Les yeux baissés, les poings fermés. Elle a le regard vagabond et le cœur en explosion. Le visage blême, elle se fond au milieu de ces fantômes qui viennent la hanter, l’un comme l’autre, au centre de cette ville qui est pourtant sienne. La chevelure rousse, qu’elle croyait confinée à la Ville-Basse, ranime dans ses flammes les visions d’un passé refoulé, ignoré, renié. Les traits du jeune homme, encore dessinés sous une main enfantine dans sa mémoire, la cloue au sol d’un coup de marteau contre le crâne. Assénée par ces retrouvailles qu’elle n’imaginait jamais vivre, Estella se fait infiniment petite. En bon petit soldat, elle s’équipe tel que décrété par lea responsable, la tête baissée sur le matériel. Les instructions résonnent dans sa tête comme un écho lointain. Elle ne distingue que vaguement les paroles, elle qui semble les entendre à des mètres de là, à la surface de cet océan dans lequel elle se sent plongée.

Lorsque le groupe s’est formé, elle avait tout de même trouvé la force de froncer les sourcils de surprise et de dégoût en reconnaissant Ennà. Elle et ses traits si juvéniles n’ont qu’à peine changé sous le souffle des années, et Estella reconnaîtrait ce petit nez retroussé entre mille. La rancune, parfois endormie mais jamais morte, s’est réveillée en son ventre d’une vague violente. La colère, bouillante, brûlait ses veines, en partant du centre jusque dans ses cuisses, ses doigts, ses joues. Mais c’est le second partenaire, au visage à la fois connu et étranger, qui l’a empêché de s’emporter. Dans le mystère de son identité, Estella l’a toisé. La curiosité peinte sur son visage effaçait la colère, mais elle est vite tombée pour laisser place au choc. À la place de l’homme, elle s’est remémorée un enfant. Une petite bouille, depuis longtemps placée dans un coin de sa mémoire. Une face effacée par le temps, à peine remémorée récemment. Un souvenir pêché du fond de sa mémoire par Faust et sa canne de parchemin. Faust.

Elle n’a pas dit un mot ni à l’un, ni à l’autre. Elle hoche la tête sous les instructions, se met à la tâche en dépassant les deux spectres. Dans son estomac se battent les étranges sentiments de tristesse, d’angoisse et de colère puissance. Nulle part ne se trouve l'indifférence, qu’elle cherche pourtant à appeler en vain. Il n’y a que sa mâchoire crispée et le plomb qui se fracasse sur le papier, victime de sa poigne trop forte.

Le ciel est clair et pourtant désolé. Tes pas ne t’avaient plus guidé dans la Ville Haute depuis des temps que tu voudrais avoir oubliés, fichés pourtant dans ta mémoire avec la précision des supplices. Les tours se déploient comme des flèches miraculées, mais tes yeux demeurent fichés au sol, de peur de croiser le regard d’une personne autrefois connue. Tu longes les murs pour te confondre dans les ombres que la course du soleil déplie le long des façades de pierres blanches, dans l’espoir de passer le plus inaperçu possible. Ta gueule de chien triste fait se retourner quelques regards sur ton passage, détonant considérablement avec les manières de la Ville Haute. Malgré tout, tu parviens sans trop de difficulté jusqu’aux Jardins Suspendus.

Tu ignores pourquoi les solmènes t’ont assigné cette tâche, celle d’enquêter sur le mystérieux mal touchant les arbres de l’Oliveraie, dans les hauteurs de la cité des cimes, surplombant Cittàgazze comme des gardiens silencieux. Les voix des apôtres du Serpent-Ailé sont parfois obscures, et c’est docilement que tu rejoins aujourd’hui les Jardins Suspendus, ignorant s’il s’agit d’un piège ou d’une véritable mission. Cela peut toujours être un piège, c’est ce que les solmènes t’ont enseigné. Pourtant, la peur ne t’étreint pas, car tu n’as depuis longtemps plus rien à perdre. En entrant dans l’Oliveraie, un frisson d’effroi remonte le long de ton échine en constatant l’ampleur du mal qui ronge cette nature autrefois si paisible.

