras d'arguments et de contre-arguments, impossible de savoir lequel utiliser pour læ convaincre d'abandonner cette impossible entreprise. « Tu sais ce que ça fait de tuer ? Moi, je sais et c'était ... affreux, Itha, les yeux qu'elle lève sur æl semblent soudainement hantés par le souvenir de cette nuit qui ne la quitte plus : Tu sais ce que Charon a fait, il faut un sacrifice. Comment tu vas vivre avec ça ? Tu y as pensé ? »

tw pensées suicidaires, mention de sacrifice humain

T'as cette impression que la mort te rit au nez constamment. Elle prend, toujours, sans jamais rien donner en échange. Tes parents, Baba ou peut-être même cet‧te adelphe que tu oublies chaque jour un peu plus. La mort prend, la mort est inéluctable, cruelle. Tu sais plus quoi faire. Tu voudrais pouvoir tout changer. Au fond, tu veux juste retrouver le sourire, retrouver l'espoir d'une vie meilleure. T'es seulæ depuis aussi longtemps que tu te souviennes. T'as appris à faire avec, mais la solitude est pesante. Et malgré les ami‧es que tu peux te faire au fil du temps, t'as toujours l'impression qu'il y a un trou gigantesque au niveau de ton cœur. Tu sais peut-être pas aimer correctement. Peut-être qu'au fond, le problème c'est toi. Tu sais plus où tu en es. Tu sais plus quoi faire.

Ne reste que cette idée qui tourne en boucle dans ta tête. La transmutation humaine. Une vie pour une vie. Un sacrifice pour retrouver celleux qui te manquent chaque jour. Et ça te dégoute d'envisager ça. Il te reste plus que ce petit espoir là. Il n'y a que ça. Que cette solution cruelle. Et tu le vois sur le visage d'Antonina quand tu lui dis tout. Il y a la peur, l'inquiétude et tu crois même voir du dégout. Elle aussi va te détester. Elle aussi va disparaître. C'est peut-être pour ça que Baba ne revient pas. Peut-être que tu as fini par lae fatiguer à toujours lui trainer autour. Faut dire qu'iel a dû t'adopter parce que tu lae quittais plus. Es-tu réellement unæ Hichkas ? T'as peut-être pas le droit de porter ce nom. Tu sais plus où tu en es.

Tu te détestes. Peut-être que c'est un moyen pour toi de te suicider, de mettre fin à cette vie misérable. Mais alors pourquoi tu te permets d'emporter quelqu'un‧e avec toi ? Pourquoi un‧e innocent‧e devrait périr aussi ? Tu secoues la tête. Tu sais pas quoi répondre. Tu sais plus quoi faire. T'avais la certitude d'aller au bout de cette transmutation, mais c'est peut-être une erreur. Faut que tu en es le cœur net. Tu ne peux plus reculer, pas ici, pas maintenant, pas après tout le chemin parcouru. T'es unæ alchimiste respectæ. T'as travaillé toute ta vie pour ça. Faut que tu fasses tout ce qui est possible. Il n'y a pas d'autres solutions. Tout t'a menæ jusqu'ici. Alors tu te ressaisis. Tu respires et tu fixes Antonina. Tuer des gens ? Tant pis. Ce n'est déjà qu'une coquille vide, un cadavre en sursis. Au fond tu abrèges ses souffrances. Et même te répéter ça, ça te semble toujours aussi dégueulasse.

« Si tout se passe bien, je mourrais pas. Je peux pas abandonner, tu comprends ? Je peux pas tout laisser tomber maintenant. Faut que j'essaie. J'arrive plus à vivre cette vie de toute façon. Je suis désolæ, je voudrais que tu ne m'aies jamais connuæ parce que je veux pas que tu me pleures, mais je le ferais de toute façon. et tu reprends ton souffle. Tu caches tes émotions derrière un masque impassible. En vrai t'as envie de tout laisser tomber. Tu peux pas. Tout est déjà prêt, il ne manque que toi. Je sais ce que ça fait. Je gérerais les conséquences après. Je- le sacrifice c'est une victime des spectres. Iel n'est pas conscient‧e. Iel ne souffrira plus. » Même pour toi les mots sonnent faux. Tu ravales tes doutes, il est l'heure. « Tu peux me suivre si tu le souhaites, mais je te retiendrais pas. Je serais chez moi. » Et tu te détournes d'Antonina. T'oses plus la regarder. Peut-être qu'elle te retiendra, peut-être pas.

Toi, tu sais qu'il faut pas que tu te retournes. Faut que tu rentres chez toi. Faut plus que tu hésites. C'est ce que tu fais. Il y a les longues enjambées, les minutes qui paraissent si longues et si courtes à la fois. Et il y a cette porte que tu refermes, mais pas à clé. Il y a ce cadavre en sursis que tu assois sur une chaise au milieu du cercle de transmutation. Il y a les ingrédients que tu as soigneusement rassemblés. Tes mains tremblent. Le temps est suspendu. Tu sais ce que tu dois faire, mais tu ne parviens pas à bouger. Zola te pousse du museau, tu læ sens comme dans un rêve. Tu sais ce qu'il te reste à faire pourtant. Mélanger les ingrédients dans une bassine au milieu du cercle, donner une part de ton âme, activer le cercle, prier que ça fonctionne. T'arrives pas à t'y résoudre. Pas encore. Faut que tu te ressaisisses. Faut que t'acceptes de regarder la mort en face.