Pronom : il

C'est une de ces nuits noires, sans lune et sans étoile.
Le ciel est recouvert d'un drap de brouillard qui sent et goûte le sel de la mer ; et les ruelles de la ville sont à peine éclairées par les lumières qui s'échappent des maisonnées et des bâtiments. La soirée est déjà bien avancée, bientôt, il n'y aura même plus la lumière de l'intérieur pour venir menacer les ombres qui se sont emparées des rues et des passages de la cité des cimes.

Sôma déteste toujours autant cette ville.
De jour comme de nuit, l'endroit ne lui inspire que mépris et colère et une anxiété viscérale à chaque fois que son vol l'approche de la tour de l'est. Et depuis qu'il a vu Cittàspide, il trouve Cittàgazze encore plus laide.

D'un battement d'ailes, Sôma accélère, se hâte de rejoindre le perchoir de son rendez-vous nocturne. Il ne quitte pas immédiatement sa forme quand il arrive sur l'un des lieux de rencontre prévus entre lui et Nil. A la place, il trace de larges cercles dans la nuit, sa vue perçant les ombres pour s'assurer que personne ne l'a suivi, que le toit est vide, à l'exception de la présence de l'autre faune ; et seulement une fois sa méfiance rassurée, pique-t-il vers le toit, et atterrit avec une grâce toute prédatrice.

Il lui faut un instant de plus, passé à lisser soigneusement ses plumes, avant de revenir à cette forme humaine qui le fait grimacer. Pendant quelques secondes durant lesquelles il s'efforce de jouer avec la boucle à son oreille, il a l'impression que tout grince dans ce corps, que rien n'est aussi fluide et élégant que dans le corps du faucon. Il a toujours eu besoin de ce temps d'adaptation, cet instant pour s'accorder à nouveau à la physicalité des humain‧e‧xs, là où la peau du faucon lui semble tellement, complètement naturelle.

« Bonsoir, il salue Nil, la main sur le cœur, signe d'adelphité, avant de se pencher pour ramasser au sol ce qu'il tenait entre ses serres en venant ici : je t'ai apporté ceci » Avec délicatesse, les doigts se déplient et dévoilent une de ces plantes qui poussent et s'épanouissent sur les toits des maisons de Coatlinchàn. « Comment vas-tu ? » La question est rituelle, mais elle est sincère, jamais oubliée et sa réponse, jamais esquivée. Sôma connait les rudesses de leur rôle, la fatigue mentale qui s'abat sur les espion‧ne‧xs et les infiltré‧e‧xs.

TW mentions de transmutation humaine et d’amputation

La nuit est déjà avancée, les lumières vacillent dans les casette, menacent de s’éteindre à tout instant. Tu progresses de toit en toit pour rejoindre le lieu de rendez-vous convenu avec Sôma, le messager de Coatlinchàn chargé de transmettre tes informations au village, et un ami précieux. Lorsque tu parviens à l’endroit indiqué, tu transportes avec toi des messages codés à destination de lae Coryphée, qui ont notamment trait au récent assassinat d’une Juste : Jana Eirhart. Les notes, encryptées par l’Ouroboros, sont parfaitement indéchiffrables pour quelqu’un·e qui ne posséderait pas ellui-même une version de l’Ouroboros. Tu retrouves bientôt Sôma, qui se pose près de toi sous sa forme de faucon, avant de se retransformer. Tu lui adresses un sourire sincère, le saluant en retour d’une main sur le cœur, heureux de le retrouver après tout ce temps. Depuis la transmutation humaine, tu as un peu disparu des radars. Tu es encore plus invisible qu’à l’ordinaire. Cela fait plusieurs semaines que tu n’as plus envoyé de messages à Coatlinchàn, sans t’expliquer. Quelque peu angoissé par ces retrouvailles, tu tires sur tes poignets les gants noirs que tu portes presque systématiquement désormais, pour dissimuler ta prothèse. Tu as peur que Sôma l’aperçoive.

Le messager dépose dans ta main une poignée d’herbes que tu reconnais presque immédiatement. Elles proviennes du village. Tu échappes un sourire reconnaissant, avant de glisser les plantes dans la poche intérieure de ta veste. « Merci beaucoup Sôma. » Et soudain, la question survient. Pendant quelques secondes, tu hésites à mentir. Tu as envie de mentir. D’oublier un temps les tourments et revenir en arrière, avant l’enlèvement, avant la transmutation, avant tout. Tout ce qui a fait basculer si tragiquement ta vie. Tu serres ton poing valide, tentant de contrôler le maelström d’émotions qui se bousculent en toi. La peur, la honte, la résignation, l’orgueil, la tristesse. Tu relèves les yeux vers Sôma, voilés par des larmes qui ne coulent pas. Tu n’as plus pleurer depuis ces larmes de douleur qui ont éclaté de tes yeux après ton amputation, accompagnées par tes cris. En cet instant, tu te sens si faible, si vulnérable. T’as envie de te laisser aller à la peine dans les bras de Sôma, mais une sorte de fierté mal placée, celle des corps détruits, te retient. Alors durant de longs instants, tu ne réponds rien. Tu n'es pas capable de lui mentir, et pas capable de te confronter non plus à ce que tu as vécu. Tu es écartelé entre des sentiments contraires et vains. Le silence qui s’installe entre vous est étrange, une question aussi naturelle ne devrait pas en provoquer de si longs.

