Envie. Au pied du monde se dissimulaient des secrets qui n’attendaient qu’à être découverts. Il y avait pensé du crépuscule à l’aube, sans répit. Il avait fait les cent pas dans sa tour d’ivoire, s’était rendu auprès du Seigneur crucifié au milieu de la nuit en le suppliant de mettre fin à l’obsession. Complaintes bien trop vite transformées en déchirantes supplications. L’envie, comme un nuisible, s’était installée au creux de son cerveau et s’y était fait un nid.

Orgueil. Horizon de corail, le soleil fait tanguer la mer. Sa peau, impatiente, s’attend à ce que la chaleur de l’astre ne vienne enfin embrasser ses contours. Douceur du matin, quiétude mensongère bientôt assombrie par la foule, semblable à la houle, qui viendrait prendre d’assaut les secrets marins.  Cesare avait donné rendez-vous aux courageux.ses de la paroisse, à celleux que la curiosité ne rebutait pas et que i fantasmi ne faisaient pas reculer. Il voyait déjà les sien.nes comme conquérant.es ultimes de Cittàgazze, faction exploratrice de caverne mystérieuse. S’il n’avait pu déloger l’obsession de son crâne, ça ne pouvait être que la volonté du Divin.

Avarice. Il avait pensé aux trésors dorés que pouvait dissimuler le cœur inexploré de la falaise. Cardinal avait songé à ce qu’il ferait d’un trésor, un vrai, ceux que les forbans planquent sur une île déserte au bout du monde.  Il s’était imaginé nageant dans une montagne de joyaux étincelants, d’or qu’il ferait fondre afin d’en recouvrir chaque façade de sa Cathédrale bien aimée. Avarice. Douce avarice. En descendant prudemment vers l’entrée de la grotte, Cesare lève des prunelles contrariées vers les cieux. Comme s’il avait réalisé qu’ils s’attelaient à le tester.

Mélodie de l’eau qui caresse la roche et s’engouffre dans les ténèbres. Il s’attendait à ce que les rayons du soleil ne se reflètent sur les parois humides des entrailles rocailleuses. Il s'avance lentement mais sûrement, sans vraiment faire attention à la direction qu'il emprunte. Plus il s'enfonce, plus les ténèbres s'invitent sur sa route. Et au bout du chemin, multitude de spéléothèmes lui indiquent son erreur. Impatience et colère s'invitent à la fête alors que, déjà lassé, Cesare fait demi-tour.

Il y a des nuits où la douceur était absente, où la quiétude partait en quête d'un ailleurs et où la tranquillité se fondait dans l'ombre. Ces nuits n'étaient pas communes dans l'existence de notre homme et pourtant il savait les reconnaître. Bien loin de sa bibliothèque la prestance se teintait d'humeur tandis que sa compagne avait abandonné sa nonchalance inégalable pour pourfendre l'air marin d'une queue tempétueuse. Le duo avait donc troqué l'aura solaire que pourtant on pouvait leur croire chevillé au corps pour l'ombre menaçante d'une contrariété avérée. Le verbe traditionnellement facile se faisait rare tandis que le gouffre source de tant de turpitudes et de violences se dessinait enfin.

L'acte de présence, c'était là la seule véritable explication qui justifiait tant de distance entre eux et la Ville Haute. Certains avaient jugé bons de lui flanquer cette vérité à la face durant cette dernière nuit et le résultat de ces échanges était à présent visible. Nerje étouffait légèrement ces grognements qui la saisissait lorsqu'une vague s'amusait à lécher sa fourrure, manifestant à tous son horreur de l'eau marine qui se cristallisait déjà sur ses poils et les tenues des visiteurs matinaux. Les fins rayons se perdirent vite dans les reflets de la pierre et doucement l'humeur du Recteur se teinta malgré lui d'intérêt en observant la cavité creusée en secret du monde qui se plaisait à présent à l'envahir. Malgré lui, le confort s’accessoirisa pour laisser l'insaisissable curiosité intellectuelle se matérialiser, levant presque le voile qui obscurcissait son regard depuis son levé.

La silhouette du Cardinal se dessina plus précisément au détour d'un pas, signifiant son changement de direction impromptue avant qu'Ezekiel n'obliqua à son tour. Suivant une veine rocheuse à l'éclat intrigante, l'homme se détourna de cette suite pour trouver son propre chemin. L'initiative n'eu guère besoin de mobiliser son courage car elle se fit bien vite arrêter par une paroi sans intérêt. Loin de s'en agacer, ne portant guère l'envie puissante de devenir l'explorateur victorieux, l'homme se tourna vers la veine qui était devenue son fil d’Ariane durant ces quelques pas. Il y porta sa main, déposant la surface de ses doigts sur l'éclat froid et rugueux, mobilisant quelques pièces d'un puzzle géologique afin de porter une conclusion sur la nature de ce phénomène.

