Tw : violence physique, menace, drogue

Hyacinth n'était pas un mauvais juge. Il savait fouiner, savait observer ; il savait, parfois, deviner et gagner ses paris. Pourtant cela faisait des années maintenant qu’il connaissait Haakan et le voyait combattre, des années qu’il discutait souvent avec le gamin, troquait de l’ambrume contre des informations ou le forçait ainsi par moment à l’abandon dans l’arène, et rien. Pendant si longtemps, rien n'avait réellement éveillé aucun soupçon. Ce ne fut qu’un soir, alors qu’un hurlement avait fait vibrer les murs de la Nef, qu’il s'était douté de quelque chose de louche. Haakan, seul avec un·e inconnu·e, hurlant littéralement à la mort comme si l’on venait de lui donner la pire nouvelle qui soit. A force aussi de côtoyer d'autres personnes aux magies nombreuses et parfois terrifiantes. Toute cette effervescence lui avait fait se poser des questions, et une restait sur ses lèvres : Et si ?

Et si lui aussi avait un de ces dons ? Et si ce don était digne de terreur et de fuite, digne d'être si bien caché qu’il n’ose pas même l’utiliser en combat où, pourtant, tous les coups sont permis ? alors Hyacinth avait redoublé d’effort, appuyait son regard quand Haakan entrait dans la Nef et ne ratait pas un seul de ses exploits sur l’arène : de quoi le croire obnubilé, amoureux transi, curieux déplacé, ou préparant le terrain à toutes les horreurs qu’un monstre pouvait lui offrir. Et il avait fini par avoir plusieurs idées, plusieurs pistes, qui toutes  toujours la même idée. Ce garçon doit pouvoir être utile, probablement très utile.

Le besoin d'assouvir sa curiosité venant alors titiller le sorcier, après un combat où le daemon de Haakan avait gagné sans trop de difficulté, Hyacinth était en train de rejoindre le duo. « Je reviens, je te laisse gérer. », avait-il murmuré à un gros bras avant de quitter le spectacle. A la sortie des combats, certain·e·s allaient se reposer dans des petites salles privées où soins, rafraîchissements et nourritures méritées les attendaient. C'est là que l’Absent ouvre la porte puis la referme aussitôt derrière lui, entrant dans la petite salle réservée au dernier vainqueur. « Bravo à vous deux. C'était, comme toujours, impressionnant à voir. Je voulais te parler de quelque chose Haakan, je te dérange pas ? ». D’un pas lent et faussement désintéressé, sans attendre de réponse à sa question rhétorique, Hyacinth s’avance vers le jeune homme et se positionne juste derrière lui. L’ambrume est là dans ses veines, palpables, elle lui donne un air fatigué et épuisé alors qu’il n'était pas celui à se faire détruire quelques minutes plus tôt ; et pourtant, détruit il demeure sous le joug de la drogue qu’il consomme à s'en faire éclater la cervelle.

Puisqu'il s’attend ainsi à trouver devant lui un humain fatigué, incapable de répondre physiquement, Hyacinth saisit l'épaule de Haakan et en un mouvement menaçant il vient le plaquer contre le mur derrière lui. « Je crois que tu me caches des choses, Haakan. Je crois que tu me caches des choses depuis longtemps. Ma patience et ma sympathie ont des limites. Doucement, d’une voix plus douce mais pas moins agressive, il ajoute dans le creux de son oreille. De quelle putain d’espèce tu es, au juste ? ». En éloignant lentement son visage, ce sont des yeux noirs qu’il jette au combattant. Il y a le sentiment d’avoir été trahi alors pourtant que Haakan ne lui doit rien, si ce n’est d’alimenter toujours plus sa dépendance et sa perte. C’est bien seul l’égo de l’Absent qui se trouve froissé de ne pas avoir été mis dans la confidence. Il pousse ainsi Haakan, appuie son avant bras contre le buste devant lui, le forçant à rester bien plaqué contre le mur. « Tu sais que je suis un sorcier, tu sais que j’ai des sortes de pouvoirs, mais tu n’as pas idée de tout ce dont je suis capable pour te faire parler. Alors je serais toi, je cracherai tout de suite ce que je sais faire exactement. Et peut-être, alors, qu’on trouvera un arrangement. »