C’est après encore de longues secondes que tu avoues dans un murmure : « J’ai été enlevé. » Et dans un geste lent, tu retires tes gants pour dévoiler, à ta main gauche, la prothèse en métal, encore non-articulée. Tu la contemples un instant d’un regard plein de haine et de tristesse, sans savoir comment expliquer tout ce qu’il s’est passé. « Par une solmène. Elle voulait réaliser une transmutation humaine pour ramener quelqu’un à la vie. » tu finis par ajouter, toujours à voix basse, comme si tu avais honte. Tu as honte. Tu baisses les yeux, terrifié par le jugement de Sôma. Blessé dans ton corps comme dans ta dignité, tu n’arrives toujours pas à te tirer de ce poisseux sentiment de culpabilité qui t’étreint lorsque tu penses à ces instants horribles où tu as cru mourir. « J’ai… j’ai perdu ma main. » tu ajoutes, même si la conclusion semblait évidente. Le dire a quelque chose de cathartique. « Je suis désolé Sôma… » Tu ne sais pas pourquoi tu t’excuses, si ce n’est d’être ce que tu es. De ne pas avoir été à la hauteur. Tu as honte d’avoir souffert, honte de ne pas avoir pu résister. Et désormais, tu attends le jugement de ton ami comme on attendrait un couperet.

Pronom : il

Le regard de Sôma le détaille, fixement, lentement.
Et tout est trop parfait, trop lisse chez Nil pour ne pas être suspect. Pour être naturel. Alors il pose la question, l'éternelle question - et cette fois, il connait déjà la réponse. Elle se devine dans chaque ligne qui trace Nil : de sa posture discrètement trop raide jusqu'au silence trop long qui s'étire entre eux. Mais ce qui le choque le plus, ce sont ces larmes, cette lueur immanquable dans ses yeux, infinité de douleurs qui le tourmentent et l'affligent.

Mal, son ami va mal.
Et c'est la faute de cette cité de malheur.

Les secondes sont longues, s'étirent en une agonie insupportable. Puis finalement vient la réponse. Enlevé. Les yeux de Sôma se ferment un instant, chassent l'image de sa propre capture qui se superpose à la réalité. Et quand il les ouvre de nouveau, il voit cette main gauche, ou plutôt son absence. La chair vivante remplacée par le métal mort et froid. Les mots transmutation humaine et solmène déclenchent des orages en lui, et cette envie de tout brûler, de tous les tuer, enfle brutalement dans ses entrailles. S'alimente des braises qui couvent en permanence chez l'inkumboli. Sur la langue, Sôma a déjà la promesse mortelle, les mots chargés de haine et de fiel. Mais les excuses de Nil lui coupent l'herbe sous le pied. L'écho résonne si fort en lui, le déstabilise tant que le messager en brise d'un coup la distance entre eux. Et il ne faut que quelques pas pour que Sôma le rejoigne et l'invite de ses bras ouverts dans une étreinte douce contre lui.

Dans l'oreille de Nil, les mots se font réconfortants : « Ne sois pas désolé, ce n'est pas à toi de l'être. » Et à la criminelle, Sôma ne pardonnera, ni excusera rien parce qu'il n'y a rien de pardonnable dans ce qui est arrivé à Nil. Il n'y a rien d'excusable dans le sacrifice d'une personne pour défier les cycles de la nature. « Est-ce pour cette raison que tu n'es pas revenu à la maison ? Demande-t-il, avec une peine infinie de la solitude qui a pesé sur Nil - ce ne sont pas des plaies qu'on panse seul‧e‧x : Tu n'as pas à avoir honte, tu as survécu à une chose terrible qu'on t'a imposée, je suis fier d'être ton ami. » Il n'y a aucune hésitation dans sa voix : d'expérience, il sait que les solmènes ne sont capables que du pire. Qu'à cette engeance là, on réserve la mort et des sorts pires encore. « Que souhaites-tu faire, Nil ? Je serai là pour t'accompagner. »

Je serai là, qu'importe le chemin que tu choisis.