Tu rejoins enfin les deux personnes assignées avec toi à la mission. La curiosité de connaître tes coéquipier·ère·xs se change bientôt en hébétement, en découvrant une présence familière que tu aurais préféré ne pas croiser ici. Une présence comme un fantôme du passé surgissant dans le monde réel. Tes yeux clignotent, comme si tu ne parvenais pas à ancrer cette information dans ton esprit, trop imprévue, trop douloureuse pour être véridique. Mais tes pas continuent de te rapprocher d’elle et tu rejoins bientôt votre petit groupe et fais face à ce fantôme. Estella. « Bonjour Estella… » tu parviens à articuler en baissant les yeux, à la manière d’un pardon. Mais la jeune femme ne daigne pas vous accorder davantage de considération et se détourne sans un mot pour aller écouter les instructions des biologistes. L’inconnue qui vous accompagne ne tarde pas à se présenter, et tu fais de même : « Kafka. Juste Kafka. De même, je suis ravi. » Mais ta voix demeure empreinte de tristesse. Rencontrer Estella te plonge dans une mémoire douloureuse, et plus que tout, la peur qu’elle révèle ton existence affole les battements de ton cœur.

Estella et Ennà commencent rapidement à étudier les arbres malades, et tu fais de même, t’accroupissant auprès d’un olivier de la septième section dans l’espoir d’y découvrir quelque chose pouvant aider les scientifiques. Tirant un petit flacon de ta poche, tu viens gratter doucement l’écorce pour en tirer quelques fragments, les yeux fascinés par cette étrange maladie, contemplant les champignons ayant pris possession des arbres. Après quoi, dans un petit sachet, tu viens récolter quelques olives malades tombées au sol.

réussite Assure la réussite de votre action ou de votre sort, quel que soit le résultat des dés.

Tu ignores pourquoi les solmènes ont si soudainement fait appel à toi pour mener à bien ce genre de missions. Pourquoi venir te chercher dans les bas-fonds de la Ville Basse et t’assigner une quête, quelle qu’elle soit, dans le but de servir la faction, toi que cette dernière a si souvent honni. Alors tu t’exécutes docilement, sans savoir s’il s’agit d’un piège ou d’une réelle opportunité pour toi de faire tes preuves. Tu parcoures l’Oliveraie en songeant à ton enfance, lieu que tu ne côtoies plus depuis que tu as été relégué aux méandres de la Ville Basse, mais où tes sœurs et toi aviez l’habitude de venir jouer. Tu ne peux t’empêcher de t’attarder sur les détails qui te rappellent à ces années où tu étais encore supposément vivant : un banc au bord des jardins donnant sur tout Cittàgazze, un arbre en particulier au pied duquel Faust et toi cachiez des trésors, une petite vasque où l’eau de pluie reste piégée. Tu prends le temps de ressasser des souvenirs, avant que la réalité ne se rappelle à toi.

Accroupi dans la septième section auprès d’un vieil olivier dépourvu de ses feuilles, tu prélèves des morceaux d’écorce dans un petit tube pour en faire des échantillons. Concentré sur ta mission, tu ne remarques pas la disparition soudaine d’Estella, et c’est en relevant les yeux après de longues minutes à gratter le tronc de l’olivier que tu t’aperçois que la jeune femme a quitté les lieux. Ennà qui t’accompagne semble tout autant secouée par cette disparition, appelant en espérant une réponse qui ne vient pas. Estella est partie, sans laisser de trace ni attirer l’attention. Il te semble qu’elle a emporté avec elle un pan de ton passé, les belles années de l’enfance, les années avec Faust et Astrid. Tu était perturbée à l’idée de la retrouver, mais sa disparition soudaine laisse un réel vide en toi, et tu mets de longues minutes avant de parvenir à te reconcentrer véritablement sur ton travail.