TW : serpent, menace, violence

Un frisson le long de l’échine. Comme un doigt qui glisse, remonte de bas en haut, s’immisce contre la peau, entre chaque vertèbres. Un petit courant d’air frais. Mais Hyacinth ne le sent pas vraiment pour le moment, trop concentré à appuyer son avant-bras contre les clavicules de Haakan et garder son air mauvais, qui concentre toute la rage qui coule sans cesse dans ses veines pour la déverser sur sa pauvre proie. Ses yeux perçants plongés dans ceux, ailleurs, du combattant, il le regarde doucement perdre ses moyens. Il doit bien avouer qu’il s’attendait à ce qu’il chute plus vite, non pas à ce qu’il tienne tête, malgré ce caractère qui lui vaut ses victoires. Mais Haakan ne perd pas pied, alors l’Absent sourit, relâche lentement la pression sur son bras et éloigne son buste pour mieux regarder le gamin des rues faire sa longue tirade comme si ses mots étaient meilleure arme que ses poings.

Il a en réalité toujours préféré ça, Hyacinth, plutôt que de voir les pauvres mortel·le·s s’écraser devant la réputation qu’il s’est construite. Ce n’est jamais agréable de gagner si facilement, il faut un peu de jeu, un peu de piment. Alors il préfère qu’on lui tienne tête, qu’on garde la tête haute, voire parfois qu’on lui dise simplement Non, d’une manière aussi infaillible que désespérée. Lentement, ses dents se dévoilent dans son sourire carnassier. Haakan lui fait penser à toutes ces personnes qu’il a croisées dans ses milliers de vies, tous mondes confondus : la rage de survivre à force d’avoir trop connu ce que c’est que de ramper à même le sol. C’est comme s’il avait déjà toute la misère du monde sur ses épaules, alors qu’a-t-il à perdre ? C’est un peu à lui-même, également, que le garçon lui fait penser. A ces moments de déchéances où la lutte prenait toutes les formes possibles, où le moindre secret et la moindre possession devenait plus importante que sa propre vie. C’est normal qu’il chérisse ainsi le mystère et l’inconnu qui plane encore autour de lui. Alors Hyacinth rigole, l’écoute, mais lui non plus ne lâche pas.

« Oh, en soi je me contrefous de ce tu es. Ca n’a aucune importance en soi. Ce qui m’intéresse, justement, c’est ce talent que tu sembles avoir sans être foutu de réaliser que c’en est un. Toute richesse n’est pas faite d’argent et d’or. Et parfois on a besoin d’une tête pensante différente de celle qui se trouve sur nos épaules pour le réaliser. ». Son bras s’est désormais entièrement retiré. Hyacinth fait un pas en arrière et sent le froid qui continue de grimper contre son dos. Il secoue ses omoplates, sentant les écailles qui roulent et montent, et il comprend. « Dis à ta combattante que je suis là pour t’aider à comprendre ton talent, pas t’éclater la tête contre le mur - où elle se trouverait déjà depuis longtemps si je voulais vraiment te faire du mal. Elle me chatouille, sous la chemise, j’ai pas envie que dans un réflexe je l’écrase contre mes os. Et puis je préfère quand ce genre de caresses sont faites par une peau plus humaine, tu m’excuseras. ».

Pour un instant, Hyacinth ne l’avouera pas mais il a peur. Il sait le danger du venin d’un mamba noir, a déjà vu celui-ci spécifiquement faire de nombreuses victimes, et il sait ses capacités curatives pas suffisamment développées pour être certain d’y survivre. Ce serait possible. Envisageable. Mais il préférerait de très loin que la bestiole se barre de son dos, et c’est pourquoi il se cambre machinalement, relève les sourcils en regardant Haakan, avant d’ajouter : « Alors ? De quoi est-ce que tu es capable et que tu penses si inutile pour ne plus être coincé dans mon arène ? »

