T’as l’impression de te perdre dans ces couloirs sans fin. Tout se ressemble et chaque fois que vous trouvez un cul de sac ou des morses, ton énervement croît un peu plus. Tu n’as pas la patience. Pourquoi le chemin n’a pas été balisé ? Pourquoi l’on n’a pas mieux préparé cette expédition ? Il s’agit tout de même de retrouver le lambeau de la grotte. Tu souffles un coup toujours en train de suivre les longues enjambées de Taron. Le chef de la milice t’énerve, mais il prend des initiatives et tu peux pas lui enlever ça. Vos humeurs concordent plutôt bien, donc le silence t’es pas désagréable.

Ce que tu remarques en premier, c’est l’odeur de sang qui se fait de plus en plus forte. Elle te prend à la gorge et te donnerais presque envie de vomir. C’est que vous n’êtes plus très loin de votre objectif. Et puis, après un dernier virage, tu vois cette grotte. Il y a de l’eau et du sang partout et il y a le monstre immense qui vous toise de ces multiples yeux. Tu parviens même pas à les compter. T’as presque un mouvement de recul, mais tu te retiens. T’es convaincuæ que si tu lui montres ta peur, il te dévorera. Pourtant, t’es terrifiæ. Il y a ses crocs immenses, le mélange de plumes et d’écailles qui tapissent sa carcasse. C’est ça votre dieu ? Le mythique serpent-ailé ? T’es pas sûræ de ce que tu dois en penser. Toute façon, il faut toute ta force pour contrôler ton myocarde qui tambourine dans ta poitrine, t’as l’impression qu’on n’entend que ça. Les écrits disaient que voir un dieu pouvais faire mourir quelqu’un·e, t’y avais jamais cru, mais tu le comprends maintenant que t’es face à face avec cette anomalie. Pourtant t’as déjà vu des trucs dégueulasses, mais ce lambeau défie tout ce que tu pensais avoir déjà vu.

Tu te forces à contrôler ta respiration et tu te concentres sur l’Emeraude qui semble émerveillé. Tu comprends pas trop pourquoi, il y a juste la peur qui te serre le ventre. T’aurais envie de faire demi-tour. Faut que tu montres tout le respect que t’inspire le lambeau. Tu t’avances pourtant, pas trop, tu veux pas être à portée de crocs. Toute façon, s’il voulait vous tuer, il pourrait le faire en un instant. Tu t’agenouilles au sol, te prosterne devant cette créature d’un autre monde. Et puis tu sors de ton sac un cadran doré. Petite babiole dont tu te dis que le lambeau sera satisfait parce que c’est de l’or. Tu le poses au sol et le pousses vers la tête immense. « Ô grand Quetzalcoatl, dieu de la sagesse, accepte mon offrande. » Tu baisses les yeux, n’osant pas vraiment le regarder alors que tu sens Zola à tes côtés qui se fait læ plus petitæ possible. Tu te saisis ensuite d’un couteau et t’entailles la paume de la main. Tu laisses couler ton sang sur le sol, il rejoint celui du monstre et celui de l’Emeraude. Tu sais que donner son sang ça a du sens en alchimie, tu veux pas faire de vague.

cadran doré Un cadran doré magnifique qui semble dépourvu d’utilité.

IndiceObtention d’un indice sur la prochaine intrigue du forum. Carte à jouer par mp à l'Être caché.

#staff pour l'indice

Ce n’est pas la première fois que tu parcoures les anfractuosités glaçantes de la grotte marine. Ses détours, ses vasques, ses roches luisantes. Cette atmosphère sépulcrale fait pourtant toujours frissonner ta peau lorsque tu t’engouffres à la suite de l’expédition dans les boyaux filiformes s’enfonçant dans les profondeurs. Malgré ton expertise, ta condition de sorcier·ère te colle au corps et c’est sans surprise que tu occupes la fin du convoi, flanqué·e d’un gamin dont la présence t’interroge, mais qui semble connaître Astrid. Tu as apporté avec toi une sacoche entière de livres et de carnets de note, prêt·e à rassembler le plus de connaissances possible grâce à cette rencontre, que tu espères la plus solennelle et la plus terrifiante possible. Vous errez longuement dans les sinuosités de la grotte marine, cherchant votre chemin, celui-ci n’étant pas balisé. Les alchimistes ont jugé bon de ne pas toucher aux parois et aux roches pour ne pas abîmer l’antre où repose le lambeau, mais le chemin demeure donc hasardeux. C’est après de nombreux détours et quelques jurons de la part du chef de la milice que vous parvenez jusqu’à Lui.