Tu es soudainement tiré de ton inspection par la voix d’Ennà, t’appelant jusqu’à sa section. Elle semble avoir découvert quelque chose, et tu te précipites jusqu’à son arbre pour voir de quoi il s’agit. « Qu’est-ce que tu as trouvé ? » tu t’enquiers en la rejoignant. L’olivier que tu découvres dénotes d’avec les autres arbres. Plus vieux peut-être, les miasmes sur son écorce semblent le recouvrir en entier, comme si l’arbre en lui-même n’était qu’un seul et grand champignon. « Cet arbre ne ressemble pas aux autres… » tu penses à haute voix en venant prélever un peu du lichen recouvrant l’écorce. Tu t’étonnes que cette section n’ait pas encore été étudiée par les chercheur·ses solmènes. En même temps, étant donné la taille de l’Oliveraie, cet oubli pourrait s’expliquer de lui-même. Tu grattes quelque peu l'écorce pour réussir à prélever quelques spores.

L’arbre qu’Ennà a trouvé ne ressemble à aucun autre spécimen de l’Oliveraie. S’agit-il seulement d’un olivier ? Il est difficile de l’affirmer, tant ses ramures et son écorce sont parcourues par les miasmes. Alors que tu tentes d’en prélever un peu dans ton flacon pour le rapporter au chef de section, l’arbre commence à se mouvoir, et un étrange vrombissement vient te nouer le ventre, comme si l’arbre respirait, une sorte de souffle venu du fond de la terre. Tu jettes un regard à Ennà en espérant qu’elle t’explique ce qui est en train de se passer, mais la jeune femme semble tout aussi perdue que toi. Alors que tu t’apprêtais à prendre la parole pour poser tout haut à la question qui vous chatouille les lèvres à tous·tes les deux – quelque chose comme : Putain mais qu’est-ce qui se passe ? – l’arbre se meut et une trappe apparaît à vos pieds, entre deux énormes racines, jusqu’alors recouvertes de feuilles mortes et de particules de miasme. Tu croises le regard de ta coéquipière, ahuri par ce qui est en train de se produire. Ton premier réflexe n’est pas de soulever courageusement la trappe pour voir ce qui s’y trouve, mais d’appeler lae premier·ère chef·fe de section venu·e pour lui demander si tout ceci est bien normal. La personne s’approche mais alors qu’elle arrive auprès de vous, la trappe se volatilise, comme par un effet de miroir. « Je… je vous jure, il y avait une trappe. » que tu bredouilles sans comprendre. « Cesse de me faire perdre mon temps Lindbergh. » grogne l’autre avant de repartir vers l’arbre qu’iel était en train d’étudier.

Tu te retournes vers Ennà, alors que la trappe réapparaît presque aussitôt lae chef·fe disparu·e. « Je ne sais pas si c’est une bonne idée, de l’ouvrir… » tu avoues à voix basse en jetant des regards inquiets vers la voie qui s’offre à vous. Mais après en avoir discuté avec Ennà, vous choisissez tous·tes deux de tenter votre chance en poussant doucement la trappe. Echapper à la surveillance de la sécurité ne te pose pas autant de problème que la peur de tomber sur un être magique malveillant – pire, un spectre – de l’autre côté de ce sortilège. L’idée ne te vient pas à l’esprit qu’il pourrait s’agir d’une faille ou d’un passage vers un autre pan de la réalité. La magie est capable de mimer ce genre de choses – elle est capable de beaucoup de choses, comme Gabija a pu te l’enseigner – alors il ne te vient pas à l’esprit que vous soyez face à une faille. En pénétrant après Ennà dans l’étroit conduit, tu découvres une sorte de laboratoire à l’abandon, poussiéreux et entaché par les miasmes, où d’étranges plantes ont élu domicile. Tu ne les avais jamais vues auparavant ; s’agit-il de ces fameuses plantes du Cinquième monde ? Mais bien vite, tu dois porter la main à ton visage pour réussir à respirer, les poumons enflammés par l’air vicié et alourdi par les miasmes.

réussiteAnnule un échec aux dés.