Les aveux sont atroces, autant dans les souvenirs qu’ils charrient que dans la dignité qu’ils bafouent. Les yeux que tu lèves vers Sôma ne sont que peine et épuisement, comme si prononcer ces mots avait arraché tes dernières forces. Tes épaules s’affaissent, ta tête retombe contre ton torse. Tu as l’air d’un pantin mort. Les larmes remontent dans ta gorge mais ne parviennent pas jusqu’à tes yeux, elles restent bloquées dans ce qu’il te reste d’orgueil. Tu sens le regard de Sôma peser sur toi, et tu as peur de relever la tête et de découvrir de la déception ou des reproches. Tu ne sais pas pourquoi la culpabilité te heurte si fort, toi qui n’a jamais manqué de fierté. Tu a peur de ce qu’il va penser de toi, que votre adelphité s’arrête ici. Pourquoi ? Tu l’ignores, mais tu as tellement été dépossédé de tout qu’il te semble presque dans l’ordre des choses que celleux que tu aimes s’écartent désormais de ton chemin. Tu as été conditionné à la solitude, et tu te souviens des mots d’Astrid te faisant réaliser que, non, tu ne manqueras sans doute à personne. Tu te sens comme au bord du gouffre, annihilé. Comme s’il ne restait plus rien à aimer en toi.

Et soudainement, le corps de Sôma se retrouve contre le tien, ses bras dans ton dos. Tu demeures quelques secondes immobile, surpris par ce geste auquel tu ne t’attendais pas, avant de rendre l’étreinte et de perdre ton visage contre l’épaule de ton ami. Il te murmure des mots rassurants, des mots qui veulent dire je te crois et ce n’est pas ta faute. Elle te demande si tu as fui Coatlinchàn à cause de ça, et tu hoches la tête sans un mot, alors que vos corps se séparent. Tu n’es pas encore prêt à soutenir son regard, alors tu le dévies sur les toits autour de vous, que la nuit permet de distinguer sous la lumière de la lune. « J’avais honte. » tu avoues d’une voix lointaine, comme s’il fallait franchir une muraille de brume pour t’atteindre. La honte, elle est désormais fichée dans ta chair, tatouée sur ton corps. Cette solmène t’a tout pris, jusqu’à ton sentiment de légitimité parmi les tien·ne·xs. Voilà des semaines que tu n’es plus retourné à Coatlinchàn, que tu n’as plus fait de rapports, que tu n’as plus donné signe de vie. Des semaines à tenter de courir après le réel, des semaines à chasser des cauchemars rémanents.

Sôma chasse ces pensées en te rassurant, en te disant qu’il est fier d’être ton ami. Un sourire triste et pourtant sincère naît sur tes lèvres. « Merci Sôma. » tu réponds d’une voix douce, touché par ses confessions. Lorsque vient la question que faire ?, tu hésites. Cette question, elle tourne en boucle dans ton esprit depuis que tu as été libéré. Ton honneur et ta dignité dépendent d’elle, mais tu ignores comment agir. Car au fond de toi est né un sentiment que tu n’as pas l’habitude d’éprouver ; la peur. Peur que les choses se reproduisent. Peur de te retrouver de nouveau aux mains des solmènes. Tout ce que tu sais, c’est : « Je veux me venger. » Tu marques une pause, avant de croiser enfin le regard de Sôma, une flamme nouvelle au fond des yeux. « Je ne sais pas comment, mais je veux me venger. » tu répètes, les dents serrées. Une chose que ton enlèvement n’a pas éteint : ta hargne. « Je ferai tomber chaque tête de cette putain d’hydre solmène. » tu promets, la vengeance allumant des brasiers dans ton cœur. « Mais sans ma main, je n’y arriverai pas seul. » Tu plantes ton regard plus intensément dans celui de Sôma : « Est-ce que tu seras avec moi ? »

Pronom : il

tw mentions de torture

Dans ses bras, Nil semble démuni, perdu même.
Tellement tellement frêle ; lui d'ordinaire si fier et si fort. Aujourd'hui, sous cette Lune trop vive, Nil semble usé par la vie. Comme si les derniers évènements avaient porté un coup final à l'armure, avaient craquelé tout l'édifice pour ne laisser que des fissures impossibles à combler seul.
Et Sôma a des envies de tout brûler, de tous les tuer. Il a des brasiers de colère amère qui s'embrasent et réclament le tribut pour ce qui a été fait à Nil. Pour ce qui lui a été volé, bien au-delà de cette main ; bien plus que cette main.

Nil avoue la honte et le messager analogue vient caresser le dos de son crâne avec une tendresse qui n'est pas coutumière à Sôma. Mais la honte, si. La humiliation portée par les capturé‧e‧xs et les torturé‧e‧xs est une fausse amie qu'il a mis du temps à chasser, qu'il a eu du mal à bannir de ses pensées. Ce n'était pas de ta faute, lui disait souvent Hira quand l'étouffait la culpabilité d'avoir cédé aux tortures et d'avoir divulgué une information à l'ennemi. « Tu n'as rien fait de mal. » Glisse Sôma avec une certitude impossible à ébranler.