La caverne est immense, mais le lambeau l’est plus encore. Gigantesque tête de serpent aux yeux innombrables, ruisselante de sang et de cauchemar, il repose dans la grotte comme un monstre à demi-endormi, dont les milliers de regards pourtant vous fixent avec une intensité sans nulle autre pareille. Tu n’es pas capable d’en soutenir ne serait-ce qu’un seul, tant leur poids écrasant briserait jusqu’à tes os. Le corps colossal du dragon se soulève au rythme d’une respiration lourde et menaçante, comme un orgue désaccordé emplissant l’ensemble de la caverne. Tu es habitué·e à l’odeur de sang qui tapisse la caverne, pour t’être déjà plusieurs fois présenté·e devant le Serpent-Monde. Tu l’as toujours trouvé dans cette même curieuse placidité, mais tu crains le jour où sa colère pourrait s’abattre sur vous. C’est avec une immense déférence que tu sors finalement des rangs tétanisés des solmènes pour t’avancer vers le lambeau. Tu n’as pas peur, tu ne trembles pas. Au contraire, l’adrénaline qui pulse jusque dans ta gorge a quelque chose de l’ordre de l’extase.

Le Dieu te regarde, et tu sais qu’Il te reconnaît. Il se souvient de tes milliers d’offrandes, de tes milliers de prières, de tes milliers de rencontres. Tu peux contempler vos silhouettes dans la noirceur de ses innombrables yeux qui vous épient comme des vortex. Tu poses un genou à terre, incline la tête et baisse les yeux en signe de respect et de soumission. Tu n’es pas rôdé‧e aux mutilations sacrificielles mais tu adresses immédiatement des paroles saintes au dieu-serpent dans des murmures et psalmodies en langues anciennes, faites de magie rituelle et de contes. Puis d’une voix plus forte, tu déclames : « Ô dieu dévoreur de mondes, dragon aux mille regards, dernier soleil des vivant·e·xs, nous te prions d’accepter nos offrandes et notre présence. » Tu relèves les yeux pour croiser l’un des siens, détournant rapidement le regard, avant de te relever. Tu indiques au jeune homme derrière toi de venir faire son offrande avant que le Dieu ne s’impatiente, puis d’ajouter à l’attention des autres solmènes : « Ne le regardez pas dans les yeux, vous pourriez en perdre la raison. » Vous ne connaissez pas encore toute l’étendue des pouvoirs du lambeau, mais toutes les légendes évoquent ses mille regards comme des puits où il est facile, si facile de se damner, ayant poussé à la folie bien trop d’imprudent·e·xs. Aujourd’hui, ce sont ces yeux que tu viens étudier. Tu n’as pas peur de sombrer, car la déraison elle-même serait douce à Ses côtés.

Tu te fais minuscule. Tu sais pas ce que tu fais là. Tu sais pas pourquoi Alistair t’a emmené. T’as un peu envie de pleurer. Tu t’étais promis de ne plus jamais obéir aux solmènes, et te voilà te nouveau traîner à leurs bottes comme un serviteur, le dos fourbu du matériel alchimique et des offrandes que vous devez apporter. T’as pas envie de le voir, ce dragon. T’as pas envie de rencontrer un monstre et de devoir te prosterner devant lui. Tu voudrais faire demi-tour, mais tu te perdrais dans les sinuosités de la grotte marine et ne reverrais jamais la lueur du jour. Ou alors les solmènes te rattraperont et te feront payer le prix de ton insolence, comme iels savent si bien le faire. Alors tu suis docilement le convoi, relevant parfois les yeux pour tenter d’apercevoir la silhouette d’Astrid, ouvrant la marche. Mais ta grande sœur ne semble pas avoir calculé ta présence outre mesure, alors tu cesses bientôt ton petit manège pour fixer tes pieds – ce qui ne t’empêche pas de trébucher malgré tout à intervalles irréguliers. Le chemin te semble long, pénible. Tu gardes le silence alors que les solmènes commencent à s’impatienter de retrouver un jour la caverne où repose le lambeau. Peut-être allez-vous crever ici, perdu·e·xs dans les profondeurs de la grotte marine ?