Brrrr. Une sale sensation, un sale frisson parcourt le dos de Hyacinth alors qu’il voit le serpent s’en aller. La simple pensée que ses écailles gluantes aient pu se balader sur sa peau depuis tout à l’heure lui donne la nausée, mais le voir à présent sous-entend que Noarah n’est plus à se promener impunément. Dans un réflexe spasmique, il tourne sa tête dans tous les sens, et murmure en direction du mamba un « Gentille fille. » moqueur, profondément sexiste par ailleurs. Un pas en arrière l’éloigne un peu plus, juste pour ne pas risquer un retour de bâton - ou de crocs - et Hyacinth reprend son souffle lui permettant de regagner le contrôle de la situation. Large sourire satisfait sur le visage, il lâche un petit rire au nez de Haakan. « Je ne dis pas que je suis quelqu’un de parfait, rempli de bonnes intentions. Je ne pense pas que tu sois assez stupide pour gober ça, non… Mais je dis que mes intentions peuvent malgré tout être en ta faveur. Je ne suis pas que mauvais, tu sais. ».

Derrière eux, sur une petite table, trône quelques rafraîchissements et douceurs préparées pour les vainqueurs des combats. En écoutant les mots utilisés par le combattant, Hyacinth se retourne et se sert un verre de limoncello avec du tonic ; de sa main vide il saisit une assiette remplie de quelques sucreries qu’il tend au garçon tout en buvant une gorgée de son cocktail improvisé. Puis il se fige. Main tendue, qu’il abaisse lentement, les yeux grands ouverts. « Tu sens… la mort ? Tu sens la mort arriver ? ». Bouche bée. L’air hagard, profondément abruti… L’assiette est déposée sur un petit meuble non loin d’eux, et Hyacinth lève un index en l’air, comme pour dire “attends un instant”. Dans cette minute réclamée, il engloutit quelques gorgées, comme si l’alcool et le sucre allaient l’aider à mieux comprendre le don de Haakan. Les lèvres alors pincées, le verre oscillant entre ses doigts, il reprend. « Laisse-moi récapituler. Tu ne sais pas qui, ni quand exactement, mais tu peux sentir que quelqu’un autour de toi va mourir d’une certaine façon, que tu arrives à percevoir avec quelques détails, mais très peu. C’est ça ? ».

Le dos courbé et les sourcils arqués, l’Absent n’en revient pas. Des années maintenant qu’il a les yeux sur ce rôle d’organisateur de combat, quelques années qu’il l’exerce et qu’il cherche des moyens d’optimiser cette place, ce rang, de contrôler un peu plus la mort de ces pauvres victimes… Alors que tout ce temps, il l'avait juste là, devant ses yeux. Au grand hurlement qui résonne dans l’arène à côté d’eux, les yeux de Hyacinth s’éveillent et son doigt vient pointer en direction du bruit. « Tu l’as senti ça ? Tu l’as senti quand, combien de temps avant que ça arrive ? Je veux dire… Si tu contrôlais davantage ton don, si tu l’utilisais de plus en plus, le perfectionnait… Tu serais capable de prévoir avec plus de précisions comment exactement et quand une personne va mourir, si c’est sur le point de se produire ? ». Quelques pas à reculons mènent Hyacinth vers un fauteuil sur lequel il se laisse tomber, l’air ahuri et en train d’entamer un rire, de ceux qui semblent être interminables. « Bor-del… T’es un vrai mystère, Miszczuk. Ha ! Incroyable. Juste à côté de lui, les alcools sont toujours là, il sert alors un verre à Haakan, exactement le même cocktail qu’il s’est fait, et il le lui tend. Travaille pour moi. Apprends à contrôler un peu mieux ce don, à contrôler ta magie, c’est de l'entraînement exactement comme pour la sorcellerie, crois-moi. Et quand tu maîtriseras mieux tout ça… travaille pour moi. Pour les combats, et pas dans les combats - enfin sauf si tu veux continuer à en faire quelques-uns, évidemment. Il marque une courte pause alors qu’un sourire carnassier vient fendre son visage d’une oreille à l’autre. Bosse pour moi et je m’assurerais que tu ne manques jamais d’ambrume ou de quoique ce soit d’autre. ».

