Il y a des quêtes qui ne sont pas des choix, seulement des évidences mordues d’espoir qui ne souffrent d’aucune hésitation. L’expédition aérienne qui a mené à la découverte du lambeau céleste de Quetzalcóatl n’a fait que raviver la fervente et brûlante foi des solmènes et Alistair n’a pas été en reste. Les prières sont légions et les doigts coupés recouvrent de leur sens dans les appels désespérés du philosophe. Les croyances sont ravivées dans son esprit bouillonnant d’interrogations qui s’opposent farouchement à celles questionnant ses buts qui lui semblaient chimériques. Le travail acharné de ces dernières années n’a peut-être pas été vain. Son cœur bat d’espérances retrouvées comme jamais il ne l’a été depuis la perte de l’Aimé.

Quand l’idée d’une expédition dans la Grotte marine a été lancée, Alistair a été des premiers à partager sa dévotion et son exaltation fanatique pour qu’elle voit le jour. Il a fallu quelques semaines pour que son organisation soit rodée et que les offrandes soient rassemblées. Toutes les grandes familles solmènes ont participé, chacune mettant leurs biens au profit de cette pieuse aventure – les Flores ne manquant pas à l’appel. L’enthousiasme et l’excitation ont vite gagné les troupes, leur faisant presque oublier la dangerosité de cette aventure. La milice sera des leurs – heureusement pour elleux – pour assurer leur sécurité dans la descente vers la Grotte à moitié immergée, mais l’alchimiste les oublie presque dans l’exaltation zélée qui s’entremêle aux prières.

Dans les profondeurs du Mausolée sudérien, Alistair ne sait plus très bien qui de la lune ou du soleil éclaire la Cité des Cimes, resté trop longtemps enfermé entre les pages des archives. Ses recherches ont regagné vigueur depuis les dernières révélations, se mêlant aux questionnements qui ne cessent pas. Qui de la pierre ou du papier gagnera, lui-même ne le sait pas, tiraillé qu’il est entre la pierre philosophale et le poignard subtil. Les interrogations aux allures de vacarme se taisent pourtant lorsqu’il s’enfonce dans les méandres du quartier général solmène à la suite de ses compagnon‧e‧xs eencadré‧e‧xs par des milicien‧ne‧xs. Toute son attention tend vers ce lambeau sacré enfermé dans les profondeurs de la Grotte marine, souhaitant de toute son âme que le dieu accepte de se révéler à elleux.

Les courants d’air froid de la Grotte vient faire courir un frisson sur l’échine de l’alchimiste, lorsque la voûte de pierre se dresse au-dessus de leurs têtes. Il ne peut s’empêcher de détailler les alentours, à demi méfiant, à demi fervent, alors que les groupes se forment pour explorer les différentes zones de l’immense caverne. Il se greffe à celui le plus proche, sans vraiment faire attention à qui le compose, tout occupé qu’il est à sonder du regard les profondeurs obscures de l’eau qui semble s’enfoncer sous la surface pendant des mètres et des mètres.

La mémoire toujours griffée des hululements lugubres de la grotte marine, tu prends part à l’expédition solmène chargée d’aller à la rencontre du lambeau de Quetzalcóatl reposant dans les profondeurs de la caverne. Cette initiative ne te serait jamais venue à l’esprit sans les mots toujours tortueux d’Alistair. Depuis que la prophétie de ton enfance s’est réalisée et que le serpent-ailé est revenu dans les cieux de Cittàgazze, quelque chose a changé entre vous. Une fascination obscure conduisant à des travaux toujours plus poussés dans les archives de ta mémoire et de tes prédictions. Tu aurais préféré que cette vision ne se réalise jamais, demeure dans les limbes des souvenirs faussés et des aveux qu’on ne saisit pas. Tu aurais préféré ne pas être ce prophète qu’on a voulu voir en toi, t’arracher à ce don informe et sordide. Beaucoup de choses auraient pu en être autrement.