Mais finalement, vous parvenez jusqu’à Lui. La grotte s’ouvre devant vous et le lambeau est là, tout proche. Si proche que l’odeur du sang vous parvient avant même que vous n’entriez. Tu portes immédiatement ta main à ta bouche pour t’empêcher de respirer l’odeur atroce de l’ichor mélangée à l’eau salée, mais les regards appuyés des solmènes autour de toi te font comprendre de ne rien laisser paraître, et ta main retombe, figée. Les dents serrées, tu contemples le spectacle qui s’offre à vous, le plus horrible et le plus sublime que tu n’aies jamais vu. Il s’agit d’un dieu, tu en es certain désormais. Celui dont tu avais prédit le retour, là, à quelques mètres de vous, immense, misérable et terrifiant à la fois. Tu ne pensais pas voir un jour un tel spectacle, qui te glace le sang au point que ta respiration s’étrangle dans ta gorge et que ton ventre se serre atrocement. Tu ne sais pas où poser les yeux ; sur ces crocs démesurés luisants de sang, sur ces écailles à demi-arrachées miroitant d’éclats funèbres, sur ces regards indénombrables vous fixant comme les canons d’un pistolet prêt à faire feu. Tu serres dans ta main l’une des offrandes que tu as été chargé d’apporter ; une bague en obsidienne, bijou précieux qui, tu l’espères, sera suffisant pour apaiser l’appétit du Serpent-Ailé.

Tu observes certain·es faire offrande leur sang, et tu déglutis. Tu n’étais pas préparé à ça. Vraiment pas. Tu t’approches si prudemment qu’on se demanderait même si tu avances, pour venir déposer auprès des autres offrandes la petite bague. Après quoi, tu restes pantelant, la bouche entrouverte dans une expression de stupeur et de frayeur mêlées. Tu ne peux pas détourner le regard du corps immense et terrifiant qui se meut au rythme d’une respiration qui semble pénétrer les moindres parcelles de ton être. On te donne finalement un coup de pied à l’arrière du genou pour que tu t’agenouilles, et tu tombes au sol avec une grimace de douleur, contraint de te prosterner à ton tour malgré toi. Tu ne relèves plus la tête, terrorisé par les paroles du dragonologue. T’as les larmes qui te montent aux yeux, sans que tu ne saches vraiment pourquoi. La peur, le rejet, la fin du monde. Tu resteras au sol jusqu’à la fin.

bague d'obsidienne Portée au doigt, elle dévore toutes les lumières d'un lieu.

Tu ne sais pas ce que tu fais ici. Pourquoi il a fallu qu’Alistair t’emporte avec lui – cherchait-il à te confronter à ta propre vision ? Tu ne comprends plus rien à ce qui est en train de se dérouler. Devant vous, c’est un dieu qui se tient, un dieu véritable, misérable et sublime, et il semble que tout ce en quoi tu croyais s’effondre sous tes yeux. Le déni, le regret, l’insoumission. Toi que l’on fit faux-prophète avant de te laisser pour mort, contemplant désormais la réalité horrible de ce que tu avais entrevu par le passé dans les écailles d’un serpent. Tu ne comprends rien, si ce n’est le danger qui vous guette tous·tes. Un coup de pied te fait plier les genoux et tu finis prosterné comme les autres solmènes près de toi. Tu n’as pas le courage de relever les yeux pour contempler la bête immonde. Tu n’as plus le courage de rien, ni bouger, ni même respirer, et l’air dans tes poumons reste prisonnier de longues secondes. Tu peux sentir les regards du Serpent-Ailé peser sur toi comme des glaives près à couper des gorges. Il vous scrute un·e à un·e, et un étrange silence s’installe, seulement troublé par les clapotis de l’eau qui ruisselle sur les murs de la caverne et par la respiration horrible de la créature. Tu te sens acculé. C’est comme si ces yeux pouvaient te mettre à mort dans un seul regard.