Il y a dans l’air comme un peu de magie, qui crépite et claque comme cela fait longtemps que Hyacinth ne l’a plus ressenti. Cette sensation que le monde, les mondes, et toustes celleux qui les peuplent, peuvent encore avoir ce pouvoir étrange de le surprendre. Il a toujours été évident que certains pouvoirs, qu’ils soient haruspique ou alchimique, se frottent de trop près à la mort et aux domaines funestes ; mais la réalité des choses est qu’il n’a jamais eu vraiment l’occasion, pas à sa connaissance du moins, d’en être témoin. Alors de se dire que depuis tout ce temps, une bombe à retardement pour apprivoiser un peu plus le contrôle de la fin des temps était juste là, entre ses doigts… Oh, que de perspectives d’un avenir parfaitement millimétré.

Bien installé dans le fauteuil, se délectant de sa boisson, Hyacinth observe Haakan de haut en bas, comme si subitement une inscription en filigrane se serait déposée quelque part sur son corps qu’il a pourtant vu de nombreuses fois, sous les coups et les bleus. Il se mord les lèvres, imagine déjà les milles scénarios possibles ou à prédire la mort, à eux deux, ils pourraient la contrôler. Et bien qu’il comprenne que son verre soit refusé, il reste vexé de constater qu’il n’y a pas plus de hâte dans les mots du pauvre garçon. « Oh mais enfin tu vas arrêter de te plaindre ? Il dépose les deux verres sur la table basse. Une malédiction… Mais tout est une malédiction si on y regarde vraiment. Respirer est une putain de malédiction. T’as vu le monde dans lequel on est ? ». Les bras levés en l’air, désabusé et un sourire carnassier collé sur le visage, Hyacinth sent qu’il est à deux doigts de tout laisser sortir. Cette vision du monde où il se trouve, toute cette haine de la vie et de celleux qui la vivent, sans aucun respect pour ce qu’elle est ou celleux qui n’en ont plus. Toute cette déception, cette quête vaine. Mais il écoute ce que Haakan a à dire, sa vision à lui, son expérience à lui.

« Je ne suis pas Haruspice, je ne sais pas comment contrôler tes visions et les effets qu’elles ont sur toi, je sais juste que c’est possible. Toute la magie est liée, il y a sûrement des enchantements qui pourraient t’aider… des potions. ». Hyacinth regarde la cachaça disparaître dans la gorge du combattant en continuant d’imaginer toutes les situations où ce dont serait utile, appuyant ses cours sur ses genoux. A présent qu’il a davantage d'informations, quelques détails sur ce qu’il permet de voir, comment, ses limites… Il perd et gagne de l’intérêt à la fois. Les contours se dessinent, et soudain il devient évident pour Hyacinth qu’il lui est interdit de laisser Haakan partir d’entre ses filets. « Bosse pour moi. Bosse pour moi Haakan, je comprends ta réalité. Mais même les Enfers ont quelqu’un pour les gérer. Laisse-moi te guider, être ton Lucifer, prendre les responsabilités sur mes épaules et crois-moi que je mettrais tout ce que j’ai en mon pouvoir pour t’aider à contrôler ton don, qu’il ne devienne plus aussi envahissant, aussi insupportable. Qu’il ne se limite qu’à des visions et ne soit plus ton entière réalité. Que tu puisses réellement l’utiliser. ».

Lentement, il se recule. Au loin on entend à nouveau les cris et les gémissements des combattant·e·s déchu·e·s. « Il existe un petit groupe de quelques personnes, en qui j’ai confiance, nous nous retrouvons parfois pour discuter de tout cela… de comme ce monde est voué à disparaître car tout ce qui le peuple est pourri de l’intérieur. Alors quitte à sombrer, autant que ce soit dans nos règles. Avec ton aide, on pourrait arriver à beaucoup de choses. Réfléchis-y. Tu as à y gagner, crois-moi. En se penchant sur sa jambe, il récupère son verre et finit sa boisson d’une traite. Enfin, pour ça, il faudrait déjà que tu commences à me faire confiance. Je ne te veux aucun mal, ce serait contre-productif pour moi qu’il t’arrive quelque chose. ».