Fort de ses suppositions, le Recteur fit à son tour demi-tour pour retrouver sa pieuse compagnie d'aventure. Loin de son habitat naturel, Ezekiel se plaisait au silence et aux réflexions, laissant à d'autres les envies d'éclat et de triomphe devant le très honorable instigateur de cette équipée qui lui-même se prenait de toute évidence au jeu.

Voilà que la grotte se dresse devant vous, toute de gueule béante et de stalactites hérissées. A croire qu’elle hésite. Vous déchiquettera-t-elle ? Vous avalera-t-elle tout cru ?  De Charybde ou de Scylla, elle ne sait où va sa parentèle. Tu pourrais la guider, songes-tu, cette abysse anonyme, toi, qui a encré ces courants mythiques sur la toile de tes cartes. La nommer pour effacer le terrible Hic Sunt Dracones que l’on grave avec une révérence superstitieuse sur tous les continents noirs.

Oui, tu le veux. Et cette réalisation te coûte – car il n’existe que si peu de choses que l’Autorité t’a laissée désirer en propre. Guidant chacun de tes pas, semant, sur ton chemin – enfant, des cailloux de prophéties et de fatalité. Sans pouvoir jamais y déroger.

Tu observes émerveillée, la cime aiguë et polie couvant le gouffre avide.

Deux écueils pour une même fin.
La découverte. L’aventure. Le naufrage.

Toi, tu pourrais la comprendre, en dessiner les lignes de fuite, en caresser les ombres de tes pointes graphites. Capturer l’instant. La pestilence saumâtre des algues déliquescente de soleil et de sable. Le crissement audacieux de l’arène morte sous vos semelles de cuir bouilli. La berceuse lancinante du ressac voulant se faire roche. Le cri strident du pélican qui s’offre à ses petits. Et parmi les vagues, le scintillement infini de la mer comme des fils de lumières, comme mille filaments chauffés à blanc.

Et puis la noirceur se fait, c’est un abri confortable et humide, piégé loin de l’astre du jour. Les pas d’Altaïr clapotent dans les flaques de ténèbres, alors que les tiens demeurent silencieux, comme s’il existait une sorte de miséricorde chez les pierres – un guide mutique qui vous attire toujours plus loin en son sein pour vous offrir trésor ou trépas.

Vous vous perdez dans entre les méandres et l’éclat des torches.  Ne dit-on pas que femme, feu, messe, vent et mer font cinq maux de grand amer ?  Aurais-tu l’audace d’ajouter à cette liste le sens d’orientation du Cardinal ?

Presque. Ça te brûle les lèvres comme un premier baiser. Le goût soudain du blasphème sur ta langue / du fruit défendu / du savoir. Tu reprends tes croquis, griffonne de cette écriture serrée et nerveuse des indications sibyllines, marque de charbon la pierre d’une croix sur vos pas à rebours.

Cul-de-sac. Voie sans issue. S’obstiner c’est perdre.

Deux boyaux condamnés, un troisième à gauche où tu t’engouffres, étroit, malin comme sait l’être la sinistre direction. La roche est grise de cendres vitrifiées. Somme toute quelconque. Emaillé de crocs acérés. Scylla, elle est donc. La chienne à la mâchoire triple qui t'érafle les genoux lorsque tu forces le passage. Encombré ne veut pas dire barré. Il suffira d'être prudent. Ainsi, tu rebrousses chemin pour t'en confier à votre Eminence. "La troisième voie est périlleuse, toutefois, nous pourrions tenter d'y passer. A nos risques et périls, la gueuse ne nous laissera pas faire facilement."

Ravi de retrouver les siens, Cesare les salue amicalement. Il s’était rarement aventuré en dehors des murs citadins, bien trop occupé à tenter de reprendre insidieusement la ville aux Solmènes. Le cadre de leur rencontre avait de quoi rendre claustrophobe ou bien déclencher des crises de panique à ceux pour qui les lieux clos, sombres et humides ne représentaient guère une vision du paradis.

« Merci d’être venu.es ». L’écho rebondit sur les murs comme une balle lancée à toute allure. Il embrasse la froideur des parois et s’acoquine avec les quelques larmes qui glissent du plafond. Mélodie de l’obscur, du froid et de l’incertitude. De la malchance.

Deux gorges, deux échecs. Il observe le second cul de sac, dépité. Comme si les cieux leur refusaient la moindre découverte. Comme si les cieux n’étaient plus avec elleux. Leif se frustre. Leif crache. Leif grogne. Le reptile est habitué à la lenteur de ses journées mais surtout à leur rythme prévisible dont il apprécie le caractère répétitif. La fraîcheur de l’eau, si elle attendrit ses pas, ne suffit pas à adoucir son humeur.