Soudain, c’est la silhouette d’Astrid qui te dépasse et se poste devant toi. Tu reconnais le rythme de ses pas et son odeur, alors tu relèves un peu les yeux pour contempler sa chevelure rousse. C’est bien elle, elle est venue se mettre en travers du monstre. Elle prononce les paroles de déférence et de soumission, et tu l’écoutes, gagné par l’inquiétude que le Serpent-Ailé ne la juge pas digne de se trouver devant lui. Tu voudrais lui prendre la main et la tirer avec toi pour vous enfuir loin d’ici, si loin que tous·tes les solmènes du monde ne pourraient pas vous retrouver. Vous arracher à ces horreurs et retrouver la tendresse de votre enfance, avant que ton don ne soit découvert et que le poids de la prouesse ne commence à peser sur les épaules d’Astrid. Avant tout ce qui vous a détruit. En cet instant, tes pensées vont vers Faust. Et si tu ne la revoyais jamais ? Et si le monstre vous dévorait ? Elle n’aura jamais su que tu étais encore en vie. Elle aura vécu toute sa vie dans ton mensonge, ce mensonge si odieux, cette démonstration de la plus sale des faiblesses. Tu penses à tes sœurs, et c’est la seule chose qui te fait tenir.

Tu baisses à nouveau les yeux, le corps tremblant, les yeux baignés par des larmes immobiles. Tu ne sens pas immédiatement la présence près de toi, le corps qui se traîne à tes côtés, jusqu’à ce qu’une main ne vienne se déposer sur la tienne, poisseuse de sang. Tu soulèves un peu le regard pour croiser celui de Sienna, et un sourire fugitif et triste naît sur tes lèvres. Il est là, lui aussi, auprès de toi. Tu n’es pas seul. Tu articules un merci silencieux en enroulant quelques secondes tes doigts dans les siens, avant que les regards sur vous ne deviennent trop menaçants et que le médecin ne soit obligé de se retirer. Tu le regardes s’en aller et ton ventre se serre. Tu aurais aimé rester auprès de lui, mais le simple fait de le savoir quelque part dans cette étrange assemblée te rassure quelque peu. Tu n’es pas seul.

Tu t’es approché·e, gardant toutefois une certaine distance pour ne pas éveiller la colère ou effrayer le lambeau – quoiqu’un corps frêle comme le tien, misérable être de chair et de sang, ne soit pas le genre de créature à pouvoir susciter la peur chez un dieu. Mais tu vois aussi en cet Ouroboros tronqué comme un animal blessé dont il faudrait gagner la confiance, et en ce sens, une procession entière d’inconnu·e·xs venu·e·xs observer, détailler, analyser le corps peut aussi apparaître comme une menace. Ridicule, certes, mais une menace toujours. Les autres solmènes continuent leurs offrandes et leurs sacrifices, que tu regardes d’un œil satisfait, attendant patiemment que les marques de respect et de soumission contentent le dieu. Il vous faudra interpréter ses regards et sa respiration pour saisir le bon moment où approcher. Pour le moment, la créature ne semble pas agressive, plutôt curieuse en vérité, observant les offrandes avec un regard qui semble intrigué ; tout du moins, certains de ses regards, les autres étant braqués sur vous et parfaitement indéchiffrables. C’est pourtant bien une conscience, pour ne pas dire des consciences, qui miroitent à l’arrière de ces rétines d’un noir univoque, cerclées de rouge. Une présence insondable qui emporte tout dans sa noirceur, et tu préviens les autres membres du convoi de ne pas regarder le Serpent-Ailé dans les yeux. Comme des soleils noirs, il semble possible de devenir aveugle rien qu’en se plongeant dans ces regards.

L’Aile gauche s’avance devant le jeune homme qui a prédit le retour du dieu – qu’est-ce qu’il fout là ? Tu connais leurs liens de parenté, et tu contemples l’alchimiste avec aigreur ; ce n’est pas le lieu pour ce genre de prise de risques. Votre concentration doit tout entière être mise au service du lambeau, l’affectivité n’a pas sa place en cet instant. L’Aile gauche présente elle aussi ses hommages au dieu avant de s’agenouiller, et tu renchéris : « Ô dieu, accepte ces offrandes et pardonne notre présence à tes côtés. Nous sommes venu·es rendre visite à notre Seigneur pour savoir comment l’aider à redevenir Un. » Tu te relèves enfin, gardant les yeux baissés, avant d’ajouter : « Nous sommes tes serviteur·ses. » La raison de votre présence ici est en effet sans ambiguïté : trouver un moyen de libérer le dieu de sa prison et de rassembler les lambeaux. Tu n’es pas certain que vous trouverez toutes les réponses à vos questions aujourd’hui, mais le fait de témoigner de votre déférence envers le dieu et de votre soumission est peut-être la seule arme que vous ayez contre la fin du monde. « Déposez les armes avant d’approcher. » tu indiques, sentant que le dieu n’est pas troublé par votre présence et vous laissera peut-être venir près de lui.

réussite Assure la réussite de votre action ou de votre sort, quel que soit le résultat des dés.

