C'est comme rembobiner la casette de ses souvenirs. Au fur et à mesure que la ville défile, Siren remonte le fil de sa propre vie.

Le bout du pied collé à la ligne de départ, elle sent son propre pouls tambouriner sous sa peau. Sa chamade fait vibrer chacun de ses membres, palpiter ses pensées et agite jusqu'aux couleurs rougeoyantes du lever de soleil au-dessus de sa tête. Tout en gardant les yeux rivés droits devant elle, vers les méandres de la ville basse et le sommet de la tour qui dépassent des toitures au loin, ses doigts glissent contre la paume de Kassandra qui se tient à ses côtés. Siren presse doucement sa main contre la sienne, une fois, en guise de parole muette - celles dont elles seules ont le secret. Il n'y a qu'auprès de sa sœur que la bavarde parvient à rétablir l'accalmie du silence, à faire taire le flot incessant de ses bavardages. Dans leur dos, elles entendent le grincement familier de la porte de la péniche familiale qui, comme toujours, a été mal fermée, tant comme un signe d'éternel bienvenu que comme la conséquence de l'énième oubli d'un adelphe tête-en-l'air. Les charnières craquent et s'entrebâillent au gré des flots, le bois claque en réponse aux vagues. Bercée par la mélodie qui a accompagnée toute son enfance, Siren inspire. Sa tachycardie ralenti. Elle échange avec son ainée un regard brillant de détermination et d'impatience.

Le canon retenti.

Les cris d'encouragement de Mama sont les premiers a briser le silence assourdissant d'anticipation qui s'est abattu sur la ville. Un sourire éclatant grimpe sur les joues de Siren, mais elle se retient pour ne pas se retourner. Si les mains des deux Covenant se séparent, ce sont désormais leurs pieds qui frappent les pavés à l'unisson, au rythme de leur course effrénée. C'est une symphonie de souvenirs. Siren enjambe le pont duquel elle a sauté pour la première fois afin de forcer Arthur à lui apprendre à nager, au risque de la voir couler. Et, à nouveau, comme tant d'années auparavant, Siren se jette à l'eau. Cette fois, cependant, l'alchimiste de l'eau invoque de forts courants qui les portent, elle et sa sœur, pour remonter à toute vitesse le canal, évitant ainsi les détours et les virages que le reste du pelletons doit prendre pour quitter le port en longeant les quais.

Arrivée au bout du canal, un geyser projette les co-équipières hors de l'eau et Siren reprend aussitôt sa course sur la terre forme. Elle saute par-dessus la pierre mal logée dans le trottoir, celle qui lui a couté la victoire à la course contre Nicholas quand elle s'y est écorcher les genoux, une fois. Elle laisse derrière elle les compétiteurs qui s'engagent dans les escaliers aériens et s'engouffre plutôt dans une ruelle perpendiculaire - un cul-de-sac. Sans freiner, elle escalade en quelques sauts le réverbère à la lumière duquel Djinn lui a déjà raconté tant d'histoire, puis s'élance dans le vide pour saisir la jardinière du balcon de la maison d'en face, où elle et Spriggan viennent voler des plantes pour ses talismans. De là, elle s'élance pour attraper la corde à linge suspendue au-dessus de la rue à l'étage supérieur. Tantôt funambule, tantôt vigie, elle se laisse portée par ses pieds marins pour grimper entre les mâts des lampadaires et les cordages des fanions, comme Kassandra lui a appris à le faire pour naviguer sur un bateau, alors qu'elles jouaient aux pirates et aux sirènes étaient enfants. Les mains rouges et le sourire toujours aux lèvres, c'est son corps qui, par la seule force de sa mémoire musculaire, la porte jusqu'aux toits.

Ce parcours, elle l'a déjà accompli mille fois. Pour dénicher un nouveau lieu de spectacle pour l'Imaginarium, pour échapper aux gardes après un coup maladroit, pour rentrer avant que Mama ai fini de préparer le souper, pour s'entraîner avec Kassandra en vue de cet instant là. Elle en connaît chaque passage secret, chaque crevasse traitresse, chaque tuile d'argile glissante. Elle s'engouffre par une fenêtre, traverse un appartement depuis longtemps laissé à l'abandon et ressort de l'autre côté. De plus en plus haut, elle se jette par-dessus les gouffres sans un regard vers les rues en contre-bas. Entre deux foulées, elle décroche de sa ceinture le grapin pendue à sa ceinture, se préparant à l'abordage de la Torre qui se profile au bout de ses doigts. Rendue euphorique par l'adrénaline, elle laisse un cri de joie pure bouillonner dans sa gorge et remplir ses poumons jusqu'à exploser en ricochet contre les toits.

Résumé. En équipe avec Kassandra, Siren utilise ses pouvoirs alchimiques, ses compétences de circassienne et de vigie, ainsi que sa vie de bêtises en tout genre pour prendre de l'avance lors de l'ascension. Elle prévoit d'escalader la Torre avec son super grapin, mais elle brille un peu moins parce que l'escalade sur mur vertical c'est pas son fort - elle préfère sauter de cordes en corde à la Tarzan. Heureusement, elle ne se ratte pas trop non plus, et reste quand même parmi la tête du cortège. Elle vit sa meilleure vie.

dés: