Depuis que Cittàgazze nous a découvert, il y a comme eu une lourde et longue pause dans les histoires folkloriques que nous avons encore besoin de vivre ; telles des éclipses qui éteignent les étoiles, nos rituels se sont laissés faner. Les contes commenceraient presque à manquer de leur matière première pour vivre et continuer de pulser entre nos chairs et sous nos langues ; les danses ne laissent plus leurs traces de transes sur les sols terreux du village et dans les sourires des spectateur·rice·s. Alors, lentement, nous nous sommes réveillé·e·s de ce sommeil étrange et lunaire, nous reprenons notre place et nos droits.

Le dos chargé de silex et de fagots, je ne regarde pas derrière lorsque nous partons en petit groupe pour rejoindre le Pic de la Sérénité afin d’y faire brûler à nouveau les feux de bengale et les hurlements. Au milieu du chemin, alors que Nil et Dot me suivent, je ôte le sac de mes épaules. « C’est lourd comme ça, je préfère prendre ma forme animale. Ce n’est pas comme si on avait besoin de se dire grand chose de toute façon, on sait toustes où l’on va. ». Le silence me convient bien, le silence qui instaure cette distance nécessaire avec le frère qui n’en est plus tout à fait un depuis qu’il me perçoit comme traître ; tout comme avec celle dont je sais que mes opinions trop tranchées ne font pas bon ménage.

Je laisse la hyène prendre le dessus, saisir du bout des crocs le sac et le hisser à mon garrot, et je reprends la marche. Avec ces pattes, plus fines et agiles, j’ai l’espoir de moins glisser. Moins faire d’erreur, moins décevoir. Peut-être bien plus animal qu’humain, j’ai toujours été plus à l’aise avec ces tâches sur la peau et le rire au bord des lèvres.

Tu te demandes, désabusé, pourquoi le village n’a pas choisi d’envoyer ces foutus flamboyants allumer leurs foutus feux dans les montagnes, plutôt que votre trio totalement dysfonctionnel. Attilio et Dot aux divergences politiques criantes, Attilio et toi aux récents carnages fraternels, et Dot et toi… qui êtes probablement le duo le plus sain de cette magnifique brigade ; l’enfantine Dot donnant à tes missions à Cittàgazze une touche d’innocence dans la noirceur de tes actes. À vous trois, vous formez une bien étrange communauté du feu, porteur·euses pourtant d’une tâche cruciale aux yeux des analogues, celle d’allumer les brasiers en haut des montagnes pour trancher la nuit.

Lorsque Attilio se transforme, tu retiens un amer « Très avenant, merci. », alors qu’au fond, tu aurais aimé qu’il reste et que vous puissiez tout vous dire. Tout ce qui est resté fiché douloureusement dans le ventre sans parvenir à s’en extraire. Mais cette mission n’est pas le lieu pour vos querelles et vos souffrances fraternelles, alors tu ne réponds rien et fait mine de ne pas être touché par la décision d’Attilio. Sous ta forme animale, il te serait tout simplement impossible de soulever une branche ou de gravir un seul de ces sommets, alors tu te contentes de ravaler ta fierté et de continuer ta route fagot sur l’épaule.

La phrase de Dot te ramène à la réalité et t’arrache un sourire. Tu ne sais jamais d’où elle sort toutes ses questions, mais elles sont toujours porteuses d’un enthousiasme franc qui est comme communicatif, une joie dont elle seule a le secret. « Ce sont des sortes de bonbons mous, blancs ou roses. Un peu aérien tu vois ? Tu les accroches sur des bâtons et tu les fais caraméliser sur des feux de camp, et puis ça fond. » À force de côtoyer des ressortissant·e·xs des quatre mondes effondrés, tu as emmagasiné un certain nombre d’informations farfelues voire inutiles auxquelles Dot est toujours très attachée. Tu aimerais l’emmener un jour à Cittàgazze, quand elle aura effectué le rituel de l’Inkumbolo. Beaucoup de choses, bonnes et mauvaises, restent à découvrir.