Troisième voie, trouvaille de la rectrice. Les formations rocheuses lui rappellent les dents d’un prédateur, celles qui déchiquettent et qui arrachent la chair. L’idée ne lui plaît guère, mais en l’absence d’une ultime solution iels n’ont pas le choix. S’il ne doute pas en ses capacités d’acrobate délicat, il sait que tous.tes n’en sont pas doté.es. Cardinal propose de chercher une dernière voie, dans l’intime espoir d’éviter l’affrontement avec la gueule prédatrice.

Enième impasse et le crocodile se rit de lui. Les stalactites sont leur seule option valable, le seul chemin qui pourrait les guider vers les mystères de la grotte. La situation l'embarrasse. Comme s'il était incapable de guider les siens. « Si cela convient à chacun.e, j'ouvrirai la voie. Soyez prudent.es ». Avec une délicatesse toute particulière, il entame son slalom entre les crocs qui, il en est persuadé, finiront bien par se refermer sur le groupe.

Résumé:

Mattia ne s’imagine toujours pas légitime au sein de sa faction. En tout cas, pas assez légitime pour suggérer quelque chose alors que son Eminence est parmi eux. Il le voit peu, ou seulement de loin aux messes. Un parallèle entre un adolescent rencontrant un musicien célèbre pourrait facilement être dressé. L’alchimiste est sûr que s’il ouvre la bouche, son bégaiement apparaîtra mystérieusement. L’Autorité ne fait jamais affronter que ce qu’on peut surmonter, mais il se passera volontiers d’un sentiment de ridicule en pareille compagnie.

Du reste, il leur faut avancer. L’Autorité a sûrement un dessein pour eux, ce n’est pas comme si elle espérait leur faire perdre un temps précieux dans cette grotte sombre et humide.

N’empêche que c’est moyennement agréable, et son daemon reste planquée dans le col de sa combinaison. Préoccupation futile à l’aube de ce qu’il espère une grande découverte, Mattia s’estime extrêmement heureux de n’avoir pas changé de vêtements depuis la fin de sa journée de travail. La grotte ressemble à un endroit rempli de salissures, et la forte odeur de vase dans le coin ne l’en détrompe pas. Ca pourrait être glissant, aussi s’empresse-t-il de tendre le bras à sa plus proche voisine lorsque son Eminence leur propose d’avancer à sa suite.

De son autre main, l’alchimiste longe la paroi la plus proche. Toute la ville est un gruyère, il ne veut pas croire que cette grotte – certes naturelle- ne soit pas bardée de galeries secondaires non plus. De temps à autre, il tente un coup sur la paroi, du dos de la main. Porteur. Plein. Il retente sa chance. Il y aura forcément un bruit différent à un moment. Il essaie plus de fois qu’il n’a de doigts pour les compter, jusqu’à entendre un léger bruit. « Attends » demande-t-il à la personne qu’il aidait à se maintenir. Il s’approche de la paroi, tente un petit quelque chose. Si on lui demande, il dira encore que c’est trois rien d’alchimie mais si ça pouvait les aider à progresser plus facilement …

Scylla, puisque c’est ainsi que tu la nommes désormais, est un monstre cruel, terrible et inattaquable. La brûlure du sel sur la chair à vif de ton bras blessé – les crocs de roches qui s’agrippent au pan large des pantalons que tu as bien voulu endosser – les canines calcaires qui râclent le cou, les épaules et le dos, traçant des zébrures inélégantes sur l’opale de ta peau. Si tu la laissais faire, l’abîme te pèlerai comme une orange.

Bientôt, vous sortez de la gueule de la Vorace, non sans avoir payé un tribut de sang ou de tissu. A la lueur bleuté des lampes, les murs semblent constitués de ce verre noir, rejetons calcinés du feu infernal.

Vous y descendez- n'est-ce pas ? Loin des yeux protecteurs de l'Autorité et de sa bienveillance solaire ? S'il pouvait encore vous faire un signe ?
Alors que tu désespères de sortir du ventre de nuit de la terre, c'est un éclat lumineux qui attire ton regard.

"Eminence  @Cesare de Vintimille !" L'exclamation a passé tes lippes sans que tu ne puisses la retenir. C'est la surprise, l'émerveillement et l'horreur qui se lise dans l'éclat de tes prunelles car derrière un éboulis, une salle vient d'apparaître. Et sur l'un de ses murs - une apparition aussi monstrueuse que céleste. "Des hommes sont venus ici, n'est-ce pas incroyable ?"

Pourtant, puis tu reproduis la créature décapitée sur ton carnet puis un sentiment de malaise t'étreint. C'est que de prime abord, dans la lumière chiche de la lanterne, tu n'avais pas vu où les ongles avaient rongés la roche. D'un doigt incertain, tu en décroche un, resté figé dans son trône minéral depuis l'Autorité savait quand. " Je rectifie. C'est une hérésie."