Un geste de la main accueille les remerciements d'un ce n'est rien parce qu'après tout, « je suis ton ami, je ne suis pas que ton messager ; alors appelle moi dans ces moments. Ne reste pas seul, d'accord ? Même si ce n'est que pour avoir une présence à tes côtés, je suis là pour toi. » Ce ne sont pas des moments où on devrait être seul‧e‧x pour se reconstruire.

Sans un mot, Sôma le laisse envisager sa question. Et maintenant ? Il le voit hésiter, mais il s'interdit d'intervenir et il lui laisse l'espace et le temps de tourner et retourner la question sans le presser. C'est sa blessure, donc son choix. Tout comme Sôma porte ses blessures et ses choix, ses proies. « Je veux me venger. » Le regard de Nil a une lueur qui fait écho aux rages qui bouillonnent chez le faune. Et bientôt, la lueur prend feu, devient brasier. Les chemins s'intersectent et fusionnent, le feu répond au feu ; « on les chassera jusqu'à la dernière tête. » On les tuera jusqu'à ce qu'il n'en reste que des cendres dans les feux de nos vengeances. « Tu n'es pas seul, Nil » Ces mots prononcés comme une immuable promesse, un serment dans le sang. Je t'accompagnerai.

Et l'accolade se resserre, adelphe. « Je t'accompagnerai toujours. » Promet-il, murmure dans la nuit, promesses aux étoiles. Puis il demande : « veux-tu me donner son nom ? » Quel est le nom de la solmène ?

TW mention de torture et de vengeance

Tu n’as rien fait de mal. Mais tu n’arrives pas à l’entendre. Pour que le Ollin t’ait infligé cela, dans sa course éternelle autour du monde, c’est que tu as mérité ce malheur, mérité qu’on t’enferme et qu’on te torture. Tu as semé tellement de mal autour de toi, tellement de douleurs. Tellement de meurtres pavent ta route, qu’il est presque naturel que toute cette violence se soit un jour retournée contre toi. Tu ne crois pas au destin, mais tu crois à la culpabilité, et c’est elle que tu éprouves en cet instant. Au fond de toi, une conscience pragmatique et sincère sait que tu n’as pas à avoir honte de ce qui t’a été infligé. Que c’est elle qui devrait avoir honte. Mais tu n’arrives pas à chasser ce sentiment poisseux de ton esprit, comme s’il était désormais gravé dans ta chair. Tu te sens coupable, et immensément seul.

Jusqu’à ce que Sôma se rappelle à toi. Te rappelle qu’il est ton ami et qu’il ne t’abandonnera pas, même dans les épreuves les plus indépassables. Il te rappelle qu’il est là pour toi, et qu’ensemble, franchir les douleurs est possible. Il te rappelle que tu n’es pas seul, que tu ne le seras jamais, et tu croises son regard déterminé. Dans le tien, la vie a comme été chassée. Tu es lointain, prisonnier des souvenirs et de la peine. Mais tu l’écoutes, tu entends ses paroles et un discret sourire vient poindre à la naissance de tes lèvres. La solitude a beau être fichée dans ton corps, tu sais au fond de toi que Sôma sera toujours là pour toi, et qu’avec lui, tu ne seras jamais totalement égaré.

Il te demande ce que tu veux désormais, et tu lui avoues chercher à te venger. Comme tu t’en doutais, Sôma te propose son aide, et cette fois-ci ton sourire devient plus appuyé, plus déterminé. Vous les traquerez jusqu’au bout du monde, vous les réduirez à néant, dispersant leurs membres au quatre coins de Cittàgazze pour que jamais personne ne puisse identifier leur cadavre et se souvenir d’elleux. Vous les ferez disparaître du cours des choses, et l’oubli est peut-être pire que la mort. Mais qui pour se souvenir de pourriture comme elleux ? Iels s’effaceront bien vite des mémoires. Et toujours avec ce sourire, désormais hargneux, tu révèles le nom de ta tortionnaire : « C’est une Lindbergh, et l’Aile gauche de la Grande Prêtresse. Astrid Lindbergh. » Tu marques une pause avant d’ajouter, la haine au bord des lèvres : « Je pensais m’en prendre à sa famille avant d’en venir à elle. Elle a une cousine d’une famille désargentée, Antonina Tivoli. Elle est Pierre. » Tu te rapproches de Sôma, pose tes mains sur ses épaules comme pour la convaincre de te suivre dans ta quête pourtant presque désespérée. Tu n’as jamais tenté un attentat de cette envergure. « Ainsi, nous éliminerons les principales têtes de l’hydre tout en me vengeant. »