Le petit papier froissé se recroquevilla dans un craquement dans la paume de Romy, qui l’ouvrit du bout des doigts. Ses fils, curieux, se penchèrent au dessus de ses bras pour vérifier ce dont il s’agissait. Roberto gloussa.

« C’est un p’tit mot d’amour. »

« P’tet bien. » répondit Romy en le reposant à sa place. « J’sais pas s’ils se sont finalement rejoints dans le garde-manger, j’espère pour eux. »

Ses fils sortirent de derrière le comptoir. D’autres personnes se rendirent dans le wagon. Aucune que Romy ne connaissait. Toutes étaient silencieuses, comme s’il s’agissait de ne pas déranger des fantômes. Un calme mortuaire, étouffant, pesait, et si des vitres n’avaient pas éclaté pour laisser passer le glacial vent automnal, Romy aurait eu besoin d’air.

Elle promena sa main sur le comptoir (numéro 10).

Une pancarte. Tu n’aurais eu aucune idée de son inscription s’il n’y avait pas la traduction. Symboles étranges. Instantanément, tu te retrouves à les aimer. Leurs formes te rappellent des symboles alchimiques ou mathématiques. Tu es absorbé par cette découverte. Soleil, elle, a toutes ses pattes sur terre. Elle te pousse de son museau, prête à te mordre une fesse si tu t’attardes plus. Tu fais claquer ta langue pour l’en dissuader. Tu connais ses projets… Sans trop savoir pourquoi, ton instinct t’amène dans la partie cuisine. Tout ceci est trop… vivant. Rien ne bouge mais pourtant tout est là pour que la vie reprenne ses droits d’un claquement de doigts. Il y a encore de la nourriture, des verres pleins,… Encore cette odeur de cigare. Tu vois des silhouettes s’agiter plus loin… Elles ne te sont pas connues. Tu as peur de toucher ce qui t’entoure. Peur que tout disparaisse soudain dans un nuage de fumée, comme un rêve. Pourquoi tout est si irréel ? Soleil contre ta cuisse. Ses sens sont visiblement en alerte. Elle montrera les crocs si besoin. La dague attachée à ton mollet est là pour compléter votre défense. Vous êtes contre tous. Tu ignores quoi chercher. Pourquoi es-tu si perdu ? Toi qui es d’habitude si fier, si confiant… L’ambiance t’étouffe. Cette course contre le temps, cette boulimie d’informations, cette peur de ce qui se cache derrière tout ça… Pourquoi t’attends-tu au pire ? Tout cela ne fait que t’éloigner de l’alchimie et ton destin. Tu devrais être dans les bureaux sur tes recherches… Tu doutes qu’il ait des réponses sur l’Elu.e dans ce wagon… Non, sérieusement, il n’y a que la locomotive qui est digne de ton intérêt… Pourtant, tes yeux s’arrêtent sur une étagère de la cuisine (Numéro 12).

« Il devrait y avoir les gardes depuis longtemps, qu'est-ce qu'ils foutent». La jeune femme reste au milieu de la foule venue chercher des explications dans les décombres de ferrailles, donner du sens au déchirement de l'air qui a accouché d'un train dans la nuit. Un nouvel effondrement après la grotte mais cette fois le monde s'était tordu sous l'effet du train venu d'un autre monde. Au dessus d'elle Pollux trance de grand cercle pour mieux apercevoir les débris, les premières personne à se précipiter dans le train. « Il devrait y avoir des gardes. » Les bras croisés elle reste longtemps avant de réaliser que les Solmènes ne pouvaient pas faire preuve d'ubiquité à chaque instant, garder la grotte et son horloge mystérieuse, la ville, et cet effondrement relevait de la responsabilité de chaque solmène capable, encore plus les alchimistes. Dans un râlement, comme pour marquer son mécontentement envers sa propre moralité, elle se décide à quitter les rangs des badauds et rejoindre les explorateurs plus téméraires déjà sur place.

Encore fumant malgré le temps écoulé, elle rejoint sans le savoir le wagon destiné aux nantis, elle jette un coup d'œil au fourgon endommagé. Des habitants de la ville basse sont déjà en train de retourner chaque centimètre, tiroir, à l'affût, de quoi ? A part les murmures des chercheurs et de la foule dehors, il n'y a aucun son.  « En tout cas, ils savent y faire... » murmuré à l'attention de son daemon revenu contre son cou, elle s'avance avec prudence dans l'allée bordée de fauteuils en cuir, frappée par l'atmosphère luxueuse familière. A la recherche d'explication sur l'origine de l'engin elle se penche pour fouiller à son tour, elle remarque quelque chose accroché à un accoudoir (7).

« C'est bizarre... ». Faust fait tourner les pages du carnet sous le regard médusé de Pollux, troublé par un étrange sentiment sans qu'elle ne parvienne à déchiffrer le trouble. « Ils n'ont pas de daemon. » ombres longilignes solitaires, si Pollux et Faust sont habituées à croiser des personnes de mondes différents, l'absence de familier, morceau d'âme réconfortant, vient s'ajouter à l'étrangeté qui occupe le wagon. Machinalement elle glisse le sac à son épaule comme pour mieux garder des traces  de ces habitant·es inconnu·es. Elle se laisse tomber dans un des fauteuils étonnamment confortable, pour mieux inspecter le sac : la finesse des pinceaux en bois, les fusains saturés de pigment, le grain du papier... une pointe de jalousie quand elle doit se rappeler des efforts parfois déployé pour trouver ces ressources indispensables à son quotidien. Alors qu'elle se désintéresse de l'exploration du wagon, la voix du rouge-gorge la tire de sa contemplation pour lui indiquer un objet étrange sous un siège (1)