Suivant les pas d’Alistair dans l’ombre de la grotte marine, la silhouette fugitive de Cosimo se confond avec la sienne, fantôme reposant à tout jamais dans ces profondeurs où rien ne luit. Tu détournes les yeux pour chasser ces réminiscences, le regard rivé sur tes pieds glissant sur les roches humides, mais le souvenir ne crève pas dans ton cœur et tu ne peux empêcher celui-ci d’éprouver pour Alistair des sentiments pareillement inachevés et douloureux, captif de ce besoin violent d’aimer celleux qui te contrôlent et t’asservissent. Mais Alistair n’est pas comme Cosimo ; le mal qu’il te veut n’est pas le même, peut-être ne porte-t-il pas tout à fait ce nom-là. Sa fascination pour ton don a quelque chose d’une sincérité étrange qui donne parfois l’impression de servir à quelque chose en ce monde. Les sentiments s’accomplissent sans dire leur ressemblance, et relevant les yeux, tu comprends que tu es damné, à nouveau.

Les pas de votre petit groupe résonnent lugubrement dans les couloirs étroits de la grotte marine, s’ouvrant par endroits sur des vasques d’eau scintillant dans l’obscurité. Si, en théorie, les solmènes connaissent désormais avec acuité le chemin jusqu’à la Forge alchimique, près de laquelle le lambeau a été découvert la première fois et où naturellement vous commencerez vos recherches, vous repérer dans les ténèbres faiblement éclairés par vos lampes ambariques relève du miracle. Les chemins balisés disparaissent, les aventureux·se·xs menacent de se perdre, les chuchotements se dispersent. Bientôt, votre petit groupe fait face à un cul-de-sac, et vous êtes contraint de faire demi-tour, en espérant que l’autre groupe aura eu plus de chance que vous.

Ce serait mentir que de dire que tu as tout de suite su que tu voudrais prendre part à l'expédition pour approcher le lambeau de Quetzalcoatl. À vrai dire, le serpent ailé te fait peur. Il y a un peu de fascination, oui, mais surtout de la peur. Et encore plus depuis ce voyage dans le ciel où tu l'as rencontré pour la première fois. Et puis tu te poses la question de ce que tu pourrais bien y changer. C'est un dieu, ou en tout cas une créature bien plus puissante que toi. Peut-être que Quetzalcoatl désire seulement être laissé seul. Pourquoi devrait-il devenir un instrument de propagande ? Tu te le demandes bien. Cela dit, même si tu as peur et que tu n'es pas sûræ d'être d'accord avec les raisons de votre venue, tu veux en savoir plus. Peut-être qu'il sait des choses qui vous seront utiles. Peut-être que grâce à ce lambeau, vous découvrirez de nouvelles méthodes alchimiques ou une nouvelle façon de soigner. Tu es sûræ que tu peux apprendre. C'est pour ça que tu t'es greffæ à l'expédition un peu au dernier moment.

Zola sur les talons, tu t'enfonces dans la grotte. T'es jamais beaucoup venuæ dans ce coin-là. Tu n'y as jamais vu un quelconque intérêt. Aujourd'hui, ça changera peut-être. Finalement, tu veux l'aider ce lambeau. Même si son homologue dans le ciel t'as foutu la frousse de ta vie, tu te dis que tu peux peut-être changer les choses. Tu aspires à rendre le monde meilleur. Silencieusæ, tu suis Alistair et Kafka. Il fait sombre malgré vos lampes ambariques et tu ne sais pas si vous allez vraiment dans la bonne direction. Le chemin est peut-être balisé, mais il aurait fallu bien plus de lumière pour pouvoir vraiment s'y retrouver. T'as l'impression d'être dans un vrai labyrinthe. Vous faites demi-tour à un cul de sac avant de descendre un peu plus profondément dans la grotte. T'as l'impression que vous êtes à peu près sur la bonne piste. Tu ne sais pas sur quoi tu vas tomber en bas. Ça sera certainement dangereux, mais vous n'êtes pas seulæs, la milice est là aussi. Il ne faut pas que tu commences déjà à t'inquiéter.

