« Lior ça vient de mes parents biologiques. » lui raconte l’inkumboli et Solaire  sourit doucement. Ses parents lui ont trouvé un magnifique prénom. Unique et radiant, comme lui. Une seule syllabe que l’on a envie de s’approprier et de faire rouler sur sa langue. Non là ce n’est plus son cerveau qui parle il faut qu’il se reprenne. Il veut bien être un garçon facile avec Lior mais la Nef c’est non. Non et non.

Lior brise leur proximité en se redressant, brisant les rêveries hasardeuse de l’alchimiste qui suit le mouvement de son corps par habitude et automatisme.

« On devrait essayer de remonter un peu, visiblement il n’est pas dans ces sous-sols là. Peut-être qu’on peut dégoter des informations si on trouve un bureau ou une salle des archives. Un endroit comme ça ne peut pas fonctionner sans une bonne organisation et une paperasse en ordre non ? » Il ne sait pas pourquoi il demande à Lior, c’est lui qui a le plus le nez dans lesdites paperasses. Son compagnon n’a pas besoin de s’embêter de ça dans ses activités professionnelles. Grand bien lui fasse. Si Solaire  avait compris qu’il se taperait autant de paperasse il aurait fait chanteur. « Regarde, il y a des escaliers là. Testons pour voir. »

« Tu viens ? Si Azur se cachait dans cette pièce… tu l’aurai probablement déjà trouvé. »
Le Greco le taquine. Solaire  roule des yeux avec un sourire, se permettant une petite claque bien placée qui résonne dans la cave autant que sur la fesse droite de l’inkumboli avant de les entraîner hors de la salle. Il ne s’en était pas rendu compte mais quand l’odeur des couloirs agresse de nouveau ses narines, il réalise que les champignons avaient probablement fait effet de filtre à la puanteur environnante.

Sa main entremêlée à la sienne, il l’emmène dans cette direction, grimpant deux à deux les marches de ses longues jambes depuis longtemps habituées aux randonnées matinales pour rejoindre la Ville Haute. Le couloir qui se dessine devant eux ne semble pas particulièrement différent des autres mais l’odeur a disparu. Seule reste la faible odeur métallique apportée par le sang. Trop de sang versé. Le sol est plus soigné, il étouffe mieux les pas, alors l’alchimiste se fait plus lent, plus discret, étouffant les pas de Ramiel  d’une petite dose d’alchimie d’un simple contact entre sa chaussure et son sabot. Il l’a développé ce mouvement, pour s’assurer leur discrétion en toute situation. Surtout celles qui lui demandait d'occuper ses mains.

Il y a une porte ouverte. Et dedans une figure qui lui est étrangement familière mais il n’arrive pas à la distinguer sans vendre leur présence. Parce que son instinct le lui siffle : ils ne devraient pas être là. Pourtant le textile du manteau qu’il distingue, il est sûr d’en connaître les courbes et les plis. Si Lior n’était pas là, peut-être tenterait-il de rester et surveiller un peu pour reconnaître un visage. Mais non, il ne doit pas. Alors il plaque sa main sur la bouche de son amant et lui fait signe de reculer, de son autre main qu’il libère de celle du Greco.

Ils doivent partir.

Solaire garde sa main sur sa bouche, appuyant suffisamment pour lui faire comprendre qu’il ne compte pas la retirer mais pas assez pour lui faire mal. Sa bouche formule un « recule » très clair, net alors que son regard se durci pour l’informer de sa résolution inébranlable. Il avance à son encontre, sa seconde main à plat sur son torse pour pouvoir le pousser fermement en arrière. Il lui désigne les escaliers des yeux. Il faut qu’ils redescendent.

Ramiel le suit de près, gardant son attention sur la pièce occupée et Solaire est prêt à user de son alchimie si Lior refuse de descendre bien gentiment ces foutus escaliers. Et évidemment, sa moitié refuse de bouger. Quelle plaie, il va les foutre dans la merde si la personne, probablement le directeur de cet endroit de cons, sort de son bureau.

Qu’une solution.

Il tape du talon de nouveau sur le sol, soulevant un léger nuage de poussière et colle le sol aux pieds du Greco. Il ne veut pas bouger ? Qu’il ne bouge pas. A la manière d’un tapis roulant, Solaire l’entraîne avec lui dans les escaliers, gardant sa main bien à plat sur ses lippes, le regard réprobateur.

« Tu n’as pas conscience des dangers parfois, ça me sidère. » gronde-t-il doucement, ne lui en voulant aucunement. Mais ça n’empêche jamais l’agacement. Solaire les fait tourner dans une salle vide, contemplant rapidement ce qu’il devine être une arène inutilisée. Chouette. De retour dans la brutalité. Il relâche Lior, bloquant temporairement la porte le temps qu’il s’assure que l’inkumboli ne s’échappe pas avant de s’éloigner pour faire un tour. C’est fou ce que tout ici trahi les violences inouïes qu’il s’y passe.

Il enjambe le rebord de l’arène pour y entrer, le regard attiré par un petit objet blanchâtre et bruni a moitié enseveli dans le sable brun gorgé de sang. La poudre blanche, il n’a pas besoin d’être un génie pour comprendre que ce n’est clairement pas de la pierre calcaire effritée mais des os. Des os humains ou inkumboli. Ses doigts repêchent une dent, une canine plutôt, encore tâchée d’un sang qui n’était pas le sien. Il la désagrège dans sa paume et laisse la poudre rejoindre le reste de cet univers de violence.