Il faut avancer. Ne pas regarder en arrière... La bonne excuse de la mission pour éviter de tourner la tête, de voir le regard déçu de Nil et d'imaginer toutes les pensées rageuses qui tournent dans sa tête. J'entends, sans comprendre, la naïveté de Dot qui vient alléger la situation, détendre cette atmosphère pesante et je sens mes babines se crisper dans un sourire aussi tendre qu'il le peut, laissant découvrir des canines qui n'ont rien de menaçantes, pour une fois. L'esprit perdu dans ces douceurs inattendus, je m'égare, tangue sur la paroi rocheuse et glisse, inévitablement.

Par instinct, je me retourne subitement, tout en reprenant forme humaine, car je sais que celleux qui se trouvent derrière vont récolter les résultats de ma maladresse. Ma main se tend, voulant comme rattraper les pierres qui roulent jusqu'entre les jambes de mes coéquipier·e·s, mais c'est en direction du visage de Nil que mes doigts s'étirent. « Nil ! ». Mon cri résonne dans le silence. Je frôle l'espoir qu'il l'éveille, lui permette d'esquiver la chute et la douleur que je pourrais lui causer. Qu'il fuie, cette fois, je voudrais qu'il fuie.
Je me confonds en excuses, les joues rouges de honte, et je finis par saisir le bras de Dot pour finir de grimper jusqu'en haut de la montagne, comme si la présence de la jeune fille était une sorte de rempart qui me rattache à la réalité. « Viens... tu voulais allumer le feu pas vrai ? ».

Nous arrivons tout en haut où je dépose mes fagots, où le vent est aussi mordant que mes crocs, et j'étends au maximum mes vêtements devant Dot et le brasier encore éteint, pour couper la brise. « Essaye comme ça, vas-y ! Je marque une courte pause, hésitante et coupable. Nil... viens à mes côtés, je suis sûr que le feu peut être allumé, si on la protège. Ensemble. ».

L’atmosphère électrique te fait grincer des pinces sous la forme de ton animal-mémoire. Mais tu reprends bien vite silhouette humaine pour tenir compagnie à Dot, à qui tu prends la main pour vous aider tous les deux à crapahuter dans les chemins escarpés et trompeurs menant aux sites des feux. Tu as déjà connu nombre d’allumeur·se de feux et de faunes se briser les os sur ces sentiers traîtres, alors la prudence se fait de mise.

Alors que tu regardais tes pieds pour ne pas le poser sur une roche vacillante, un Nil ! hurlé par Attilio te rappelle en une fraction de seconde à ton instinct de survie et, surtout, ton instinct d’espion. Avec agilité, tu pousses Dot pour la préserver de la trajectoire du rocher avant de te jeter toi-même dans les fourrés et d'esquiver le boulet envoyé par cet aimable Attilio, à qui tu adresses un regard mi-noir mi-reconnaissant pour l'avoir prévenu et aidé à ne pas se faire écraser.

Arrivé en haut du pic, le vent ne vous laisse aucun répit, mais faisant barrière de leurs mains, tes coéquipier‧ères te laissent peut-être une chance d'allumer ton fagot. Frottant les pierres de silex les unes contre les autres, une étincelles finit par jaillir et enflammer le bois. Un premier feu est désormais allumé sur le Pic de la Sérénité, plus que deux. Sur une nouvelle corniche, tu t'installes pour faire un paravent de tes bras pour protéger le futur brasier. « Dot, à ton tour ! »

réussiteAnnule un échec aux dés.