Les lumières se font plus rares à mesure que vous progressez dans les profondeurs de la grotte marine. Les lampes ambariques vacillent, les chuchotements deviennent plus anxieux. Une aura funèbre hante ce lieu plein de reflets bleus et de stalactites. Tu te serres davantage contre Alistair, de peur qu’il s’évanouisse dans les ombres de la caverne et que tu te retrouves seul. Lorsque vous rencontrez un troisième cul-de-sac, tu ne peux retenir un long soupir de fatigue et de frustration. « On est déjà passé·es par-là, non ? » Constat d’une perspicacité à toute épreuve, témoin de ton impatience mêlée d’inquiétude. Vous marchez depuis des heures dans cette étrange caverne, infestée çà et là par des bernicles et des algues, résonnant de cris de morse et chatoyant discrètement d’anémones rouges le long des parois. Les décors se ressemblent, les balises s’effacent et bientôt, la troupe de milicien·nes qui vous accompagne se réduit à mesure que certain·es font demi-tour ou se perdre. Les boyaux de la caverne se ressemblent tous, seuls varient les miroitement de l’eau contre la roche et les quelques cercles alchimiques gravés dans la roche pour vous servir de repères. À en juger par certains, vous n’êtes plus très loin de la Forge alchimiques, mais encore faut-il parvenir à l’atteindre.

Cela ne te ressemble pas, de persévérer dans une quête qui n’est pas la tienne. Si Alistair n’avait pas éprouvé une fascination si profonde pour le lambeau du Serpent Ailé, comme tous·tes les haut·es dignitaires solmènes, tu serais probablement resté te terrer quelque part dans les pâleurs du Marché des Ambrumes. Pourtant, ton existence entière s’est jouée à une prédiction, une seule : celle de son retour. Un faux prophète redorant ici sa gloire passée en assistant à la résurrection d’un dieu. C’est peut-être dans cette grotte que se joue le dernier acte de ta vie, bouclant l’arc des visions annonciatrices et des douleurs de parias. Tu aimerais au fond de toi qu’il en soit ainsi, ne pas ressortir de cette grotte, ou alors transformé. Le Serpent Ailé a peut-être quelque chose à t’apprendre, à toi, sur la raison de ton don si tragique, sur tes visions, sur son retour que tu as entraperçu entre les brumes de l’haruspicie. Tu te surprends à rêver à des réponses qui ne te parviendront sans doute jamais, encore moins d’un immense morceau d’écailles rouges et bleues enfermé dans une grotte.

réussite Assure la réussite de votre action ou de votre sort, quel que soit le résultat des dés.

T'as l'impression que vous tournez en rond. Les couloirs se ressemblent tous et tu n'arrives pas à te repérer dans ce dédale. Tout ça te frustre de plus en plus. Tu voudrais déjà trouver ce foutu lambeau et en finir. Tu ne sais même pas sur quoi tu tomberas. Après un nouveau cul-de-sac qui vous contraint à faire de nouveau demi-tour, vous semblez enfin vous rapprocher un tant soit peu de votre objectif. Il semblerait que tu ne sois pas læ seulæ à perdre patience parce que Taron remonte la file de solmènes en bousculant tout le monde. Il manque même de marcher sur une patte de Zola qui lui lance un sale regard. « Hé ! Fais attention. On est touxtes pressé·e·xs, mais t’es pas obligé de te montrer si brusque. » T’es qui pour parler ? Parce que ce serait bien ton genre de faire comme le chef de la milice. Seulement, il t’énerve. Il a cet air de celleux qui se croient tout permis et tu ne supportes pas ça. Il n’a jamais eu à se battre pour arriver où il en est. Tu ne le connais pas plus que ça et pourtant t’as déjà des a priori tenaces sur lui. Tu te décides à lui coller les basques. Parce qu’aussi désagréable qu’il soit, Taron avance au moins. Et vous avez bien besoin d’un leader dans cette affaire.