Les offrandes sont déposées face au lambeau, certain·es effectuent des sacrifices de sang. Toi, debout, tu contemples la scène sans quitter des yeux les innombrables regards du grand serpent, désireux·se de t’y perdre et de ne jamais retrouver le chemin de la raison. Tu es face à ce que tu as passé toute ta vie de sorcier à chercher, à espérer. Toute une existence consacrée aux dragons et à leurs mystères, pour finalement rencontre le roi parmi tous, le grand serpent du ciel, Quetzalcóatl. Tu indiques aux autres solmènes de déposer les armes avant d’approcher, et toi-même tu demeures à une certaine distance, essayant de décrypter les mouvements et les regards du lambeau pour déterminer le bon moment pour approcher. Tu te fis à chaque geste, même les plus infimes, à chaque pupille qui s’écarquille ou au contraire se détourne, à chaque mouvement de mâchoire. Autour de toi, les solmènes sont pour la plupart saisi·es d’adoration, de stupeur ou de crainte, trois sentiments qui ne s’annulent pas mais se complètent. Tout le monde fait montre de déférence, et le lambeau, placide, n’effectue pas le moindre mouvement.

Toi, ce sont ses yeux qui te fascinent. Cette infinité d’yeux qui voient tout, qui perçoivent tout. Qui ne se détachent à aucun instant des solmènes face à eux. Ces yeux qui semblent doués d’une intelligence, d’une conscience, ce qui te laisse à penser qu’il serait peut-être possible de communiquer avec ce monstre. Peut-être vous entend-il ? Peut-être vous comprend-il ? Comme tous les dieux, il est une immense énigme à déchiffrer, mais aussi probablement doué d’omniscience, ou tout du moins d’une conscience élargie. Tu es persuadé·e que les paroles que vous prononcez, les prières et les témoignages de soumission, parviennent jusqu’à lui. Qu’il comprend la valeur des sacrifices, seule langue peut-être qu’il maîtrise. Le sang seul peut-il le relier à vous ? Cette théorie invérifiable est pourtant celle qui te semble le plus probable. Tous les dieux communiquent avec les mortel·les par le biais de sacrifices et d’offrandes. Il s’agit seulement de trouver ceux qui permettent d’entrer en résonance avec eux, ceux qui les touchent, ceux qui les contentent.

Durant de longues secondes, tu ne bouges pas. Tu n’arrives pas à faire le moindre pas, et tu es forcé·e de reconnaître que tu as peur. Malgré toutes tes visites auprès du lambeau, malgré tes connaissances et ta foi, tu es toujours saisi·e de terreur en imaginant tout ce que le Serpent-Ailé pourrait vous infliger. Tu serres les poings, tentes de rassembler en toi ce qu’il te reste de courage, avant de venir chercher dans ta sacoche une petite fiole, destinée à recevoir les larmes du lambeau, pour les soumettre ensuite aux chercheur·ses solmènes, qui tentent de déterminer comment ramener Quetzalcóatl à sa forme sacrée, un et unique. Tu t’avances en premier·e, la démarche raide mais assurée, les mains moites mais qui ne tremblent pas. Lorsque tu arrives à deux pas du lambeau, tu te stoppes. Tu fermes les yeux, attends quelques secondes, espérant ne pas avoir réveillé une quelconque colère, avant de les rouvrir et de contempler le grand corps démantelé face à toi. Ton regard croise l’un des siens, mais tu baisses rapidement les yeux, avant de t’avancer encore, jusqu’à l’un des yeux, noir cerclé de rouge. Et délicatement, tu apposes une main sur le corps écailleux, de l’autre tu présentes la fiole à la limite de l’œil pour en récolter le précieux liquide. Un frisson remonte le long de ta colonne vertébrale.