Lorsque les feux commencent enfin à prendre et à s’allumer, le vent ne parvient plus à les éteindre et, enfin, le signal éclaire la montagne. Tu échappes un sourire fier, jetant un regard à Dot et Attilio avec la détermination collée au corps. Il ne vous reste plus qu’un mont à rejoindre, un endroit que tu n’as exploré qu’une seule fois dans ta courte vie d’analogue, lors de l’année passée en inkumboli pour pouvoir ensuite prétendre être un véritable faune. Tu avais entamé un long et périlleux – comme ce mont – périple pour parvenir à l’une de ses falaises, mais tu n’as jamais escaladé la montagne, ton animal-mémoire ne te permettant pas pareille acrobatie. Tu te demandes si tes deux comparses sont déjà parvenu·es jusqu’aux feux du Mont du Péril. « Vous connaissez le chemin ? » tu demandes, un peu honteux de n’avoir jamais parcouru cette route.

Vous vous mettez en marche pour aller à la rencontre de cette montagne portant un nom ô combien peu accueillant. Vous ne vous transformez pas, pour ne pas laisser Dot derrière vous dans cette ascension périlleuse. Mais la montagne n’est pas clémente, et vous vous retrouvez bientôt dans une cuvette où le chemin disparaît dans le maquis. Aucun·e de vous ne possédant un animal-mémoire ailé, vous faites une halte, pris·e au piège dans votre propre mission. « Nous nous sommes perdu·es. » tu grognes entre tes dents. Soudain, une traînée rouge traverse le ciel, et tu comprends sans mal qu’il s’agit d’un animal-mémoire, plus précisément de l’un des foutus Flamboyants, qui ne respectent que leur propre code et se foutent éperdument des règles du village. Tu es toutefois mal placé pour éprouver la moindre médisance envers eux, ayant désobéi très récemment aux Passeur·ses pour sauver Attilio de la Tour de l’Est. « EH ! OISEAU ! » tu hurles pour tenter d’attirer son attention. Lui seul pourrait vous sortir de cet abandon en vous indiquant le chemin depuis les cieux.

Appel de Gaïa:

Autour de Nil et de Dot, mes bras tendus se mettent à trembler. Ce n’est ni le froid ni la fatigue qui les fragilisent, c’est cette impression de ne pas toujours réussir à tenir debout, être un pilier pour ma communauté. Et que tout s’effondre, tout s’éteint, par ma faute.
Mais le feu devant nous prend, il brûle avec l’intensité nécessaire pour ne plus s’éteindre, le courant d’air chaud tournoie, et je rends le sourire que Nil nous tend avec affection et fierté, tout juste encore un peu de crainte. Je murmure à Dot qu’elle a été super, car je sais qu’il lui faut lui rappeler d’avoir cette confiance parfois, et on continue doucement le chemin vers le prochain Mont. « J’y ait déjà été quelques fois, mais c’était y’a longtemps… on va faire au mieux pour se rappeler de la route. Ca ne devrait pas être trop compliqué. », je réponds à Nil en passant devant, tentant de me faire meneur alors que le rôle ne me convient pas. Je reconnais des endroits, des odeurs, mais il nous manque une vue d’ensemble. En levant les yeux au ciel, et en me retournant vers mes deux camarades, je hausse quelque peu la voix sous la colère de ne pas réussir à les guider :  « Mais non, on n’est pas perdu·e·s ! ».

J’aurais aimé être un oiseau. J’aurais aimé que cet ancien amant disparu soit encore là à me suivre avec discrétion et bienveillance, mais il a bel et bien quitté ma vie ; alors à la place j’observe Nil crier et Dot invoquer toute une famille de rouge-gorge. L’absurdité de la situation me fait rire, mais après quelques secondes, je remarque que les vols des oiseaux qui nous ont entendu commencent à indiquer un chemin. En les suivant, les yeux écarquillés, je reconnais les arbres, les troncs, les racines et l’emplacement des roches. Je reconnais les traces de pas au sol, d’animaux, et je lève les yeux au ciel de plus belle. « C’est pas croyable… Si ça ce n’est pas un signe du ollin, tss. Venez, c’est par-là ! ». Dans mes bras je prépare les prochains fagots, sûr à présent que les deux prochains feux nous attendent patiemment et que nous les allumerons sans entrave. Ainsi doucement, nous continuons d’avancer, fiers des coqs, guidés par leurs pairs.