« Où pourrait être Azur s’il ne combat pas ? »

Oui. Il mourrait très certainement face à un alchimiste. Solaire contemple l’idée avec amertume. Ils étaient bien le plus grand danger pour les inkumbolis. Surtout ceux de sa trempe. Qui se comptaient sur les doigts d’une main mais d’une main destructrice. Il aimait beaucoup Astrid, mais il était probablement le seul de leur cercle qui prendrait la défense d’un des inkumbolis un jour.  

Il a du mal à respirer correctement, il faut qu’ils sortent de là. Il n’a plus envie de détours farfelus, il veut juste rentrer chez eux et garder Lior en sécurité dans ses bras. Même si ceux-ci représentent aux yeux de l'autre tout sauf un endroit sûr...

“Il n'était pas avec Rio... Peut-être en train de prendre de l'ambrume ? Au bar ? Sur scène ?”

Ce n’est pas à lui qu’il faut demander. Mais remonter, peut-être boire un truc pour faire passer le goût de ses propres attentes et frustrations. Il libère la porte d’un geste fatigué et enjambe l’arène pour sortir. Il sait que la ville ne peut pas exister un tant soit peu sans cet endroit mais les visions qu’il a depuis le début du lieu ne font que lui créer des nœuds au cerveau et au ventre.

“Remontons au bar, je ne veux plus mettre les pieds ici.” Et plus il tient Lior loin de ça, mieux il se portera. Il y a tant de portes qu’ils n’ont pas ouvertes et pourtant son instinct lui dit que le grand recherché de la soirée n’est pas là. “J’ai besoin d’un verre avant de reprendre les recherches." Cet endroit le draine. Même son pas, qui reste toujours empreint du flegme qui est le sien, semble plus trainant. Plus absent. La tête de Ramiel est basse, plus basse que ses épaules, reflétant aisément l’état général du duo. S’il n’avait pas ingéré cette foutue drogue, il se sentirait mieux, Solaire en est certain.

II se demande s’ils vont retomber sur l’arnaqueuse. Il aimerait bien lui toucher deux mots sur cette substance. Peut-être que des explications plus scientifiques calmeront son esprit sur les visions qu’il a eue. Par les plumes de queue du grand serpent, cela doit être épuisant d’être haruspice.  

“Est-ce que tu as peur que je te fasse du mal un jour ?” finit-il par demander alors qu’ils rejoignent le comptoir du bar. “Que je te blesse ou pire avec de l’alchimie ?” Ou même sans. Mais il ne veut pas y penser maintenant.

Il ne faut pas poser les questions auxquelles on ne veut pas de réponse, Solaire devrait le savoir. Les mots de Lior se heurtent à lui et il baisse légèrement la tête sur son verre de liqueur, qu’il avale d’une traite pour compenser l’amertume de sa gorge par la brûlure de l’alcool. L'alchimiste contemple le fond vide de son verre et glisse un autre petit objet, pour se faire resservir.

« Tu en as déjà eu envie ? »

Sa réponse fuse comme le liquide un peu trop virulent qui sort de la bouteille devant lui. « Non ! » mais Lior est parti sur sa lancée et sa réponse tombe comme une goutte dans un océan. « Tu as déjà eu envie de me faire du mal avec ton alchimie, ou pire ? ». Solaire agrippe son verre un peu plus fort. Il se demande combien de fois il a pu faire du mal à Lior malgré lui et cette pensée le heurte. « Jamais. La seule fois où je t’ai fait du mal avec je ne savais pas que c’était toi. » Plutôt mourir que de lui refaire du mal, par ailleurs. « Je me dis juste que... techniquement les alchimistes, ‘fin les solmènes sont votre plus grand danger alors je me demandais si... tu me considérais comme ça malgré tout. »

Il n’aime pas être aussi franc. Ça lui donne un sentiment de vulnérabilité qu’il ne peut pas contrôler et qui lui donne envie de s’enterrer. D’habitude Ramiel l’empêche de s’exprimer aussi clairement. Mais elle ne semble pas de cet avis là tout de suite.

« Je suis désolé. Si je te fais du mal malgré moi. Ou du mal tout court. »  Il enfile le second verre puis l’eau avant qu’une quinte de toux bien appuyée sur sa droite lui arrache une grimace dégoutée. Il n’a pas besoin de tourner la tête pour reconnaître le type de personnage, vieux loup de mer à l’alcoolisme prononcé. Ça ne manque pas. Il observe l’homme avec un expression qui cache à peine l’aversion que lui provoque sa présence.

Il croise son regard, mais l’homme semble passablement hors de sa propre tête, marmonnant des choses qui n’ont aucun sens, aucune logique. Solaire soupire, reportant plutôt son attention sur deux hommes qui s’éclipsent par les escaliers récemment quittés. Hm.

« L’horizon est changeant, des choses qu’on pensait impensables se préparent. » marmonne le vieil alcoolique et Solaire roule des yeux.

« C’est ça, vieux fou » murmure-t-il.