Les boyaux de la caverne s’étirent à l’infini, et peu à peu, la certitude te gagne à l’idée que tu vas te perdre ici à tout jamais. Tu n’éprouves aucune peur à cette idée, plutôt une fascination morbide qui te pousse à continuer et non pas rebrousser chemin. Tu tiens devant toi une petite lampe ambarique qui éclaire à demi la queue du convoi, précipitant vos arrières dans des ombres lugubres. La petite expédition ne semble pas connaître la bonne route, et ce n’est certainement pas un larbin comme toi qui pourrait posséder cette information, alors tu te contentes d’emboîter le pas à tes supérieuræs sans piper mot. Les marches se déploient, les vasques, les murs luisant mousse et de cristaux de sel, et à mesure que vous progressez, d’inquiétantes profondeurs se découvrent. Tu échappes un sursaut en entendant le mugissement d’un morse au loin, et bientôt vous débouchez dans une vaste sale remplie de stalagmites et de stalactites, sur une grande vasque d’eau miroitant à la lumière de vos lampes ambariques.

Tu retiens un comme c’est beau de franchir tes lèvres, de peur de recevoir une remontrance de la part du chef de la milice ou des alchimistes présent·es. Alors que vous vous apprêtez à reprendre votre progression, tu entends des pas provenir de derrière toi, et tu te retournes vivement, de peur de tomber nez-à-nez avec une entité que tu ne souhaiterais pas du tout apercevoir ici. Le souvenir de la chimère découverte avec Cosimo et Sandro lorsque les solmènes ont redécouvert ton existence a laissé un souvenir indélébile et douloureux dans ton esprit. Mais la silhouette qui se dessine derrière toi n’est pas celle d’une créature funeste. « Astrid… » tu murmures lorsque ta sœur se dévoile dans la lumière de ta lampe ambarique. Sa venue ne t’étonne pas, mais tu ne pensais pas la retrouver ici. Vous ne vous voyez que peu, Faust, Astrid et toi, depuis que tu as refait surface, et la rencontrer ici te rassure. Tu ne risques plus rien.

Les ombres de la grotte marine s’amenuisent sous la lumière de la lampe ambarique, mais le lieu est toujours plongé dans une atmosphère lugubre. Lorsque vous parvenez à la caverne de stalactites et de stalagmites, tu écarquilles les yeux mais ne fais aucun commentaire, muré dans un silence de tombe. Tu ne veux pas attirer l’attention sur toi, tout juste bon à éclairer les arrières et à porter du matériel. Alistair t’a amené avec lui mais tu ignores pourquoi, si ce n’est pour jouer les éternels larbins. Tu n'arrives pas à te détacher des figures autoritaires de ta vie, elles pourraient te demander n’importe quoi que tu obéirais docilement. Le cruel besoin de reconnaissance et de protection te pousse à t’autodétruire sur le tranchant de ces douloureux regards, remplis d’une tendresse fausse et mesquine, trop belle pour être vraie. Le petit convoi s’arrête pour observer le miroitement de l’eau sous la clarté des lampes ambariques, et alors qu’il s’apprête à repartir, ta grande sœur apparaît.

Tu déglutis. Tu ne t’attendais pas vraiment à la trouver ici, même si sa présence a quelque chose d’évident. Tu recules pour la laisser passer, alors qu’elle t’adresse à peine quelques mots et un regard, appuyé par un signe de tête d’Orion. Tu baisses les yeux, le cœur serré, avant de la voir rejoindre la tête du convoi et indiquer une direction. Ton ventre est malmené par des émotions contraires : le bonheur d’être auprès d’elle et la douleur d’une tendresse éteinte. Tu sais qu’elle doit préserver les apparences et montrer aux autres solmènes la prestance et la froideur de son rôle d’aile gauche, mais tu aimerais égoïstement qu’elle te regarde, qu’elle te sourit, qu’elle te dise que ça va aller. Tu la laisses respectueusement passer devant en t’écartant avant de reporter ton attention sur la caverne face à vous, le bleu de l’eau miroitant dans celui de tes yeux tristes.