a lamenting song
Eluard & Antonina


Les semaines se sont écoulées au rythme lent, angoissant des révélations et des perturbations. Et à peine l'équilibre retrouvé qu'il fallait le perdre à nouveau, sous un nouveau coup, sous une nouvelle découverte. Et tout se mélangeait, tout s'entremêlait jusqu'à former ce fatras d'anciennes croyances désillusionnées et de vieilles certitudes caduques.

Et tout menace de s'effondrer à nouveau, encore un peu plus, avec cette invitation - et ces découvertes qu'elle implique. Conservée plusieurs jours dans son sac, entre deux pages de papier noirci de cercles de transmutation, l'alchimiste l'a soigneusement ignorée autant qu'elle l'a précieusement conservée - vacillant entre curiosité intellectuelle et prudence nécessaire à l'heure où les Solmènes se déchaînent au moindre soupçon de Trahison.

Puis finalement, la réponse est donnée, confiée à un‧e coursier‧ère de confiance.
L'heure du rendez-vous approchant, ses pas l'amènent naturellement jusqu'à la Bibliothèque des Quatre Mondes. Dans les lieux, l'atmosphère est studieuse, presque religieuse alors que seuls les murmures et le bruit des plumes des copistes viennent froisser le silence.

Lae documentaliste à laequel‧le Antonina s'adresse poliment la fixe, circonspect‧e à l'idée qu'une Solmène s'annonce comme attendue par la Cardinale Pandémonique. Mais habituée des regards scrutateurs, l'alchimiste ne flanche pas et attend patiemment que lae bibliothécaire cède d'un « attendez ici, je vais demander. » La Tivoli lui répond d'un acquiescement muet, ne jugeant pas nécessaire de se sentir insultée par le sous-entendu, et quelques minutes plus tard, c'est devant la copie d'un traité de l'histoire moderne de Cittàgazze que lae documentaliste la rejoint : « Le Cardinal Pizzaro va vous recevoir. » Antonina lui emboîte le pas immédiatement - menée jusqu'à Eluard dans un silence confortable.

« Bonjour Cardinale, souffle-t-elle : comment allez-vous ? » Là où les mots gardent la révérence et le solennel d'une rencontre officielle, le sourire de l'alchimiste est celui de la complicité douce qui s'est tissée dans le bureau de Flao.

Voilà des mois que tu es plongé dans tes recherches. La Chambre inversée a animé tous·tes les chercheur·ses pandémoniques, toi y compris, et c’est dans le déchiffrage de ses ouvrages anciens et souvent, cryptés, que tu as consacré tout ton quotidien depuis de longues semaines. Lorsque tu n’officies pas à la Cattedrale, il est possible de te retrouver voûté sur un livre inversé, lisant l’ouvrage à l’aide d’un petit miroir de poche, ou perchée en haut d’une bibliothèque, à la recherche de toute œuvre faisant état de la ville de Carthage. Mais l’effondrement a emporté avec lui nombre de livres d’histoire, et des savoirs considérables se sont perdus avec la fin des temps. Tout ce que vous savez, c’est que Carthage est le cinquième et dernier monde en date à avoir vécu l’effondrement. C’est Skye Eirhart qui en a fait la découverte en explorant la Chambre inversée, rapportant avec elle les dernières paroles d’un Carthaginois et quelques plantes issues du Cinquième monde. C’est désormais tout ce qu’il vous reste de cette civilisation. L’exigence de mémoire et de savoir vous poussent à percer les secrets de cet effondrement tardif et de ce peuple aux œuvres troubles et cryptées. Pourquoi avoir tant chercher à dissimuler ses savoirs ? Savaient-iels que leur monde arrivait à sa fin ?

Aujourd’hui, tu comptes bien faire la lumière sur certains de ces mystères en retrouvant Antonina Tivoli, alchimiste solmène rencontrée lors d’une soirée chez Flao, un commerçant et ami de longue date. Vous vous êtes données rendez-vous à la Bibliothèque des Quatre Mondes, dans le but de lui faire découvrir la Chambre inversée. Tu n’as jamais convié de solmène dans ce lieu énigmatique, dont la nature n’est pas tenue secrète mais les trouvailles, si. Tu as pourtant confiance en Antonina, quoique vous ne vous soyez vues qu’une seule fois jusqu’à présent. Et tu es persuadé que la rencontre entre l’alchimie et la Chambre inversée produira des découvertes insoupçonnées. Après tout, les singuliers savoirs alchimiques recèlent bien des mystères, et rien n’exclut l’hypothèse que Carthage ou l’un des autres mondes effondrés de la chambre ne possédait pas la connaissance de l’alchimie. Allant à l’encontre de tes conseiller·es, tu as donné rendez-vous à la solmène au matin, alors que la bibliothèque n’est pas encore prise d’assaut par les chercheur·ses et les étudiant·es.

Penché sur un ouvrage rédigé en punique, pour tenter de trouver des correspondances avec les phrases cryptées des livres inversées, tu entends à peine la voix de la bibliothécaire venant t’annoncer qu’Antonina est arrivée. C’est le prénom de l’alchimiste qui te tire de ton étude. « Je vais la recevoir. » tu indiques, en refermant l’ouvrage que tu lisais. Après quelques minutes, la conservatrice accompagne l’alchimiste jusqu’à toi, et tu lui adresses un sourire chaleureux. « Bonjour Antonina. » Tu adresses un regard un peu appuyé à la bibliothécaire pour qu’elle vous laisse seules. Une fois l’une avec l’autre, tu échappes un petit rire, clair et complice. « Je vous en prie, plus de solennité entre nous. » Et tu balayes d’un revers de la main tous les Cardinal et autre Eminence. Tu ne t’habitueras jamais vraiment à ces marques de distinction, surtout en présence de personnes que tu estimes proches. « Je vais bien, et vous ? J’étais en train d’étudier un ouvrage terrien pré-effondrement, rédigé en punique. Peut-être que certaines correspondances pourraient nous permettre de déchiffrer les livres inversés. » Sur ces mots, tu tends un petit miroir de poche à Antonina. « Vous en aurez besoin dans la Chambre inversée. » En effet, les livres ne peuvent pas être lus sans – quoique étant cryptés, ils ne sont pas vraiment plus lisibles à l’endroit. « Suivez-moi. » tu indiques en prenant le chemin de l’énigmatique endroit. Tu tires de ta poche une petite clé ressemblant à s’y méprendre aux clés en cire de la Bibliothèque des Quatre Mondes, mais nettement plus complexe, avant de la tourner dans la serrure d’une porte d’apparence banale. Tu la pousses et te décales pour laisser Antonina entrer la première. « Bienvenue dans la Chambre inversée. »